Prévue initialement pour ce mardi 23 juillet, la délibération dans l’affaire SNEDAI a été reportée au 30 juillet 2025 par le tribunal d’Abidjan. Ce procès, qui porte sur un détournement présumé de 1,6 milliard de francs CFA, met en cause la société SNEDAI, longtemps partenaire stratégique de l’État dans la gestion des documents d’identité.
L’affaire, suivie de près par l’opinion publique en raison des personnalités impliquées et des enjeux financiers, suscite de nombreuses interrogations sur la transparence de la commande publique en Côte d’Ivoire.
Notre rédaction poursuit sa veille active sur ce dossier sensible qui pourrait avoir des répercussions majeures, tant sur le plan judiciaire que politique.
Affaire SNEDAI : Autopsie d’un scandale d’État à 1,6 milliard
Abidjan, juillet 2025 – Derrière les façades vitrées des tours du Plateau, le scandale SNEDAI est bien plus qu’une banale affaire de détournement : il met à nu les dérives d’une gouvernance qui a confondu service public et intérêts privés. Au cœur du dossier, une question centrale : comment une entreprise privée, fondée par une personnalité de l’État, a-t-elle pu gérer les documents officiels de toute une nation, sans véritable contrôle public ?
Une entreprise au cœur de l’État
Créée au début des années 2000 par Adama Bictogo, aujourd’hui président de l’Assemblée nationale, SNEDAI Group s’est imposée comme le partenaire incontournable de l’État pour la délivrance des cartes nationales d’identité, passeports biométriques et titres de séjour. Dans un pays où plus de la moitié de la population est en quête de papiers officiels, cette position est plus que stratégique : elle est vitale.
Mais au fil des années, l’opacité s’est épaissie autour des flux financiers générés par ce monopole. En 2022, selon un rapport explosif de la Cour des comptes, seulement 878 713 FCFA ont été déclarés par SNEDAI comme recettes issues de la confection des CNI et passeports. Une somme dérisoire au regard du coût unitaire des titres (75 000 FCFA pour un passeport) et du volume de demande.
Septembre 2023 : début du scandale
Tout bascule à l’automne 2023. Une enquête de la brigade économique et financière révèle un trou de plus de 1,6 milliard FCFA dans les comptes liés à la production des documents d’identité. Des perquisitions sont menées au siège de SNEDAI. L’enquête cible principalement le Directeur administratif et financier (DAF), Hive Kouamé N’Da, soupçonné d’avoir orchestré le siphonnage des recettes via un système de rétrocessions, comptes offshore et sociétés écrans.
La découverte est accablante : aucun reversement régulier n’aurait été effectué à l’État, malgré les engagements contractuels. Les fonds, collectés sur des comptes dits « séquestres », étaient en fait sous gestion quasi exclusive de SNEDAI, parfois utilisés pour financer des dépenses non justifiées, selon les enquêteurs.
Le procès : entre vérité judiciaire et pression politique
Le 7 juillet 2025, le parquet d’Abidjan requiert 7 ans de prison ferme et 5 milliards d’amende contre Hive Kouamé N’Da. Le haut cadre est cependant introuvable. Un mandat d’arrêt international est lancé contre lui. En parallèle, le procès est suspendu à la non-comparution d’un témoin clé de la banque ayant géré les fonds, compromettant la reconstitution des circuits financiers.
Fait notable : aucune mise en cause directe d’Adama Bictogo n’est évoquée dans l’acte d’accusation, bien que son nom soit omniprésent dans les débats publics. Le président de l’Assemblée nationale, tout en affirmant s’être retiré de la gestion de l’entreprise, reste perçu comme l’actionnaire moral et politique de SNEDAI.
La privatisation du service public, à quel prix ?
L’affaire SNEDAI soulève une question de fond : peut-on confier des services régaliens à des opérateurs privés liés au pouvoir ? Dans un contexte de forte demande en pièces d’identité, la population ivoirienne paie au prix fort cette délégation mal encadrée. En 2024, des dizaines de milliers de citoyens se sont plaints de retards excessifs, pertes de dossiers, ou encore refus injustifiés de délivrance.
Pire, certains observateurs craignent que des données biométriques sensibles aient été gérées sans garantie de confidentialité, exposant les citoyens à des risques de violation de vie privée.
Une justice à l’épreuve
En maintenant les poursuites contre le DAF et en requérant des peines exemplaires, le parquet tente d’envoyer un signal fort. Mais la justice ira-t-elle au bout de sa logique ? Saura-t-elle remonter jusqu’aux donneurs d’ordres politiques, si d’autres responsabilités sont avérées ?
À une échéance électorale cruciale, le dossier SNEDAI fait figure de test de crédibilité pour l’appareil judiciaire ivoirien. Le report de la délibération au 30 juillet 2025 laisse encore planer le doute.
Une exception ivoirienne ?
Le cas SNEDAI illustre enfin une autre exception ivoirienne : celle d’une économie politique de connivence, où les fonctions politiques et les intérêts privés s’entrelacent, sans garde-fou efficace. Alors que les scandales s’enchaînent – de la filière café-cacao à l’ARRE – c’est tout un modèle de gouvernance qui est remis en question.
La promesse d’un État moderne, numérisé, juste et équitable, ne peut se construire sur de tels errements. L’heure est venue pour les citoyens et les institutions de rompre le silence et d’exiger des réformes profondes sur la gestion des marchés publics et la reddition des comptes.
Conclusion :
L’affaire SNEDAI est plus qu’un procès : c’est le miroir d’un pays à la croisée des chemins. La justice dira-t-elle toute la vérité ? La société civile laissera-t-elle passer l’orage ou exigera-t-elle des comptes ? Une chose est sûre : le scandale SNEDAI restera dans les annales comme le révélateur d’un système agonisant à bout de souffle.
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