Face au blocage politique, faut-il garder un œil prudent sur l’armée ivoirienne ?

Le pays s’approche de la présidentielle dans une atmosphère de plus en plus crispée. Les candidats pressentis par les deux principaux partis d’opposition sont pour l’heure exclus de la course, et ces deux partis n’entendent pas en présenter d’autres. Ajouter à cela la contestation de l’éligibilité du président actuel à un quatrième mandat. Ainsi on s’achemine visiblement vers une confrontation ( certainement dans la rue ) entre le pouvoir et l’opposition. Ce ne serait malheureusement pas la première fois dans ce pays. De 1995 à 2020, sur cinq présidentielles, seule celle de 2015 fut « sans violences ». La présidentielle de 2025 semble réunir les ingrédients d’une nouvelle conflagration.

Si l’armée est apolitique, il ne faut pas perdre de vue que ce sont avant tout des citoyens qui la composent. Ainsi elle reste d’une manière ou d’une autre exposée aux tensions qui agitent la société. On sait que ce sont les tensions politiques qui sont à l’origine de la chute du pouvoir en 1999 sous l’intervention d’une partie de l’armée. Un tel scénario est-il susceptible de se reproduire aujourd’hui ?

En Guinée Conakry et au Gabon, les pouvoirs ont été renversés dans un climat politique tendu, marqué par la contestation de la légitimité du régime en place suite aux présidentielles. L’irruption des militaires sur la scène politique a été bien accueillie dans l’ensemble par les populations de ces deux pays. Au Gabon, le général Brice Clotaire N’Guema jouit toujours d’une énorme popularité, elle est un peu plus nuancée en Guinée avec Mamadi Doumbouya. En Côte d’Ivoire en 1999, et au Mali en 2000, les militaires sont aussi intervenus dans un contexte politique troublé, ils furent aussi bien accueillis au départ par la population et la classe politique. Mais les choses se sont gâtées par la suite, du fait de leur volonté de demeurer dans la place. C’est dire que dans un contexte troublé, l’irruption des militaires sur la scène politique semble toujours bien accueillie du moins au départ.

Au Gabon, en Guinée Conakry, et au Niger, ce sont les gardes présidentielles qui ont renversé le pouvoir, en d’autres termes les unités censées empêcher les putschs, les ont-elles mêmes réalisées, et selon le même mode opératoire, retenir le président en otage afin d’empêcher un assaut du reste de l’armée. Evidemment la leçon a été retenue par les présidents sur le continent. Des dispositions ont certainement été prises, et il n’est pas sûr qu’un tel scénario puisse de nouveau se reproduire en Afrique francophone. D’autre part, le pouvoir ivoirien a aussi du recul avec les évènements de 1999, 2000, 2002, 2010-2011. Ces évènements contiennent des leçons précieuses qui ne peuvent pas avoir échappé aux dirigeants actuels. A cela s’ajoutent les leçons tirées des deux mutineries de 2017 que le pouvoir a su gérer, et qui ont donné lieu à des ajustements dans la mise au pas de l’armée. Enfin, le haut commandement de l’armée ivoirienne est « homogène » aujourd’hui, avec une fidélité qu’on peut qualifier de « totale » au pouvoir en place.

Aussi des évènements tels que ceux du Gabon, de la guinée Conakry, du Mali et du Niger, sont hautement improbables en Côte d’Ivoire même dans un contexte de tensions politiques extrêmes. L’armée est parfaitement tenue par le pouvoir, elle lui est dévouée avec un certain zèle, elle reste républicaine. Cela dit, il ne faut jamais perdre de vue que l’issue d’un putsch se joue plus sur le terrain de la psychologie que sur celui des armes et du nombre. Un sous-officier ou un simple soldat de rang peut sortir de nulle part et avoir suffisamment de charisme et d’ hardiesse ( les qualités requises ) pour entraîner les autres derrière lui. Ce ne sont pas les exemples qui manquent dans l’histoire de l’Afrique. Un putschiste potentiel va certainement tenir compte du fait que les pouvoirs sont aujourd’hui préparés contre les scénarios « de prise en otage du président » tels que vu au Gabon, en Guinée et au Niger. Il va s’y prendre autrement pour créer ce vide nécessaire à la réussite de sa manœuvre.

Aussi le pouvoir ivoirien doit veiller à ne pas pêcher par un excès d’assurance à l’instar de celui en place en 1999. Dans un contexte politique troublé, il est tentant pour un officier de se voir à la tête d’un régime de « transition », sachant qu’il pourra surfer (du moins au début) sur le mécontentement d’une partie de la population et de la classe politique. Ainsi donc si l’armée ivoirienne reste loyale, cela ne doit pas exclure la vigilance. Bien sûr cette vigilance ne doit pas déboucher sur une « chasse aux putschistes » qui va affoler de façon incontrôlée les hommes, et créer une atmosphère de délation. Mais en tout état de cause, il faut garder un œil prudent et « anticipatif » sur l’appareil militaire.

Douglas Mountain

oceanpremier4@gmail.com

Le Cercle des Réflexions Libérales

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