Une étrange lettre adressée au président Laurent Gbagbo : enjeux d’une initiative troublante attribuée à Ahoua Don Mello

Depuis quelques jours, une lettre attribuée à Ahoua Don Mello, ancien ministre ivoirien et conseiller international, circule sur les plateformes numériques. Elle est adressée à Son Excellence Le Président Laurent Gbagbo, président du PPA-CI et figure historique du multipartisme ivoirien. La lettre soulève un étonnant projet : celui d’inciter Le Président Laurent Gbagbo à désigner plusieurs « candidats de précaution » pour la présidentielle de 2025. La proposition, inédite dans le paysage politique ivoirien, se distingue volontairement des candidatures de substitution – autre pratique controversée – et prétend ouvrir une voie stratégique pour garantir la participation du parti à la compétition électorale.

Mais derrière ce qui pourrait sembler une initiative tactique, plusieurs interrogations profondes émergent, sur le fond comme sur la forme. Qu’il s’agisse d’un texte effectivement signé par Don Mello ou d’un document habilement manipulé pour parasiter les lignes du PPA-CI, les implications sont trop graves pour être écartées d’un revers de la main.

  1. Une initiative solitaire ou une manœuvre concertée ?

Première question de méthode : pourquoi une lettre publique, et non un échange interne ?

Ahoua Don Mello n’est pas un inconnu du sérail. Ancien ministre du Président Laurent Gbagbo, ancien directeur général du BNETD, conseiller stratégique d’Alpha Condé et aujourd’hui représentant des BRICS en Afrique, il jouit sans doute d’une légitimité technique. Certains le présentent, sans confirmation officielle, comme membre du bureau politique voire vice-président du PPA-CI. Mais cette proximité – réelle ou supposée – ne saurait justifier une communication aussi extérieure, presque frontale, en contournant tous les cadres de délibération interne.

S’agit-il d’une pression publique déguisée en conseil stratégique ?

D’une tentative d’alerter sur une menace sérieuse mais non révélée ? Ou bien, d’un positionnement politique personnel, assumé à demi-mot, dans la perspective d’un futur réalignement des forces ? Quelle que soit l’hypothèse, elle contredit la culture d’organisation qui fonde l’identité du PPA-CI : discipline militante, respect des procédures et débat collégial.

  1. Gbagbo, le dÉmocrate : dÉcision solitaire ou processus collectif ?

Personne ne saurait sérieusement croire que Laurent Gbagbo, fondateur d’un parti structuré, bâtisseur de l’alternance démocratique en Côte d’Ivoire, et chef de file d’une école politique forgée dans la résistance et le débat, puisse prendre des décisions aussi fondamentales hors cadre statutaire.

Proposer par voie de presse une refondation tactique majeure – la désignation de multiples candidats – revient à ignorer, voire à nier, l’existence du Comité central, du Secrétariat général, du Conseil stratégique, et des instances de base du parti. Une telle initiative, aussi provocante soit-elle, ne saurait être prise au sérieux sans consultation préalable de ces organes. Cela revient à suggérer que Le Président Laurent Gbagbo pourrait céder aux sirènes de l’improvisation, lui qui a toujours opposé au chaos une pensée stratégique et patiente.

  1. Des candidatures multiples : juridiquement flou, politiquement dangereux

Même sur le plan technique, la proposition semble douteuse. La loi électorale ivoirienne autorise-t-elle plusieurs candidatures issues d’un même parti ? Aucune disposition actuelle ne semble le permettre.

Plus fondamentalement, une élection présidentielle est, en Côte d’Ivoire comme ailleurs, la rencontre entre un peuple et une vision portée par une personnalité claire, unique, identifiée. Une multiplicité de candidats du même bord, sous le même label, n’est pas un signe de force mais d’ambiguïté, de flottement, voire de désorientation stratégique.

En termes d’image et de message politique, la confusion serait maximale : comment faire campagne de manière cohérente ? Comment incarner un projet national unifié avec plusieurs figures officielles issues du même parti ? Quelle lisibilité pour les électeurs, les militants, les partenaires internationaux ? L’effet pourrait être désastreux, et ouvrir la voie à des lectures contradictoires, voire à des manipulations internes ou externes.

  1. Le PPA-CI : un parti structurÉ, un candidat désignÉ, une ligne claire

Le contexte est clair : le PPA-CI a désigné son candidat. Il s’agit de Laurent Gbagbo lui-même. Sa candidature a été actée par les structures du parti, portée par les militants, et défendue sur le terrain à travers une campagne de proximité active. Le mot d’ordre est limpide : « Gbagbo ou rien », pour beaucoup de militants qui y voient à la fois un cri de résistance et un symbole de clarté politique.

L’idée de « candidatures de précaution » vient donc heurter de plein fouet cette dynamique, cette stratégie déjà en marche, ce mouvement populaire qui s’enracine dans le terrain. Elle semble déconnectée, abstraite, presque technocratique, alors que l’échéance de 2025 s’annonce comme une bataille politique décisive.

  1. Une manœuvre ou une fracture ?

Dès lors, deux hypothèses sérieuses peuvent être formulées :

  • Soit la lettre est un faux, une manipulation politique visant à semer la confusion dans les rangs du PPA-CI, à l’approche de décisions cruciales. Ce ne serait pas la première fois que des acteurs extérieurs tentent d’instrumentaliser les médias pour fragiliser l’unité de l’opposition.
  • Soit elle est bien de Don Mello, et dans ce cas, elle traduit une ligne politique dissidente, en rupture avec les orientations actuelles du parti. Ce serait un signal inquiétant, non seulement pour la cohésion interne, mais aussi pour la discipline idéologique du PPA-CI.

Dans les deux cas, une clarification s’impose. Le concerné doit s’exprimer, confirmer ou infirmer la paternité du document, expliquer ses intentions, replacer ses propositions dans un cadre lisible. Il en va de sa crédibilité personnelle, mais aussi de la stabilité interne d’un parti dont les adversaires rêvent de voir se fissurer les lignes.

  1. En politique, l’ambiguïté est un poison

L’histoire récente de la Côte d’Ivoire nous l’a appris : le flou stratégique est toujours une aubaine pour les puissances hostiles à une souveraineté populaire réelle. Toute hésitation, toute brèche dans le front politique, toute parole désordonnée, peut devenir une faille exploitée pour neutraliser les aspirations profondes du peuple.

La présidentielle de 2025 ne sera pas une simple élection. Ce sera un moment de vérité démocratique, de repositionnement historique, un acte de souveraineté populaire. À ce titre, elle appelle à la clarté, au sérieux, à la rigueur. Ni les initiatives isolées, ni les bricolages tactiques ne peuvent tenir lieu de ligne stratégique.

En conclusion : parler clair, dÉcider ensemble

La politique n’est pas une foire aux idées, ni un laboratoire pour expérimentations tactiques. Elle est affaire de responsabilité collective, de lisibilité publique, de cohérence stratégique.

Il ne suffit pas de proposer des « précautions ». Il faut porter un projet. Un parti n’est pas un club de réflexion. C’est une machine de combat démocratique, structurée autour de décisions mûries, portées, assumées.

La lettre – qu’elle soit vraie ou fausse – invite donc moins à une réforme tactique qu’à un examen de conscience sur le sens de l’engagement politique. Et à la nécessité, impérieuse, de maintenir l’unité, la rigueur et la cohérence dans un moment décisif.

© DR KOCK OBHUSU

Économiste – Ingénieur

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