Souveraineté économique: la Côte-d’Ivoire face à ses contradictions

Quand l’ouverture économique devient soumission

Dans un monde globalisé où les échanges sont plus intenses que jamais, l’ouverture économique reste une nécessité. Mais elle ne se fait jamais sans discernement. Dans la plupart des pays, qu’ils soient capitalistes, socialistes ou hybrides, certaines lignes rouges sont posées avec clarté. Des secteurs stratégiques sont identifiés, protégés, parfois même sanctuarisés. L’accès y est encadré, voire interdit aux capitaux étrangers, au nom d’impératifs supérieurs : sécurité nationale, indépendance technologique, cohésion sociale ou préservation de l’identité culturelle.

Autrement dit, même les pays qui prônent la libre entreprise et la mondialisation ne sont pas dupes : on ne livre pas ses secteurs vitaux au libre marché. Or, cette vigilance semble faire défaut à des pays comme la Côte d’Ivoire, qui prennent le chemin inverse, ouvrant à tout-va et à tous les vents des pans entiers de leur économie, sans stratégie claire, sans protection durable, et souvent sans bénéfice réel pour les populations malgré ce qui est souvent affirmé.

Pour mieux comprendre les enjeux, examinons deux exemples emblématiques : le Japon et l’Allemagne. Tous deux sont des modèles de libéralisme économique et d’intégration commerciale, mais ils savent aussi protéger leurs intérêts fondamentaux. Puis posons-nous la question : que fait la Côte d’Ivoire, et à quel prix ?

1. LE JAPON : OUVERTURE CONTRÔLÉE, SOUVERAINETE ASSUMÉE

Le Japon est l’un des pays les plus industrialisés et technologiquement avancés du monde. Ouvert aux échanges internationaux, il attire d’importants flux d’investissements. Pourtant, cette ouverture est fortement encadrée. À travers la Foreign Exchange and Foreign Trade Act (FEFTA) et d’autres réglementations, l’État japonais exerce un contrôle strict sur les investissements étrangers dans des domaines jugés stratégiques.

a) Défense, technologies militaires, cybersécurité :
L’accès à ces secteurs est strictement limité. Toute tentative d’investissement étranger dans l’armement, les satellites militaires, ou encore la cybersécurité stratégique, est soumise à une autorisation préalable. L’enjeu est clair : ne jamais dépendre d’intérêts extérieurs pour des domaines liés à la souveraineté nationale.

b) Infrastructures critiques :
Les étrangers ne peuvent pas posséder plus de 10 % dans des entreprises gérant l’eau potable, l’électricité, le gaz, les télécommunications ou les chemins de fer. Ces infrastructures sont considérées comme vitales au fonctionnement de l’État et à la résilience du pays.

c) Technologies sensibles :
Les secteurs de la microélectronique, de l’intelligence artificielle duale (militaire et civile), de la biotechnologie ou encore des technologies quantiques sont protégés. Tout investissement étranger y est précédé d’une analyse de sécurité nationale.

d) Médias et culture :
Le Japon limite la participation étrangère dans les entreprises de presse, de télévision ou d’édition : un étranger ne peut détenir plus de 20 % des droits de vote. L’objectif : protéger la souveraineté culturelle et l’indépendance de l’information.

e) Ressources naturelles et agriculture :
L’achat de terres agricoles ou forestières est strictement interdit. Il s’agit ici de préserver la sécurité alimentaire et le contrôle des ressources.

f) Métiers liés à l’identité nationale :
Certains métiers – notamment religieux (prêtres shinto), artistiques (kabuki) ou artisanaux (fabrication du saké traditionnel) – sont de facto fermés aux étrangers. La transmission culturelle y prime sur la logique de marché.

Ainsi, le Japon n’est pas fermé aux capitaux étrangers. Il les accueille, mais sans jamais compromettre ses priorités nationales. L’investissement doit se faire selon ses règles, dans le respect de ses intérêts supérieurs.

2. L’ALLEMAGNE : OUVERTURE AVEC VIGILANCE STRATÉGIQUE

L’Allemagne est l’un des champions européens de l’économie ouverte. Cependant, cette ouverture est régulée par des mécanismes puissants de contrôle, notamment à travers la loi sur le commerce extérieur (AWG) et son règlement d’application (AWV).

a) Contrôle des investissements dans les secteurs sensibles :
Tout investisseur non européen souhaitant acquérir plus de 10 % des parts dans une entreprise opérant dans les secteurs suivants doit passer par une procédure de contrôle :
• Défense et sécurité
• Énergie et eau
• Télécommunications stratégiques
• Santé publique (médicaments, équipements critiques)
• Technologies avancées (IA, robotique, semi-conducteurs)

L’État peut bloquer l’acquisition ou imposer des conditions, pour éviter toute dépendance stratégique, en particulier à l’égard de puissances étrangères comme la Chine ou de fonds souverains opaques.

b) Fonctions publiques et professions souveraines :
Certains postes – dans la police, la justice, l’armée ou la diplomatie – sont réservés aux ressortissants allemands ou européens. Cela reflète une conception claire de l’État comme acteur de souveraineté.

c) Professions réglementées :
Les métiers comme médecin, avocat, enseignant public ou ingénieur ne sont accessibles qu’à ceux qui remplissent des critères stricts (diplômes reconnus, compétences linguistiques, inscription à un ordre professionnel). Les étrangers ne sont pas exclus, mais doivent prouver leur aptitude dans un cadre rigoureux.

d) Métiers artisanaux :
Même ouvrir une boulangerie ou un atelier de plomberie en Allemagne nécessite des qualifications (le fameux Meisterbrief). Ces exigences, loin d’être protectionnistes, garantissent la qualité et la pérennité de l’activité.

3. CÔTE D’IVOIRE : UNE OUVERTURE SANS FILTRE NI VISION

À la lumière de ces exemples, la politique économique ivoirienne soulève de vives inquiétudes. Là où d’autres pays verrouillent leurs secteurs stratégiques, la Côte d’Ivoire semble adopter une politique d’ouverture presque naïve, parfois dictée par les conditionnalités des bailleurs ou les intérêts à court terme de certains groupes d’influence.

a) Accord de pêche avec l’Union Européenne : un abandon de souveraineté ?

L’accord récemment signé (ou renouvelé comme ils disent) entre la Côte d’Ivoire et l’Union Européenne autorise des navires européens à exploiter librement les ressources halieutiques ivoiriennes, notamment le thon, alors même que les pêcheurs ivoiriens manquent des moyens pour exploiter efficacement leurs propres eaux.

Conséquences :
• Perte de contrôle sur une ressource stratégique
• Réimportation du poisson à des prix inaccessibles pour la population locale
• Absence de réciprocité : les Ivoiriens ne peuvent pêcher dans les eaux européennes

Cet accord symbolise une forme de dépendance économique structurelle, où la Côte d’Ivoire cède ses ressources contre des miettes, au détriment de ses propres citoyens.

b) Libéralisation du secteur pharmaceutique : entre ouverture et démantèlement

Longtemps réservé aux Ivoiriens diplômés, le secteur pharmaceutique vient d’être ouvert aux investisseurs étrangers, sans mise en place préalable de mécanismes de régulation robustes.

Risques potentiels :
• Disparition des petites officines locales
• Concentration du marché entre les mains de groupes étrangers
• Fragilisation de la souveraineté sanitaire en cas de crise

Cette décision, présentée comme un progrès économique, pourrait à terme fragiliser l’écosystème national, compromettre l’accès aux médicaments et menacer la santé publique.

4. QUELLE CÔTE D’IVOIRE VOULONS-NOUS ?

Les exemples japonais et allemand montrent qu’on peut être ouvert tout en restant souverain. Ce n’est pas un choix entre fermeture et ouverture, mais entre naïveté et stratégie.

À force d’ouvrir tous les secteurs sans discernement, sans stratégie nationale claire, la Côte d’Ivoire prend le risque de devenir une économie sous-traitante, dépendante, vulnérable aux intérêts étrangers. Pire : elle abandonne peu à peu ses leviers de développement autonome.

C’est dans ce contexte qu’émerge le mouvement TROP C’EST TROP, porté par le président Laurent Gbagbo. Bien loin d’un simple cri politique, il s’agit d’un appel citoyen, patriotique, à la reconquête économique. Car on ne construit pas une nation forte sans contrôle sur ses ressources, son économie, et ses choix stratégiques.

5. UN APPEL AU SURSAUT NATIONAL : TROP C’EST TROP

La Côte d’Ivoire ne manque ni de ressources ni de talents. Ce qui lui fait défaut, c’est une vision stratégique de long terme, capable de conjuguer ouverture et protection, investissements et souveraineté, développement et dignité.

Il est temps de poser les bonnes questions :
• Pourquoi les autres protègent-ils leurs secteurs stratégiques et pas nous ?
• À qui profite cette ouverture débridée ?
• Quelles seront les conséquences dans dix, vingt ou trente ans ?

TROP C’EST TROP n’est pas une plainte : c’est une alerte. Et surtout, c’est un appel à la conscience collective. Pour que l’économie ivoirienne ne soit plus un champ ouvert aux vents contraires, surtout à tous les vents, mais un outil de puissance, de justice et de prospérité.

© DR KOCK OBHUSU, Économiste

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