VIH en Côte d’Ivoire : une riposte nationale en mutation, entre avancées, vigilance et incertitudes

Par Fleur Kouadio

Depuis deux décennies, la Côte d’Ivoire a construit une réponse solide face au VIH/Sida. En s’appuyant sur l’expertise de ses professionnels de santé et le soutien décisif de partenaires internationaux, notamment les États-Unis à travers PEPFAR et USAID, notre pays a enregistré des progrès notables : meilleure couverture du traitement, stabilisation du taux de prévalence, et recul du nombre de décès. Mais aujourd’hui, à l’heure où certaines de ces aides internationales se réduisent, une question se pose avec acuité : la Côte d’Ivoire peut-elle maintenir ces acquis toute seule ?

Une situation maîtrisée mais encore sensible

En 2024, la Côte d’Ivoire comptait environ 410 000 personnes vivant avec le VIH, soit une prévalence de 2,7 % chez les adultes de 15 à 49 ans. Ce chiffre, en baisse par rapport aux années 2000, reste toutefois l’un des plus élevés en Afrique de l’Ouest, où la moyenne régionale tourne autour de 1,5 %. À titre comparatif, le Burkina Faso affiche un taux de 0,8 %, le Ghana 1,7 %, et le Mali 1,1 %. Seuls le Nigeria (3,1 %) et la Guinée-Bissau (3,7 %) présentent des niveaux supérieurs.

Les femmes continuent d’être les plus touchées : 3,6 % contre 1,3 % chez les hommes. Le déséquilibre s’explique par des facteurs structurels : précarité, inégalités de genre, violences basées sur le genre, et manque d’accès à l’éducation sexuelle. Les jeunes, notamment les adolescentes, représentent une tranche de plus en plus vulnérable, en particulier en milieu urbain.

Une réponse nationale structurée et volontariste

Depuis plusieurs années, les autorités ivoiriennes ont renforcé leur dispositif de lutte contre le VIH. La stratégie nationale 2024–2028, mise en œuvre par le ministère de la Santé, repose sur quatre axes : prévention renforcée, dépistage généralisé, traitement universel et lutte contre la stigmatisation.

Les résultats sont là :

  • 82 % des personnes séropositives connaissent leur statut,
  • 88 % de ces personnes sont sous traitement antirétroviral,
  • Et 88 % présentent une charge virale indétectable, ce qui réduit fortement la transmission.

Ces performances rapprochent la Côte d’Ivoire des objectifs mondiaux « 95–95–95 » fixés par l’ONU Sida pour 2030. Le pays a misé sur l’approche « test and treat » (tester et traiter immédiatement), avec un accès gratuit aux traitements dans les centres de santé publics. Des campagnes mobiles de dépistage ont également été déployées dans les zones rurales, où les structures sanitaires sont plus rares.

Populations clés et prévention ciblée

Des efforts importants ont été entrepris en direction des populations clés, à risque plus élevé d’exposition : travailleurs du sexe, hommes ayant des rapports avec d’autres hommes, personnes transgenres, détenus. Ces groupes bénéficient de centres dédiés, de sensibilisation communautaire et d’un suivi adapté, même si des résistances sociales et culturelles persistent.

L’éducation à la santé sexuelle, notamment dans les écoles, reste un levier encore sous-utilisé. Trop de jeunes ignorent encore les modes de transmission du virus ou rejettent le dépistage, par peur du regard de la société. La lutte contre la stigmatisation demeure donc centrale.

Un avenir fragilisé par le retrait des partenaires internationaux

Jusqu’en 2023, les États-Unis, à travers les programmes PEPFAR et USAID, figuraient parmi les principaux bailleurs de fonds du système de lutte contre le VIH en Côte d’Ivoire. Ces aides ont financé les traitements, les tests, la formation du personnel médical, les campagnes de sensibilisation et les infrastructures.

Mais depuis 2024, une réorientation stratégique américaine a été engagée. Plusieurs programmes USAID ont pris fin ou ont été drastiquement réduits, dans un contexte de recentrage sur d’autres priorités géopolitiques et sanitaires. Cela laisse planer une incertitude sur le financement futur des ARV, du suivi biologique (charge virale) et de l’assistance communautaire.

Le gouvernement ivoirien, conscient de cette dépendance, a commencé à travailler à une autonomisation progressive du dispositif, avec un budget national renforcé et un appel à la mutualisation régionale. Mais la transition reste délicate, surtout si elle s’accélère sans appui technique suffisant.

Maintenir les acquis, éviter le recul

Si la Côte d’Ivoire a su bâtir une riposte efficace, le risque d’un affaiblissement des moyens est réel. Sans financement pérenne, les campagnes de dépistage pourraient ralentir, les traitements manquer, et la surveillance des patients se dégrader. Pire, certains pourraient sortir du circuit de soin, ce qui ouvrirait la voie à une recrudescence des cas.

Dans un contexte de forte mobilité sous-régionale, l’enjeu dépasse les frontières nationales. La Côte d’Ivoire, leader régional en matière de prise en charge, a aussi une responsabilité de coordination avec ses voisins pour éviter les disparités et favoriser l’intégration sanitaire.

Une mobilisation nationale à amplifier

Le VIH n’est pas une maladie du passé. En Côte d’Ivoire, il touche encore des centaines de milliers de personnes. La réponse doit rester à la hauteur des besoins, avec une mobilisation collective, soutenue, et adaptée aux nouvelles réalités.

Si l’aide internationale fléchit, l’État ivoirien devra affirmer son leadership sanitaire, avec l’appui du secteur privé, de la société civile et des partenaires régionaux. Il en va de la santé publique, de la dignité humaine et du développement durable de notre société.

F. Kouadio

Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info

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