Crise de l’école ivoirienne: la sortie critique des « Démocrates de Côte d’Ivoire » après les examens

Déclaration du mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » sur la qualité de l’école ivoirienne après les examens scolaires

Les examens à grand tirage viennent de prendre fin avec la proclamation des résultats du baccalauréat ce lundi 7 juin 2025. Du CEPE au baccalauréat en passant par le BEPC, les résultats sont flatteurs. La Côte d’Ivoire affiche d’excellents résultats scolaires. Notre système éducatif, en apparence, se porte bien et même très bien. Apprécions les différents taux de réussite :
Taux de réussite :
Au CEPE : 86, 58%
Au BEPC : 51, 44%
Au Bac : 40,15%.

Les taux sont excellents. Et pourtant, l’envers du décor n’est pas bon à voir. Le constat est sans appel. Les bilans du PASEC sont faibles pour la Côte d’Ivoire. Les élèves en classe de 3e ont le niveau 5e. Des élèves de 6e, 5e, 4e et 3e sont incapables de lire correctement une phrase ou une situation d’apprentissage.
Au sortir de l’école primaire, le niveau des élèves en calcul, lecture et écriture est des plus catastrophiques. Qui est le responsable de cette désastreuse situation ? Plusieurs facteurs expliquent cette qualité déplorable de notre système éducatif. Mais, pour le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », l’Etat de Côte d’Ivoire est le principal responsable de la situation dans laquelle se trouve notre système éducatif.

Pourquoi l’Etat de Côte d’Ivoire est-il le premier responsable de la mauvaise qualité de notre système éducatif ?
L’on part du constat que les caractéristiques du système éducatif reflètent la conception étatique de l’éducation (Vandenberghe, 2001). Les enseignants et les autres acteurs du système éducatif ne sont que des exécutants : ils exécutent les tâches exigées en fonction des normes et directives imposées par les ministères en charge de l’éducation-formation. En plus, un contrôle de conformité exigé est fait par des inspecteurs spécialisés, et des statistiques sont produites pour vérifier que chaque acteur entre dans la vision imposée.

Les parents d’élèves à leur tour ne font que suivre le mouvement imposé. Ils sont accusés de ne pas encadrer assez leurs enfants alors que, dans les 60-70, avec des parents d’élèves majoritairement analphabètes, le système éducatif ivoirien avait un très bon niveau et attirait même des élèves d’autres pays.

C’est l’Etat qui pense le système éducatif et c’est l’Etat qui l’oriente dans une direction donnée. Quand le niveau d’évaluation est abaissé et aligné sur le niveau réel des élèves sans que rien ne soit fait pour relever ce niveau des élèves, la décision ne vient pas des parents d’élèves. Vraisemblablement, la Côte d’Ivoire, dans sa gouvernance actuelle, a du mal à assurer le développement d’un système éducatif performant et de qualité.

Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » salue les initiatives et les efforts de la ministre Mariatou Koné pour améliorer la qualité et l’image de notre système éducatif. Mais, plusieurs décennies de lacunes structurelles ne peuvent pas être effacées par quatre années de ministère. Les lacunes structurelles que présente le système éducatif ivoirien reposent sur les choix économiques faits par l’Etat et les dispositifs et pratiques d’apprentissage mis en place depuis des décennies.

L’imposition de quotas de redoublement tue l’école ivoirienne

Pour résoudre le problème du taux d’abandon et de redoublement qui était élevé et avoir un taux d’achèvement acceptable, le ministère de l’éducation nationale a encouragé, dans le primaire, le recours à des quotas de redoublement ; les redoublants ne pouvant excéder les 10% de l’effectif de la classe. Ce sont des objectifs de rendement à atteindre et, les enseignants et les inspections sont tenus de les respecter.

Pour atteindre leurs quotas d’admission, les enseignants sont obligés de descendre en dessous du seuil normal pour passer en classe supérieure et de faire des arrangements au risque de se faire taper dessus par l’inspecteur. On poursuit ainsi des pourcentages élevés au niveau du taux de réussite et de diplomation qu’on gonfle artificiellement.
Mais, en retour, la qualité de l’enseignement se trouve diluée. Les chiffres sont flatteurs mais, en réalité, le système est tiré vers le bas d’année en année. Et, d’année en année, les enseignants constatent que les élèves n’ont pas le niveau requis pour être dans la classe où ils sont admis. Mais ils doivent faire avec. C’est pourquoi on a en 3e des élèves qui ont le niveau 5e ou des élèves de terminale avec le niveau de la classe de seconde.

Le système de quotas institué depuis de nombreuses années tue l’école ivoirienne puisqu’il permet de faire passer en classe supérieure des élèves qui ne le méritent pas, qui n’ont ni le niveau de la classe qu’ils quittent ni celui de la classe qu’ils intègrent. Mais le ministère de l’Education nationale veut des indicateurs positifs. Et comme l’enseignement est une chaîne, c’est ce que produit l’école primaire que récupère le secondaire et ainsi de suite. Ainsi, la quête du bon pourcentage à tous les prix a-t-il fini par saper le système éducatif dans ses fondements mêmes et dans sa qualité.

Dans la réalité, les performances affichées par notre système éducatif ne reflètent pas le niveau et le rendement réels des apprenants. Elles sont artificielles et trompeuses et ne résistent pas à la comparaison internationale d’autant plus qu’elles sont inférieures à la moyenne africaine. Cela est sans compter avec la non-maîtrise par certains acteurs des nouvelles méthodes pédagogiques, elles aussi sources des problèmes du système éducatif. Ces éléments expliquent en partie les faibles compétences des élèves ivoiriens aux évaluations internationales.

Le choix économique opéré par la Côte d’Ivoire détruit son système éducatif

Depuis de nombreuses années, la Côte d’Ivoire a fait le choix stratégique de réduire l’offre publique d’éducation dans l’enseignement primaire et secondaire, avec tous les risques qui accompagnent ce choix. L’enseignement supérieur a été, lui aussi, impacté par cette même politique éducative.

L’Etat de Côte d’Ivoire a renoncé, en partie, à son monopole de prestataire unique de services éducatifs et a confié son système à des prestataires privés, et cela, dans le but de réduire ses dépenses en matière d’éducation ou pour faire face à son incapacité à investir davantage dans son système éducatif. Cela a entraîné la floraison des établissements privés. C’est, en fait, une délégation de responsabilités qui a été faite.

Aujourd’hui, on note, au titre de l’année scolaire 2023-2024, que, dans le secondaire, l’offre éducative en Côte d’Ivoire est dominée par le privé. 77, 5% des établissements sont privés, avec 63% des effectifs scolaires, pendant que le public n’assure que 22, 51% de cette même offre, avec 37% des élèves (Sources : MENA/DESPS/Portail d’informations et de promotion économique de Côte d’Ivoire).

Ce modèle économique n’existe nulle part au monde, même pas aux États-Unis, champion du libéralisme économique, où les élèves des écoles privés ont constamment représenté environ 10% des effectifs scolaires. La grande majorité (90%) de la maternelle à la terminale fréquente des écoles publiques. Et les écoles privées ne représentent, en 2024, que 7% de l’offre éducative. En France, près de 18% (chiffres de 2024) des élèves sont dans les écoles privées (maternelles et élémentaires, collèges et lycées) sous contrat avec l’Etat.

C’est sur recommandation des institutions financières internationales que la Côte d’Ivoire et les pays africains ont adopté ce modèle économique de financement et d’investissement pour leur école, à travers une politique de privatisation des services publics imposée par les programmes d’ajustement structurel dès 1990. Et pourtant, il est de notoriété que les pays où l’Etat n’a pas renoncé à son rôle éducatif régalien produisent les meilleurs systèmes éducatifs. Ces orientations stratégiques sont de nature à fragiliser durablement les pays africains et pauvres.

Quelle trajectoire doit prendre le système éducatif ivoirien ?

Faut-il rester dans ce modèle économique et essayer de s’en sortir ou faut-il changer diamétralement de direction et de vision ? La question reste posée.

Tout système éducatif est le produit d’une société et d’une vision. Et le système éducatif que l’on se donne dépend du modèle de société que l’on veut bâtir. La vision économique dans laquelle a été inscrite le système éducatif ivoirien ne s’accompagne pas d’une vision stratégique visant à en faire un pays développé mais reste attachée à sa conception initiale de colonie d’exploitation et ne vise pas à son autonomie scientifique et technologique.

La Côte d’Ivoire doit passer d’une société de consommation à une société de production et résoudre le problème de la vulnérabilité stratégique de son système éducatif. L’école doit donner un niveau scientifique, académique, technologique et industriel capable de contribuer à l’essor économique et à l’autonomie stratégique de tout pays. Les pays industrialisés et les pays émergents l’ont compris.

Ce n’est malheureusement pas le cas pour la Côte d’Ivoire et les pays africains. Malgré des décennies de sanctions économiques et technologiques occidentales, un pays comme l’Iran a démontré, le mois dernier, une avancée technologique que même les pays occidentaux n’ont pas parce qu’il s’est donné un système éducatif qui répond à ses besoins stratégiques propres et le classe, en de nombreux domaines scientifiques et autres, loin devant les pays occidentaux parmi les plus en vue.

Le système éducatif est créateur de société et de personnalité individuelle et nationale. Il doit optimiser la personnalité des élèves en fonction de l’apprentissage et de la société à bâtir et de ses besoins. Il doit apporter à l’apprenant une éducation à la vie, une culture morale, patriotique et citoyenne adéquate, des compétences professionnelles et des aptitudes pratiques. Il doit aussi contribuer à sa construction idéologique dans un monde ouvert, en compétition mais aussi en grande mutation.

En effet, il y a, dans le monde, une guerre de l’esprit dans laquelle certaines entités étatiques aspirent à phagocyter d’autres pour les faire basculer dans un camp. Dans cette guerre, tout peuple qui ne se réapproprie pas son système éducatif est condamné à périr et à être l’esclave des autres car c’est le système éducatif qui produit le développement. Il en est le socle et le moteur.

Quelles solutions envisager dans le court terme pour l’école ivoirienne ?

Il est vrai qu’il faut revoir les taux d’abandon et de redoublement encore élevés. Mais, il faut que notre système éducatif renoue avec la qualité. Le système éducatif ivoirien doit être aligné sur les ambitions et le potentiel économiques de la Côte d’Ivoire. On ne peut pas être la locomotive de l’UEMOA et avoir un système éducatif classé parmi les derniers d’Afrique. C’est une aberration politique. Améliorer au crayon les indicateurs de performance de l’école sans améliorer sa qualité, c’est donner un coup d’épée dans l’eau. On ne peut pas cacher le soleil avec la main. Ce qui est mauvais finit toujours par se savoir et, en public.

Il faut une politique de haute qualité de l’éducation et, surtout, dans la formation et dans le recrutement des enseignants. Il faut sortir le recrutement des enseignants de toutes les formes de complaisance et des considérations ethno-politiques. Cela est fondamental si l’on ne veut pas rater le train du développement économique et social au XXIe siècle.

Il faut des fonds publics supplémentaires pour soutenir cette politique de haute qualité. Cela signifie qu’il faut accroître les dépenses d’éducation et de formation. Actuellement, nous consacrons seulement 9, 38% de notre budget (2025) à l’éducation alors que, dans le même moment, 26% de ce budget servent à rembourser la dette. Cela montre qu’un endettement élevé joue sur les fonds alloués à l’école puisque le remboursement des dettes entraîne des coupes budgétaires. Et, c’est, chaque fois, le social qui est sacrifié.

Au lieu d’imposer des quotas qui jouent artificiellement sur le taux de réussite en fin d’année scolaire au primaire, il faut envisager une solution pédagogique pour les élèves en difficultés scolaires. Avec les quotas, on sauve les apparences mais on détruit la qualité du système éducatif. Cette logique du court terme est dangereuse pour le pays qui se retrouve, à long terme, face à des difficultés insurmontables.

Il est connu, de façon générale, que les élèves ivoiriens, au sortir de l’école primaire, ne savent ni lire, ni écrire, ni calculer convenablement. Il faut donc prendre en charge ces élèves en difficulté scolaire sans exclure tous les autres puisque tout le système est impacté par ce problème. En plus de la progression ordinaire nationale, ce dispositif de prise en charge doit faire l’objet d’une prescription et d’une progression dans les apprentissages.
Mais, il doit être souple et permettre à l’enseignant de procéder aux remédiations nécessaires en fonction des difficultés identifiées en lecture, en écriture et en calcul chez ses élèves Ce dispositif d’accompagnement pédagogique ou d’aide et de soutien aux élèves répond à la question de comment aider les élèves à s’améliorer (à améliorer leurs compétences en lecture, en calcul et en écriture) et à progresser d’eux-mêmes sans les faveurs du quota de redoublement et le coup de pouce des mesures tendant au nivellement par le bas.

Pour conclure

Si jusqu’en 1990, la Côte d’Ivoire pouvait continuer à demeurer dans le paradigme colonial, formant avec, pour seul débouché, la fonction publique, aujourd’hui, avec l’explosion du taux de chômage des diplômés, elle doit se réinventer un autre modèle économique. Elle doit aussi réinventer son école en se dotant d’un système non pas performant par des pourcentages élevés aux examens nationaux mais dans les compétences réelles des élèves, sans lesquelles ils ne pourraient pas faire face à la concurrence internationale et entrer dans ce 21e siècle où les défis sociaux, économiques et technologiques sont énormes pour toutes les sociétés. Militer pour l’amélioration de la qualité de l’école ivoirienne, c’est du patriotisme éducatif que doit s’approprier toute la société ivoirienne sans considération politique.
Fait à Abidjan, le 07 juillet 2025.
Pour « Les Démocrates de Côte d’Ivoire ».
Le Président
Prof. Séraphin Prao

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