Reporters sans frontières (RSF) est scandalisée par l’arrestation inouïe du journaliste béninois Hugues Comlan Sossoukpè en Côte d’Ivoire. Réfugié politique au Togo depuis 2021 et connu pour ses enquêtes critiques visant les autorités béninoises, il avait été convié à Abidjan par les autorités ivoiriennes pour une mission professionnelle. Il y a été arrêté dans sa chambre d’hôtel, avant d’être expulsé dans un avion privé à destination de Cotonou, où il a été immédiatement incarcéré.
“RSF condamne avec la plus grande fermeté l’arrestation et la remise de Hugues Comlan Sossoukpè par les autorités ivoiriennes aux autorités béninoises, en violation manifeste de son statut de réfugié. Nous exigeons des explications des autorités ivoiriennes, jusqu’alors silencieuses à ce sujet, et qui se sont rendues manifestement complices de la persécution bien établie d’un reporter en déployant des moyens considérables pour le livrer au Bénin. RSF appelle à la libération immédiate du journaliste et se réserve le droit d’engager toute action nécessaire pour que la coopération bilatérale entre deux pays ne soit pas détournée à des fins de répression transfrontalière contre les professionnels de l’information. »
Arnaud Froger Responsable du bureau investigation de RSF
Ce qui devait être une mission professionnelle s’est transformé en traquenard. Officiellement invité par le ministère ivoirien de la Transition numérique et de la Digitalisation pour couvrir un salon régional sur l’innovation digitale en tant que “journaliste reconnu de la sous-région”, le directeur du média béninois d’investigation Olofofo, Hugues Comlan Sossoukpè, n’imaginait pas être livré aux autorités de son pays, par celles-là mêmes qui l’avaient accueilli.
Arrivé à Abidjan le 8 juillet, le journaliste s’installe à l’hôtel Palm Beach, propriété du Fonds de prévoyance militaire (FPM) de Côte d’Ivoire. Il commence à couvrir le salon dès son ouverture, le lendemain. Dans la soirée du 10 juillet, plusieurs policiers frappent à la porte de sa chambre, selon les informations recueillies par RSF. Il résiste, puis accepte finalement de les suivre avec la promesse qu’il sera amené devant un juge. Il n’en sera rien. Hugues Comlan Sossoukpè est conduit directement au salon d’honneur de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny, une zone normalement réservée aux invités de prestige.
Son statut de réfugié politique, accordé par le Togo où il vit en exil depuis sept ans, est pourtant inscrit noir sur blanc dans son passeport — ce que RSF a pu confirmer. Ce statut aurait dû empêcher qu’il soit transféré. En vain. Le journaliste embarque dans un petit avion privé affrété pour l’occasion et à bord duquel il n’aura pour seule compagnie que les policiers qui l’escortent et les membres d’équipage.
Enfermé au Bénin
Le Beechcraft 1900D se pose à 22h à Cotonou. Le journaliste est débarqué, puis placé en garde à vue à la brigade économique et financière. Le lendemain matin, il est présenté à un juge d’instruction qui lui lit le mandat d’arrêt émis par la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET). Trois chefs d’accusation sont retenus : “harcèlement par le biais d’un système informatique”, “rébellion”, et “apologie du terrorisme”. Il est immédiatement transféré à la prison de Ouidah près de Cotonou, la capitale économique du pays.
Selon son avocat Me Serge Pognon, joint par RSF, le journaliste se porte bien mais dit se sentir “piégé” par la Côte d’Ivoire. Ces derniers mois, il avait fait part à RSF de menaces répétées, y compris au Togo, pourtant pays d’asile. Olofofo, le média en ligne qu’il a fondé et dirigé, a été interdit au Bénin en mars dernier. Le journaliste avait obtenu son statut de réfugié en novembre 2021, deux ans après avoir fui son pays alors qu’il avait contribué à documenter et critiquer les élections législatives de 2019 qui s’étaient déroulées sans l’opposition et qui avaient donné lieu à des manifestations réprimées dans la violence et s’étaient soldées par une abstention massive.
Contacté par RSF, le porte-parole du gouvernement béninois, Wilfried Léandre Houngbedji, s’est contenté de déclarer que le journaliste aurait l’occasion de répondre des accusations portées contre lui sans fournir d’explications sur les conditions de son arrestation. Sollicité par RSF, son homologue ivoirien, Amadou Coulibaly, n’a pas répondu.
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