Par Fleur Kouadio
Depuis les ruelles animées d’Adjamé jusqu’aux salons feutrés de Cocody-Ambassades, un sujet circule discrètement : le Hezbollah en Côte d’Ivoire. Ce mot, Hezbollah, ne désigne pas seulement une milice libanaise enracinée au Moyen-Orient, mais une réalité bien plus proche, bien plus diffuse : un réseau financier souterrain, enchevêtré dans les rouages de notre économie informelle et surveillé de près par les services de renseignement ivoiriens et occidentaux.
Un silence bien organisé
Pas de communiqués officiels, pas d’arrestations spectaculaires et médiatisées. À Abidjan, l’État préfère la discrétion à la démonstration. Pourtant, depuis plusieurs années, les services de renseignements ivoiriens suivent de près les activités d’une minorité de la diaspora libanaise chiite soupçonné d’entretenir des liens idéologiques ou financiers avec le Hezbollah.
Rien ne filtre dans les médias, mais selon nos informations, plusieurs opérations de surveillance, d’interceptions téléphoniques, voire d’expulsions confidentielles ont eu lieu depuis 2021, parfois à la demande d’alliés occidentaux. La Direction de la Surveillance du Territoire (DST) travaille main dans la main avec ses partenaires français, américains et israéliens sur ce dossier sensible.
Des mosquées sous attention particulière
Les regards se tournent en particulier vers certaines mosquées chiites du nord d’Abidjan. Non pas pour leurs sermons, souvent modérés, mais pour ce qui se passe après la prière. Des levées de fonds régulières y sont organisées, sous couvert d’œuvres sociales ou de soutien à la reconstruction au Liban. Une partie de ces dons, selon plusieurs sources sécuritaires, pourrait redirigée vers des circuits financiers informels transnationaux, hors de tout contrôle bancaire classique.
Les fonds empruntent des chemins invisibles : hawala, transferts via commerces de pièces détachées ou d’électronique, ou via les réseaux d’import-export bien implantés dans la sous-région. Une architecture fluide, difficile à cartographier, mais bien réelle.
Une diaspora divisée, sous pression
Il serait injuste de jeter l’opprobre sur toute une communauté. La diaspora libanaise d’Abidjan est multiple, ancienne, profondément liée à l’histoire économique du pays. Une grande majorité de ses membres, souvent sunnites ou chrétiens maronites, rejette toute implication idéologique ou politique. Mais en coulisses, des tensions existent. Certains membres historiques de la communauté libanaise dénoncent à demi-mot l’activisme de quelques figures radicalisées. D’autres, plus discrets, s’inquiètent des conséquences économiques qu’une telle étiquette pourrait entraîner pour l’ensemble de la communauté.
Abidjan dans le radar du Hezbollah ?
Abidjan n’est pas une base opérationnelle militaire pour le Hezbollah. Il s’agirait plutôt, selon des analystes régionaux, d’un point d’appui économique en Afrique de l’Ouest.
La Côte d’Ivoire, alliée stratégique de l’Occident, ne veut pas devenir un maillon faible dans la lutte contre le financement du terrorisme. D’où cette ligne de conduite ferme mais silencieuse : surveillances ciblées, coopération active avec les chancelleries, mais sans jamais exposer le sujet sur la place publique. Le choix de l’efficacité contre la surenchère médiatique.
Ce que cela dit de nous
Au fond, cette histoire est celle d’un pays qui, sans bruit, affine ses outils de souveraineté. Un État ivoirien qui comprend que la guerre moderne ne se mène pas toujours avec des armes visibles, mais parfois avec des fichiers bancaires, des écoutes discrètes, des expulsions silencieuses. Et surtout, avec une fine compréhension de ses propres équilibres internes.
Car sur cette ligne invisible entre sécurité et vivre-ensemble, entre vigilance et stigmatisation, la Côte d’Ivoire joue une partition complexe mais essentielle : protéger son territoire, sans fracturer son tissu social.
F. Kouadio
Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info
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