Il y a quatre jours, un billet publié sur la page Facebook « Venance Konan pour un développement durable » a suscité l’indignation de nombre d’observateurs attentifs à la vie politique ivoirienne. Dans ce billet, l’auteur, chassé en août 2021 de la direction de « Fraternité Matin », le journal gouvernemental ruiné par sa gestion calamiteuse et connu pour son ton donneur de leçons, se livre à une attaque à peine voilée contre l’ancien président Laurent Gbagbo. En associant ce dernier au général Robert Gueï dans une phrase cynique — « Qui pouvait imaginer Robert Gueï et toi un jour dans le fauteuil d’Houphouët-Boigny ? » — Venance Konan laisse entrevoir ce qui anime réellement sa plume: une rancœur tribale profondément enracinée et un mépris structurel pour les Ivoiriens de l’Ouest.
Il ne s’agit pas ici d’un simple dérapage ou d’une maladresse sémantique. Les mots ont un poids, surtout dans un pays encore marqué par des fractures ethniques et régionales, souvent instrumentalisées à des fins politiques. Le choix du mot « fauteuil d’Houphouët-Boigny » plutôt que fauteuil présidentiel n’est pas anodin. Il traduit une vision patrimoniale et ethnicisée du pouvoir d’État, comme si ce dernier appartenait à une lignée, à une ethnie précise — en l’occurrence les Baoulés — au lieu d’être un bien commun à tous les Ivoiriens.
Un tribalisme ordinaire sous des habits de modernité
Le billet de Venance Konan montre que, malgré les habits de la modernité et les discours policés sur le « développement durable », certains individus comme Venance Konan restent prisonniers d’une idéologie ethno-régionaliste héritée de l’époque houphouétiste. Car il faut le dire clairement: cette vision selon laquelle seuls certains groupes seraient aptes à diriger est non seulement contraire à l’idéal républicain, mais elle est aussi dangereusement rétrograde.
En associant Robert Gueï et Laurent Gbagbo — deux fils de l’Ouest — dans une phrase destinée à dénigrer leur légitimité présidentielle, Venance Konan ne fait pas que rappeler les rivalités politiques d’un autre âge. Il tente de graver dans les consciences une ligne de fracture: celle qui oppose les Ivoiriens « gouvernants » à ceux qui seraient « gouvernés ». Pour lui, ceux qui n’appartiennent pas à l’ethnie baoulée seraient des intrus dans l’histoire nationale, des corps étrangers dans le récit officiel du pouvoir.
Or, le poste de président de la République n’est pas un héritage dynastique. Il ne se transmet pas par le sang ou par l’origine géographique. Il se conquiert démocratiquement, par les urnes, sur la base d’un projet de société. Toute autre approche est une forme déguisée d’apartheid politique.
Le legs ambigu d’Houphouët-Boigny
Il faut le reconnaître: ce tribalisme politique plonge ses racines dans la manière même dont Félix Houphouët-Boigny a exercé le pouvoir. Homme d’État autoritaire mais habile, le premier président de la Côte d’Ivoire a longtemps gouverné en s’appuyant sur son groupe ethnique, écartant souvent les cadres issus d’autres régions au nom de l’unité nationale… et du pragmatisme politique.
Pascal Dago Kokora rapporte dans l’un de ses ouvrages un épisode révélateur: Houphouët, sur le point de nommer Émile Bombet — un homme de l’Ouest — ministre de l’Intérieur, aurait cédé aux pressions d’un groupe de Baoulés mené par Léon Konan Koffi, venu lui demander de réserver ce ministère « stratégique » à un membre de leur ethnie (cf. « Le Front populaire ivoirien. De la clandestinité à la légalité. Le vécu d’un fondateur », Paris, L’Harmattan, 2000). Un fait troublant, qui montre que la logique de clan a souvent primé sur celle de la compétence ou de la cohésion nationale.
Venance Konan, en héritier de cette mentalité, ne fait donc que prolonger une culture politique viciée. L’ironie de l’histoire, c’est qu’il est aujourd’hui un fervent soutien du président Alassane Ouattara, non pas par conviction sincère, mais par opportunisme, car l’on se souvient encore de ses propos passés, très critiques à l’égard de ce dernier. Le ralliement à Ouattara n’est donc pas une alliance idéologique, mais une stratégie de survie politique dans un système où le pouvoir s’achète, se loue, se prête… mais ne se partage pas.
Haine, exclusion et déclin moral
Face à cette posture, il ne suffit plus de répondre par des arguments politiques. Comme le disait Sénèque, « se tromper est humain, persévérer est diabolique ». Venance Konan ne semble plus capable de s’extraire de la haine tribale qui gangrène sa pensée. Ce n’est plus de conseils qu’il a besoin, mais d’une véritable délivrance — d’un exorcisme politique et moral. Car il n’y a rien de plus dangereux qu’un intellectuel prisonnier de ses démons.
L’Afrique, et particulièrement la Côte d’Ivoire, ne pourra jamais bâtir une démocratie solide si ses élites continuent de promouvoir, parfois inconsciemment, une hiérarchie ethnique du pouvoir. Le fauteuil présidentiel ne peut être la chasse gardée d’un groupe. Il doit incarner l’unité nationale, dans la diversité des régions, des langues, des confessions et des appartenances sociales.
Le propos de Venance Konan, qui aurait pu être une réflexion sur l’évolution politique du pays, révèle une pensée étriquée, fondée sur le mépris de l’autre et la nostalgie d’un ordre ancien. Mais ce temps-là est révolu. La Côte d’Ivoire mérite mieux que des chroniqueurs figés dans le ressentiment. Elle a besoin de voix lucides, honnêtes, ouvertes à la pluralité et capables de panser les blessures du passé. La haine, même bien écrite, ne construit pas une nation.
Jean-Claude DJEREKE
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Les publications de Venance Konan
Venance Konan pour un développement durable
Les deux prétendants (1)
Nous avons donc deux prétendants au trône qui ont été recalés et qui ne sont pas du tout contents. Je les comprends un peu. Mais qu’ils soient tout de même un peu réalistes.
Prenons le premier, Tidjane Thiam. Il était ministre ici, dans le gouvernement de Bédié. En 1999, un coup d’Etat renverse leur pouvoir. Il cherche alors à se faire nommer directeur du Port autonome d’Abidjan par les nouveaux maîtres du pays. Il ne l’obtient pas et quitte le pays, pour rejoindre la France dont il avait la nationalité depuis 1987. Il y fait une belle carrière dans le monde des affaires, en dirigeant principalement deux grosses entreprises, l’une d’assurance, l’autre de banque. Et pendant 23 ans, il se présente partout comme Français. Lorsqu’il commence à être connu sur la scène internationale et que les journalistes le présentent comme « franco-ivoirien », lui, se désigne comme exclusivement Français. Il écrit même une lettre dans laquelle il exprime toute son émotion à être Français. Je comprends parfaitement qu’avec les violences qui ont marqué l’histoire politique de notre pays après le coup d’Etat de 1999, surtout avec la façon chaotique dont Laurent Gbagbo a dirigé le pays, certains de nos compatriotes n’aient plus eu envie de revenir vivre ici. Cependant, ils sont nombreux, ceux qui sont restés ici malgré tout, et qui ont porté ce pays à bout de bras pour qu’il ne s’effondre pas. Mais on peut vivre loin d’ici et rester Ivoirien. Or M. Thiam, lui, a visiblement décidé de ne plus se sentir Ivoirien.
Aucune de nos souffrances ou de nos joies n’avait plus semblé le concerner. Que n’avons-nous pas connu pendant ces 23 ans d’absence ! La gestion calamiteuse du pays par Robert Guéï et ses « jeunes gens », l’élection tout aussi calamiteuse de Laurent Gbagbo, la rébellion de Guillaume Soro, le sang qui a coulé sur tout le territoire, les gens enfermés dans des conteneurs exposés au soleil, la répression sanglante des opposants par Laurent Gbagbo en 2004, la guerre avec la France, les morts au stade, l’élection de 2010 et la crise post-électorale avec ses 3000 morts…A aucun moment on n’a vu, ni entendu Tidjane Thiam. Ni pour compatir, ni pour dénoncer, ni pour proposer des solutions, rien.
Alassane Ouattara a pris les rênes de la Côte d’Ivoire en 2011. On a commencé à nettoyer le pays de ses cadavres et ordures, à le réparer, à le reconstruire. La situation a commencé à s’améliorer. En 2015 on a même gagné la Coupe d’Afrique des Nations. On n’a pas entendu Tidjane Thiam féliciter les Eléphants. Il n’était plus concerné par nos joies et nos peines, j’ai dit.
Puis il perdit son job au Crédit Suisse. Il se dit alors que président de la Côte d’Ivoire, ça lui irait comme un gant. Surtout que le pays s’était relevé et avait repris sa place de leader économique de l’UEMOA. Oui, le pays était redevenu intéressant. Juteux même. Et puis, comme par hasard, Bédié, le président du PDCI et candidat naturel de ce parti mourut. Thiam se souvint alors qu’il était aussi Ivoirien. On le vit donc déparquer ici en jet privé, courir partout, aller tenir compagnie aux athlètes ivoiriens lors des jeux olympiques de Paris, se faire voir partout lors de la CAN, aller aux funérailles, danser sur des podiums…N’est-ce pas un peu gros ? N’est-ce pas de la haute arrogance que de l’entendre dire que rien n’a été fait dans ce pays, de l’entendre nous parler constamment de l’Indice du développement humain (IDH) ou de l’espérance de vie qui seraient moins élevés qu’au Sénégal ? Sait-il à quelle profondeur ce pays était tombé à la suite de la politique d’exclusion menée par le gouvernement dont il était membre entre 1994 et 1999 ? Sait-il que ce pays était en lambeaux lorsqu’Alassane Ouattara le prenait en main ? Où était-il ? Qu’a-t-il apporté comme contribution à ce pays depuis 1999 ?
Nous qui avons vécu ici tout ce temps, depuis sa fuite, nous savons le travail qui a été fait pour hisser le pays à ce niveau. Et même si nous savons qu’il reste encore beaucoup à faire, nous ne pouvons pas accepter que quelqu’un qui s’est comporté comme un déserteur vienne nous dire : « Je suis le meilleur, le premier de la classe. Donnez-moi ce pays, et vous verrez ce que j’en ferai, bande d’incompétents ! » Même les militants du PDCI, eux qui ont versé leur sang ici pendant qu’il faisait sa belle carrière internationale, ne devraient pas non plus l’accepter.
Venance Konan
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