Le réchauffement climatique intensifie les turbulences aériennes, rendant les vols plus imprévisibles et plus dangereux. Alors que les incidents se multiplient, scientifiques et industriels redoublent d’efforts pour mieux les anticiper et en réduire l’impact. Mais les défis restent considérables.
Le 20 mai 2024, le vol SQ321 de Singapore Airlines reliant Londres à Singapour traverse une zone de ciel apparemment dégagé au-dessus de la Birmanie. En quelques secondes, l’appareil est secoué violemment par une turbulence dite « en air clair ». Un passager décède, plusieurs autres sont blessés, certains projetés contre le plafond de la cabine. L’avion est dérouté en urgence à Bangkok. Ce drame n’est pas un cas isolé.
Le climat en cause : des cieux de plus en plus agités
Depuis quelques années, les experts constatent une intensification des turbulences en haute altitude. En cause : le réchauffement de l’atmosphère, qui bouleverse la circulation des vents et renforce les courants-jets. Paul Williams, professeur de météorologie à l’université de Reading (Royaume-Uni), l’affirme : « les turbulences en air clair ont augmenté de 55 % depuis 1979, et elles pourraient être multipliées par trois à l’horizon 2050 si rien ne change ».
Les turbulences en air clair sont particulièrement redoutables. Invisibles au radar météo, elles surviennent dans des zones sans nuages et sans orages, là où pilotes et passagers s’attendent à un vol calme. Et elles frappent sans prévenir.
Un coût humain, logistique et financier
Les conséquences sont multiples : au-delà du traumatisme pour les passagers et les membres d’équipage, les turbulences peuvent causer des blessures graves, endommager les cabines, perturber les horaires de vol et accroître la consommation de carburant. Selon la Federal Aviation Administration (FAA), elles coûtent environ 200 millions de dollars par an aux compagnies aériennes américaines.
Face à cette menace croissante, l’industrie aéronautique s’organise.
Des ailes intelligentes pour absorber les secousses
À Baden, en Autriche, la start-up Turbulence Solutions développe une technologie inspirée de la nature : des « flaplets » – petits volets dynamiques fixés à l’arrière des ailes – capables d’amortir les vibrations de l’air, à la manière des plumes de certains oiseaux. Le système, testé sur des avions légers comme le DA-42 de Diamond Aircraft, a montré une réduction de plus de 80 % de la force des secousses lors de vols expérimentaux. Mais le passage à l’aviation commerciale nécessitera encore des années d’essais, de certifications et d’industrialisation.
Mieux voir l’invisible : IA, capteurs et données collaboratives
L’autre piste prometteuse réside dans la prédiction. Des équipes de la NASA, du Caltech ou du MIT développent des outils fondés sur l’intelligence artificielle (IA), capables d’analyser en temps réel la structure de l’air autour de l’avion.
Parmi les solutions explorées :
- des capteurs infrasons détectant les microvariations de pression,
- des microphones embarqués pour capter les « bruits » du vent,
- ou encore des systèmes Lidar, comparables à ceux utilisés dans les voitures autonomes, qui scannent l’air devant l’avion sur plusieurs kilomètres.
L’idée : fournir aux pilotes un « GPS de la turbulence », leur permettant d’anticiper plus précisément les zones agitées et d’adapter leur trajectoire en conséquence.
Dans cette optique, l’Association internationale du transport aérien (IATA) a lancé la plateforme Turbulence Aware. Il s’agit d’une base de données mondiale alimentée en temps réel par les capteurs embarqués sur des milliers d’avions. Des compagnies comme Air France, Lufthansa, United Airlines ou EasyJet y participent. Grâce au partage d’informations, chaque vol devient une source de connaissance utile aux autres.
L’avenir : l’IA explicable embarquée dans l’avion
Mais la prédiction en vol ne suffit pas. Pour Ricardo Vinuesa, spécialiste en dynamique des fluides et IA à l’université de Stockholm, il faut aller plus loin : embarquer directement dans les avions des modèles d’IA capables de simuler, seconde par seconde, la dynamique de l’air autour des ailes. Cela permettrait aux systèmes de bord d’anticiper et d’ajuster automatiquement le pilotage, bien avant que la turbulence ne frappe.
« La turbulence est un phénomène chaotique, mais pas impossible à modéliser avec précision si l’on dispose de la bonne puissance de calcul et des bonnes données en temps réel », explique-t-il.
Cette approche pourrait, à terme, rendre les vols non seulement plus sûrs mais aussi plus confortables, réduisant les « trous d’air » que redoutent tant les passagers.
Innovation contre climat : une course contre la montre
L’industrie aéronautique avance donc sur plusieurs fronts : ingénierie des structures, modélisation numérique, partage des données, adaptation des trajectoires, mais aussi formation accrue des équipages face à ces risques accrus.
Mais ces solutions demandent du temps, des investissements massifs et une collaboration étroite entre avionneurs, compagnies, chercheurs et autorités de régulation. Pendant ce temps, les turbulences continuent de s’intensifier.
L’enjeu est clair : il faut adapter les avions au climat de demain – un climat plus chaud, plus instable et plus imprévisible – tout en poursuivant les efforts de décarbonation du secteur, lui-même acteur du changement climatique.
Traduit de l’Anglais avec BBC / Philip Maughan
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