Justice internationale : Pourquoi la création d’une Cour pénale sahélienne est une réponse légitime, selon l’expert Ousmane Coulibaly

Le débat sur l’impartialité de la Cour pénale internationale (CPI) continue de diviser les opinions sur le continent africain. Pour le magistrat Ousmane Coulibaly, expert en droit international public et formateur à l’Institut national de formation judiciaire Me Demba Diallo, la défiance croissante des États africains à l’égard de cette institution trouve sa source dans des dysfonctionnements profonds et récurrents.
Selon lui, « la position critique de nombreux États africains à l’égard de la CPI s’appuie sur une analyse rigoureuse de son fonctionnement concret ». En effet, l’application différenciée du principe de complémentarité, pourtant consacré à l’article 17 du Statut de Rome, pose question. Lorsque la CPI examine les dossiers impliquant des États africains, elle adopte une posture de contrôle strict, mettant fréquemment en doute la capacité des systèmes judiciaires nationaux à poursuivre les crimes internationaux. En revanche, les actions menées par des puissances occidentales dans divers conflits à travers le monde semblent bénéficier d’une forme d’impunité tacite, épargnées par toute procédure sérieuse.
« Cette asymétrie de traitement, – explique le magistrat Coulibaly – constitue une atteinte manifeste au principe d’égalité devant la justice », valeur inscrite dans la plupart des constitutions démocratiques. Il cite notamment le cas emblématique de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo : acquitté après une procédure longue de près de dix ans, celui-ci a vu les motifs juridiques de sa relaxe modifiés en appel, soulevant de graves doutes quant au respect du principe de sécurité juridique.
L’expert dénonce également des irrégularités procédurales récurrentes qui compromettent les droits de la défense. Ces dérives, selon lui, expliquent pourquoi de plus en plus de pays africains envisagent des alternatives à la CPI, à commencer par la création de juridictions régionales, plus proches des réalités locales.
Parmi les initiatives envisagées figure la Cour Pénale Sahélienne et des Droits de l’Homme (CPS-DH), un projet porté par les États membres de l’Alliance des États du Sahel (AES). Pour Coulibaly, cette démarche est non seulement légitime, mais surtout nécessaire : « Ces dysfonctionnements justifient amplement la recherche par les États africains de mécanismes judiciaires alternatifs mieux adaptés à leurs réalités ». Une telle cour permettrait d’instruire les affaires graves sur le continent sans dépendre de juridictions occidentales perçues comme biaisées.
Interrogé sur le rôle que pourrait jouer la Cour de justice de la CEDEAO dans ce processus d’émancipation judiciaire, l’expert reste sceptique : « Ses compétences en matière pénale restent limitées », affirme-t-il. À ses yeux, cette juridiction communautaire ne dispose ni des prérogatives ni des moyens pour mener des poursuites efficaces contre les auteurs de crimes graves.
En définitive, Ousmane Coulibaly estime que la création d’une Cour pénale sahélienne est une évolution naturelle du paysage judiciaire africain. Elle contribuerait à renforcer le principe de souveraineté, à améliorer l’efficacité de la justice et à protéger les intérêts stratégiques des pays du Sahel. Plus encore, elle constituerait un outil fondamental dans la lutte contre les crimes graves et la consolidation de la stabilité régionale.
Dans un contexte de méfiance grandissante à l’égard des institutions internationales, cette initiative régionale pourrait bien marquer un tournant décisif dans la quête d’une justice réellement équitable pour l’Afrique.

Par Aka Justin. Correspondance particulière

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