Ahoua Don Mello, Laurent Gbagbo: pour une stratégie politique responsable (Le fait et la controverse)

Le 29 juin 2025, une information a circulé : Ahoua Don Mello, ancien ministre et cadre influent, aurait rencontré Laurent Gbagbo, ex-président de la République et leader historique du Front populaire ivoirien (FPI), aujourd’hui président du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI). Aussitôt, des membres du courant « Gbagbo ou rien » (GOR), farouchement attachés à la figure tutélaire de Gbagbo, ont crié à la manipulation. Selon eux, cette rencontre n’aurait jamais eu lieu. Pourtant, cette version a rapidement été contredite par les faits. Non seulement la rencontre a bien eu lieu, mais elle fut suivie d’une lettre adressée par Don Mello à Gbagbo lui-même. En réaction à cette lettre, les GOR ont d’abord tenté de la discréditer en la qualifiant d’information mensongère. Le 13 juillet, c’est par la voix de Sébastien Dano Djédjé, président-exécutif du PPA-CI, qu’ils ont formellement répondu à Don Mello, arguant que la lettre « n’a jamais été enregistrée ni portée à la connaissance des instances du parti ». Cette justification soulève une question fondamentale: à qui la lettre était-elle destinée ? À Gbagbo ou au PPA-CI ? Il apparaît clairement qu’Ahoua Don Mello s’est adressé directement à Gbagbo, en tant que camarade et ancien compagnon de lutte et non au parti en tant qu’institution. Par conséquent, seul Laurent Gbagbo, en personne, était légitime pour lui répondre.

Une lettre de propositions, non de rupture

En analysant le contenu de la lettre d’Ahoua Don Mello, on constate qu’il ne s’agit ni d’une attaque, ni d’une trahison, ni même d’un désaccord frontal. Aucun mot injurieux, aucune intention malveillante, aucun dénigrement de la personne de Gbagbo. Don Mello ne prêche même pas pour sa paroisse puisqu’il souhaite que Laurent Gbagbo puisse autoriser 2 à 3 candidatures. Ce que propose l’ancien directeur du BNETD, c’est une réflexion stratégique. Il évoque la nécessité d’envisager des « candidatures de précaution » en vue de l’élection présidentielle d’octobre 2025.
Loin d’être un acte de subversion, cette proposition est empreinte de réalisme politique. Gbagbo, radié de la liste électorale, n’est pour l’heure pas en capacité juridique de se présenter. Miser uniquement sur son retour hypothétique constitue un pari risqué, voire suicidaire pour le parti. Don Mello ne propose pas une substitution, mais une alternative stratégique: anticiper plutôt que subir. Cette logique a d’ailleurs un précédent historique. Le journaliste Ferro Bally rappelle opportunément qu’en 2001, le FPI, prévoyant des obstacles juridiques ou politiques, avait envisagé la candidature d’Émile Boga Doudou au perchoir de l’Assemblée nationale. Il ne s’agissait pas d’un reniement, mais d’un ajustement tactique dans le cas où la candidature de Mamadou Koulibaly ne serait pas acceptée.
Le contexte international apporte d’autres exemples. En France, en 2012, lorsque Dominique Strauss-Kahn a été empêché de concourir, les socialistes ont immédiatement repositionné François Hollande. Au Sénégal, lorsque Ousmane Sonko a été écarté de la présidentielle, le Pastef a présenté Bassirou Diomaye Faye, qui a été brillamment élu. La politique ne se limite pas à une personne. C’est avant tout un projet collectif.

Démocratie ou dévotion aveugle ?

Ce que révèle cette affaire, c’est le malaise profond d’un certain camp politique, incarné par les GOR, qui semble confondre loyauté et idolâtrie. La réaction disproportionnée à une lettre courtoise, adressée avec respect, témoigne d’une dérive préoccupante: celle du culte de la personnalité. Or, dans une démocratie mature, l’obéissance aveugle n’a pas sa place. Les partis doivent être des espaces de débats, de contradiction féconde, de réflexions stratégiques. S’interdire de penser hors du schéma « Gbagbo ou rien », c’est tuer toute dynamique politique. Ahoua Don Mello ne fait que poser une question cruciale: que deviendra le PPA-CI si, à la veille de l’échéance électorale, Gbagbo reste légalement inéligible ? Doit-on se replier sur une posture victimaire, s’auto-marginaliser encore une fois par un boycott stérile, ou bien doit-on se donner les moyens d’exister politiquement, de participer au débat, d’influencer les décisions publiques ? Pour Don Mello, ne pas anticiper ce scénario revient à condamner le parti à l’inaction, à l’insignifiance, et donc à trahir son héritage. Comme lui, beaucoup d’Ivoiriens s’interrogent: la Côte d’Ivoire doit-elle imiter l’exemple du Cameroun où des pères et mères de famille suppliaient un homme de 92 ans de briguer un huitième mandat, simplement parce qu’ils avaient reçu 5000 francs CFA, du pain, des sardines et du sucre coloré ? Est-ce cela, l’avenir politique d’un pays qui a soif de justice sociale, d’alternance, de renouveau ? En somme, l’interpellation de Don Mello renvoie à un débat plus large: comment redonner sens à l’action politique dans une société en mutation ?

Recentrer le débat sur l’intérêt collectif

Enfin, une clarification s’impose: la lettre d’Ahoua Don Mello est authentique. Mais ce n’est pas lui qui l’a rendue publique. Sa diffusion sur les réseaux sociaux relève d’un acte malveillant, probablement destiné à jeter Don Mello en pâture, à l’étiqueter comme traître. Là encore, ce réflexe punitif en dit long sur la crispation des GOR, qui refusent toute remise en question, toute voix dissonante. Pourtant, en démocratie, il ne saurait y avoir de crime à proposer, à dialoguer, à penser. La vraie question n’est donc pas de savoir si Don Mello a franchi une ligne rouge, mais si le PPA-CI veut encore être un acteur politique crédible dans l’avenir du pays. Se battre pour le retour des droits civiques de Laurent Gbagbo est une chose et une bonne chose. Mais se battre pour le retour au pouvoir d’un homme physiquement diminué et âgé de 80 ans en est une autre. Cela devient une obsession dangereuse quand elle empêche toute évolution, toute alternative, toute respiration démocratique. Aujourd’hui, plus que jamais, la Côte d’Ivoire a besoin d’hommes et de femmes politiques capables de faire passer l’intérêt collectif avant l’égo des anciens leaders. La survie d’un parti ne peut dépendre d’un seul homme, aussi charismatique soit-il. Le renouveau ne viendra pas de l’adoration mais de la réflexion, du courage et de la capacité à s’adapter. En cela, Ahoua Don Mello, loin d’être un traître, se positionne comme une voix lucide dans un climat de dévotion irraisonnée.
Jean-Claude DJEREKE

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