Créées dans une dynamique panafricaine visant à promouvoir l’intégration, la paix et la démocratie sur le continent, la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine (UA) suscitent aujourd’hui de vives critiques. Accusées de partialité, d’inaction sélective, voire de complicité avec les régimes autoritaires, ces organisations sont de plus en plus perçues comme des entités détachées des aspirations populaires africaines, servant davantage des intérêts extérieurs que ceux des peuples qu’elles prétendent représenter.
Les cas récents du Togo et de la Côte d’Ivoire, marqués par des dérives autoritaires flagrantes, contrastent avec la fermeté des sanctions imposées aux régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Cette gestion à géométrie variable soulève une question fondamentale : à quoi servent réellement la CEDEAO et l’Union africaine ?
I. Le cas togolais: une oppression longue de 50 ans dans l’indifférence régionale
Depuis plus d’un demi-siècle, le peuple togolais vit sous le joug d’une dynastie dictatoriale, celle des Eyadéma. Après Gnassingbé Eyadéma, au pouvoir de 1967 à 2005, son fils Faure Gnassingbé a repris le flambeau, perpétuant un système autoritaire appuyé par une armée majoritairement acquise à sa cause.
En avril 2024, le régime a opéré une réforme constitutionnelle unilatérale, remettant le compteur présidentiel à zéro, afin de permettre à Faure Gnassingbé de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2031, voire au-delà. Face à cette manipulation institutionnelle, une grande partie du peuple togolais est descendue dans la rue. La répression a été sanglante: 7 manifestants tués, des dizaines blessés, des arrestations arbitraires… Et pourtant, aucune réaction officielle de la CEDEAO ni de l’Union africaine.
Ce silence n’est pas anodin. Il illustre une forme d’acceptation tacite de l’autoritarisme, tant que celui-ci ne bouleverse pas les équilibres géopolitiques convenus avec les puissances extérieures. En d’autres termes, tant qu’un régime reste « stable » — peu importe qu’il soit répressif ou illégitime — il demeure fréquentable et protégé.
II. Côte d’Ivoire : une démocratie confisquée dans l’impunité diplomatique
La situation ivoirienne renforce cette impression d’impunité sélective. En 2020, le président Alassane Ouattara a brigué un troisième mandat, en violation flagrante de la Constitution ivoirienne qui limitait les mandats à deux. Cette dérive a provoqué des manifestations durement réprimées (plus de 85 morts), mais elle n’a suscité ni condamnation ni sanctions de la part de la CEDEAO ou de l’UA.
Pire encore, Ouattara est aujourd’hui sur le point de récidiver. Des signaux indiquent qu’il prépare une nouvelle manœuvre pour se représenter en 2025, prolongeant encore un pouvoir contesté. Là encore, le silence des institutions régionales est assourdissant.
Ce double standard — tolérance pour les régimes « alliés » de l’Occident, sanctions contre les régimes militaires « souverainistes » — mine la crédibilité de ces organisations. Le message envoyé est clair: les tripatouillages constitutionnels sont acceptables, tant qu’ils garantissent les intérêts stratégiques et économiques des puissances étrangères.
III. Une sévérité à géométrie variable: l’exemple du Sahel
En contraste avec l’attitude indulgente envers Lomé ou Abidjan, la CEDEAO et l’Union africaine ont été d’une fermeté inédite face aux coups d’État militaires au Mali (2020, 2021), au Burkina Faso (2022) et au Niger (2023).
Ces pays, dirigés par des militaires qui ont remis en cause la domination française et prôné une politique souverainiste, ont subi une cascade de sanctions: fermeture des frontières, suspension des aides, gels des avoirs, menaces d’intervention militaire (dans le cas du Niger). Or, ces régimes bénéficiaient souvent d’un large soutien populaire, lassé de décennies d’instabilité et de gouvernements alignés sur les intérêts étrangers.
Cette disproportion des réactions soulève des questions sur les véritables critères d’intervention de la CEDEAO et de l’UA. Pourquoi tant de zèle contre des régimes qui prétendent vouloir rompre avec l’ordre néocolonial, alors que les présidences illégales, les tripatouillages et les répressions sanglantes dans d’autres pays ne déclenchent aucune alerte diplomatique ?
IV. Organisations africaines ou relais de l’Occident ?
De plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer le rôle de courroies de transmission des intérêts occidentaux que jouent la CEDEAO et l’Union africaine. Ces structures, largement financées par l’Union européenne, les États-Unis ou la France, sont soupçonnées de ne pas représenter les peuples africains mais les agendas géostratégiques extérieurs.
Ainsi, dans les cas du Togo ou de la Côte d’Ivoire, les chefs d’État sont perçus comme des alliés fiables pour maintenir l’ordre économique et sécuritaire souhaité par les bailleurs de fonds internationaux. Leur autoritarisme, aussi flagrant soit-il, est donc toléré, voire soutenu en coulisses.
À l’inverse, des gouvernements qui revendiquent une indépendance stratégique ou qui veulent diversifier leurs partenariats (comme avec la Russie, la Chine ou la Turquie) se retrouvent rapidement stigmatisés, voire isolés diplomatiquement.
Cette logique rappelle douloureusement celle des « bons dictateurs » et des « mauvais souverainistes », en fonction de leur positionnement dans l’échiquier international. C’est cette réalité qui alimente aujourd’hui le désenchantement croissant des peuples africains envers leurs institutions régionales.
Conclusion: trahison des peuples, nécessité de refondation
Le mutisme de la CEDEAO et de l’Union africaine face à des abus manifestes de pouvoir — comme ceux observés au Togo et en Côte d’Ivoire — contraste violemment avec leur activisme contre des régimes militaires perçus comme rebelles à l’ordre établi. Cette incohérence n’est pas anodine. Elle reflète une crise de légitimité, d’indépendance et de proximité avec les peuples.
Ces organisations doivent choisir: soit elles se réforment en profondeur pour devenir les véritables porte-voix des aspirations démocratiques africaines, soit elles continueront à être vues comme des structures vides, complices des oppressions, et perdront peu à peu toute crédibilité.
L’heure est venue de poser les bonnes questions: à quoi servent vraiment la CEDEAO et l’Union africaine ? Et, surtout, qui servent-elles ? Les peuples africains attendent des institutions qui les défendent, non des gestionnaires complaisants de la soumission.
Jean-Claude DJEREKE
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