Tout le monde est aujourd’hui suspendu à la décision du président Ouattara. Si tout porte à croire qu’il sera candidat, la presse semble tout de même percevoir une certaine hésitation chez l’individu. Certains dans son camp pensent tout bas, qu’il lui était bien plus facile de répondre par un « oui » le 21 Juin dernier au stade d’Ebimpé lors du congrès de son parti. La chose aurait été « acceptée » par l’opinion beaucoup plus aisément car tout le monde s’y attendait. Le fait d’avoir demandé « quelques jours de réflexion » créée aujourd’hui de l’incertitude, même s’il est vrai que l’homme reste maître de son calendrier.
Cela dit, contrairement à ce qu’on entend dire ici et là, une non-candidature ne mènerait pas forcément à l’apaisement du climat. Tout d’abord cela aurait un effet inhibant immédiat sur l’activité car les opérateurs économiques ont ’’intégré’’ la continuité du régime au-delà de l’échéance du 25 Octobre. Le retrait du président Ouattara signifierait une hypothèque sur le futur. Et là on peut s’attendre à un « ralentissement » brutal sur l’activité tous secteurs compris, jusqu’à la prise de fonction de son successeur, et même bien au-delà, le temps de voir « comment évoluent les choses » après l’élection. Le retrait de la candidature du président Ouattara va ainsi entraîner une longue « pause » dans l’activité économique.
Concernant le parti au pouvoir, celui qui sera choisi pour porter les couleurs à la présidentielle, sera contesté en interne quel qu’il soit, tout simplement parce qu’il n’aura pas eu le temps d’asseoir son autorité sur les troupes. Officiellement se serait l’union sacrée autour de lui, mais pas dans les faits il lui faudra batailler pour se faire accepter, pour se faire respecter. Il n’y parviendra pas du jour au lendemain. Il faut se rappeler qu’Amadou Gon Coulibaly a été nommé Premier Ministre en Janvier 2017. Dès cet instant il était mis en orbite pour éventuellement succéder à son patron. Lui-même se comportait en patron, plaçant ses hommes aux postes clés à la fois dans le parti et dans le gouvernement. Lorsqu’il fut choisi pour porter les couleurs du parti présidentiel en 2020, ce choix ne fut contesté par personne, il était le candidat ‘’naturel’’, cela avait été préparé depuis trois ans.
Aujourd’hui, le fait de ne pas avoir mis quelqu’un en avant suffisamment tôt, a créé dans le parti une bataille larvée entre les successeurs potentiels. Il s‘est naturellement formé des clans derrière chaque « héritier », les lignes se sont cristallisées. Désigner un successeur aujourd’hui ne va pas les dissoudre comme par magie. L’autorité de celui-ci risque d’être seulement « administrative », un peu à l’image des préfets. Le fait de ne pas avoir eu le temps de s’imposer, d’écarter ses rivaux, de positionner ses hommes aux postes clés, ne lui permettra pas d’avoir une emprise réelle sur les troupes. La formation présidentielle sera fragilisée en interne si un nouveau chef est désigné.
Cela rappelle le scénario de la RDC avec Joseph Kabila en 2018. Jusqu’au dernier moment, tout le monde le voyait se représenter pour un troisième mandat. Puis il a désigné son ministre des affaires étrangères Emmanuel Shadari, ce dernier était certes un fidèle, mais tout sauf un leader. La suite est connue.
D’autre part, un retrait éventuel du président Ouattara de la présidentielle risque de créer un appel d’air pour des manifestations de rue. L’opposition va l’interpréter comme une victoire, et sera désormais sur l’offensive pour exiger davantage de concessions, notamment ce fameux dialogue politique, synonyme de report de la présidentielle. La mise en place d’un gouvernement « d’union nationale » sera une question qui va s’imposer d’elle-même puisque le pouvoir sera désormais hors délai constitutionnel. Tout cela va générer de l’instabilité avec à la clé un rôle plus accru des médiateurs internationaux. Ce sera une transition de facto qui sera mise en place, même si le mot »transition » ne figurera certainement pas dans le vocabulaire officiel.
Dans un tel cas de figure, le pouvoir politique a tendance à se déliter, à se décomposer, à se répartir entre plusieurs acteurs nationaux et internationaux. Le pays devient ainsi un navire avec plusieurs capitaines. Et il serait naïf de croire que cette instabilité prendra fin avec l’élection d’un nouveau président. L’opposition va se fragmenter pour se recomposer, une contestation plus ou moins violente des résultats n’est pas à exclure, et rien ne dit que le nouveau président aura les mains libres pour gouverner. Nous aurons une instabilité au long cours, propice à une « action de l’armée ». Si la décision finale du président Ouattara lui appartient quant à sa participation à la future présidentielle, elle s’accompagne d’une obligation de cohérence dans son choix. Se retirer aujourd’hui ne serait pas forcément une décision merveilleuse pour lui, pour son parti, et pour la nation. Cette décision ne garantira en aucun cas la paix.
Douglas Mountain
oceanpremier4@gmail.com
Le Cercle des Réflexions Libérales
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