Après Tunis (1985) le Caire (1987), Alger (2011), Addis-Abeba (2015), Abuja (2018), et Lagos (2023), Abidjan sera en 2027 la septième ville africaine à disposer d’un métro, bien entendu si l’actuel chantier arrive à son terme et si les délais sont tenus. Abidjan sera certainement suivi de Luanda la capitale angolaise dont les travaux du métro ont aussi débuté. Les villes d’Accra et de Nairobi planchent aussi sur la construction d’infrastructures similaires. C’est une tendance de fond dans le développement des capitales africaines en ce moment. A Dakar et à Johannesburg, nous avons des TER (Train Express Régional), qui ne sont pas considérés comme des métros au sens strict du terme.
Tidjane Thiam le vrai « père » du métro ?
Le projet d’un train urbain dans la ville d’Abidjan date des années 70 sous le président Houphouët. Au début des années 80 on parlait d’un métro souterrain en Côte d’Ivoire. Le projet fut abandonné du fait de sa complexité et de son coût. A vrai dire il n’avait pas été réellement formalisé dans un document précis. Le projet fut remis sur la table en 1996 dans un vaste programme d’infrastructures élaboré sous le président Bédié, dénommé « les douze travaux de l’éléphant d’Afrique ». Ce programme fut développé par le Bureau National d’Etude Technique et de Développement (BNTED), qui avait alors à sa tête un certain Tidjane Thiam. Pourtant le projet actuel du métro est totalement différent et ne s’appuie en rien sur celui conçu par ce dernier.
Le projet du train urbain conçu par le BNTED sous Tidjane Thiam consistait à utiliser les infrastructures existantes en faisant circuler les trains sur la voie ferrée qui date de l’époque coloniale. Cela avait l’avantage de minimiser les coûts. Ainsi le gros des investissements concernait l’achat de nouveaux trains, d’une nouvelle signalisation, et la réhabilitation des gares existantes. Il faut rappeler que cette voie n’est pas doublée, et l’écartement des rails n’est pas au standard actuel (1,435m ) ce qui limitait les options dans le choix des équipements, les trains circulant sur cet écartement des rails n’étant presque plus fabriqués. Le coût global du projet de train urbain était d’environ 100 milliards de FCFA. Nous étions dans les années 90, le projet était innovant, aucune capitale subsaharienne ne disposait alors d’une telle infrastructure. Malheureusement entre 1996 et 2010, il n’a pu être mis en œuvre du fait de l’instabilité politique.
Lorsqu’en 2013 le projet fut de nouveau mis sur la table, soit 17 années plus tard, il était dépassé. Partout en Afrique les projets qui naissaient intégraient de nouvelles voies à l’écartement standard des rails. Le nouveau projet du train d’abidjan s’est donc inscrit dans cette tendance, et a été rebaptisé « métro ». Il s’agissait désormais de faire circuler de nouveaux trains sur une nouvelle voie, avec de nouvelles gares et stations. Les infrastructures datant de l’époque coloniale ne seraient plus utilisées. Ainsi le projet conçu par Thiam fut abandonné.
Le nouveau projet
Aujourd’hui le métro d’Abidjan se décline comme suit : une nouvelle voie ferrée doublée sur un trajet de 37,4 km partant d’Anyama à l’aéroport de Port- Bouet, avec un écartement standard des rails. Elle jouxte l’ancienne voie ferrée sur environ 32 km, puis suit un nouveau tracé vers l’aéroport en longeant la voie expresse menant à la ville de Bassam. Sur le trajet nous avons 02 gares, 18 stations, un dépôt ferroviaire, un pont sur la lagune au plateau, 20 pont-rail (le train passe au-dessus de la route), 04 pont-route (la route passe au-dessus des rails), 08 passages souterrains, 01 saut de mouton (petit fly-over), 34 passerelles piétonnes. Le matériel roulant se compose de 20 trains de cinq rames chacun, à traction électrique, circulant à 80 km/h , effectuant le trajet en 50 minutes, pour un trafic d’ environ 500 000 passagers par jour. Notons que les voies du métro seront délimitées par un mur de béton de part et d’autre.
Coût total de l’investissement quelque 1,77 milliards d’euros (soit 1 161 milliards de FCFA) financé par un prêt de l’Etat français. Le métro est construit par un consortium de quatre entreprises françaises (Bouygues, Alstom, Colas Rail, et Keolis), et sera opéré par la STAR (société de transport abidjanais sur rail). L’origine français du financement a conduit à l’exclusion d’entreprises sud coréennes qui au départ étaient parties prenantes au projet.
Le financement du métro ne fut pas facile à mettre en place du fait qu’il était très enlevé. Le chantier fut lancé en Novembre 2017, mais les travaux effectifs ont débuté en Novembre 2023, soit six années plus tard, un délai dû à la libération des emprises, mais aussi et surtout à la complexité des questions techniques, financières, administratives et juridiques qui se sont posées. C’est cette complexité et ce coût qui ont amené les autorités ivoiriennes à renoncer à la seconde ligne qui devait relier Bingerville à Yopougon. En lieu et place un BRT (bus transit rapide) sera construit.
Match Métro (Abidjan) Vs TER (Dakar)
Le Métro d’Abidjan est souvent comparé au TER de Dakar, qui à terme doit relier le centre ville de Dakar à l’aéroport international Blaise Diagne. Tous deux sont l’œuvre d’entreprises françaises. Le TER a été construit en deux phases, d’abord de Dakar à la nouvelle ville de Diamniadio soit 36 km pour un coût de 883,1 milliards de FCFA, puis de Diamniadio à l’aéroport international Blaise Diagne soit 19 km pour un coût de 253 milliards de FCFA. Nous avons le tableau comparatif suivant :
TER METRO
Longueur du trajet 56 km 37,4 km
Capacité du volume des Passagers transportés 300 000 / jour 500 000 / jour
nombre stations 14 18
nombre pont-route 05 04
nombre pont-rail 15 20
nombre passerelles piétonnes 50 34
Vitesse de circulation des rames 160 km/h 80km/h
Coût global ( milliards de FCFA) 1 136 1 161
Le TER dakarois est conçu pour desservir des villes, tandis que le métro est circonscrit à la capitale Abidjan et sa banlieue.
Le chantier du métro d’Abidjan menacé par la présidentielle ?
Le métro d’Abidjan est le plus important investissement jamais réalisé en Côte d’Ivoire, et l’un des plus grands projets d’infrastructure de transport public en Afrique sub saharienne ces dernières années. Les Ivoiriens semblent ne pas mesurer l’enjeu de ce gigantesque projet, qui va à la fois métamorphoser l’esthétique de la ville, et la physionomie des transports publics dans la capitale. Un écosystème de prestataires et de fournisseurs commence à se mettre en place. Le métro va générer de nouveaux métiers. D’ores et déjà un cycle de formation a été mis en place à l’INPHB de Yamoussoukro en lien avec cette infrastructure. Il n’est pas exclu qu’il soit prolongé vers la ville de Bassam, qui de fait est quasiment devenue à l’instar d’Anyama, une banlieue de la capitale.
L’instabilité politique on le sait freine l’investissement. L’exécution des « 12 travaux de l’éléphant d’Afrique » ne fut pas possible pendant près de 12 ans du fait du contexte politique. Ce fut une décennie perdue pour la Côte d’Ivoire. Certains des chantiers qui avaient commencé ont stoppé pour ne reprendre qu’après cette longue période. D’autre part un changement « pacifique » du pouvoir ne signifiera pas forcément la poursuite des grands chantiers en cours (Métro, Tour F, BRT, etc….), et verra certainement l’abandon des chantiers qui n’ont pas encore été lancés, tel le futur gigantesque pont sur le canal de Vridi. Les nouveaux maîtres voudront certainement renégocier certains contrats. Les élections à venir seront-elles fatales au métro en cas de changement de régime ? Ce chantier va-t-il survivre au départ de l’équipe actuelle ? La question reste posée.
Douglas Mountain
oceanpremier4@gmail.com
Le Cercle des Réflexions Libérales
Commentaires Facebook