Après l’élection du nouveau président de la banque africaine de développement (BAD), le professeur Prao Yao Séraphin, Maitre de Conférences Agrégé en économie, répond aux questions du journal français : « Le Point ».
Question 1 : Quelle est la date de création de la BAD?
Réponse : Fondée le 10 septembre 1964, la Banque africaine de développement est la plus importante institution financière de développement en Afrique. Son siège est basé à Abidjan).
En 60 ans d’existence, son capital est passé de 250 millions à 318 milliards de dollars américains. Ce qui fait d’elle la principale institution multilatérale de développement en Afrique. Principal donateur, les Etats-Unis menacent de supprimer leur contribution au Fonds africain de développement, le guichet concessionnel de la BAD, depuis l’arrivée en janvier 2025 de Donald Trump.
Ses ressources proviennent notamment des souscriptions des pays membres, des emprunts effectués sur les marchés internationaux ainsi que des remboursements et des revenus des prêts.
Question 2 : Quel est le bilan du Nigérian Akinwumi Adesina?
Réponse : le Nigérian Akinwumi Adesina s’est satisfait des progrès réalisés par la banque ces dix dernières années passant d’un capital de 93 milliards de dollars en 2015 à 318 milliards de dollars à ce jour.
- La construction des infrastructures
La banque a, par exemple, aidé à la construction de la plus grande station d’épuration d’Afrique, à Gabal Al-Asfar, en Egypte, contribué à la réalisation d’un pont entre le Sénégal et la Gambie, à l’extension du port de Lomé, au Togo, ou encore à des projets d’assainissement au Lesotho et d’accès à l’électricité au Kenya.
- Le capital de la BAD a augmenté
Pendant les dix ans de gouvernance de l’homme au nœud papillon, le capital souscrit de l’institution a par ailleurs triplé, passant de 93 milliards à 318 milliards de dollars (82 milliards à 280 milliards d’euros).
Question 3 : Quels etaient les candidats à la présidence?
Réponse : Les 81 gouverneurs de la BAD ont participé à l’élection du nouveau président de la banque pour un mandat de 5 ans, en remplacement du Nigérian Akinwumi Adesina, dont le second mandat expire fin août. Les 5 candidats étaient : le Mauritanien Sidi Ould Tah, le Tchadien Abbas Mahamat Tolli, la Sud-Africaine Tshabalala Bajabulile Swazi, le Zambien Samuel Munzele Maimbo et le Sénégalais Amadou Hott.
Les anciens dirigeants de la Banque africaine de développement depuis sa création en 1964 sont :
- Mamoun Beheiry (Soudan), 1964-1970
- Abdelwahab Labidi (Tunisie), 1970-1976
- Kwame Donkor Fordwor (Ghana), 1976-1980
- Willa Mung’Omba (Zambie), 1980-1985
- Babacar N’diaye (Sénégal), 1985-1995
- Omar Kabbaj (Maroc), 1995-2005
- Donald Kaberuka (Rwanda), 2005-2015
- Akinwumi Adesina (Nigéria), 2015-2025.
Rappelons que cinq plus gros contributeurs africains : le Nigeria, l’Egypte, l’Algérie, l’Afrique du Sud et le Maroc, étaient particulièrement courtisés, tout comme les Etats-Unis et le Japon, plus gros contributeurs non régionaux.
Question 4 : Quels étaient les atouts du Dr. Sidi Ould Tah?
Réponse : M. Tah, de nationalité mauritanienne, a été élu par le Conseil des gouverneurs de la Banque, composé des ministres des Finances et de l’Économie ou des gouverneurs des banques centrales des 81 pays membres régionaux et non régionaux du Groupe de la Banque. Ce Conseil est la plus haute instance décisionnelle du Groupe de la Banque. Les résultats ont été annoncés par Nialé Kaba, ministre de l’Économie, du plan et du développement de la Côte d’Ivoire et présidente du Conseil des gouverneurs du Groupe de la Banque, le candidat élu devant obtenir au moins 50,01 % à la fois des voix régionales et non régionales. L’ancien ministre de l’économie mauritanien, Sidi Ould Tah, a été élu président de la Banque africaine de développement (BAD) avec 76,18 % des voix au troisième tour du scrutin, jeudi 29 mai. Il devance le Zambien Samuel Munzele Maimbo, qui a recueilli 20,26 %, selon les résultats officiels. Le Sénégalais Amadou Hott, lui, arrive troisième avec 3,55 % des voix
- Tah prendra ses fonctions, le 1er septembre 2025, pour un mandat de cinq ans. M. Tah possède plus de 35 ans d’expérience en finance africaine et internationale.
Premier atout : son passé à la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) à partir de 2015, où il a mené une transformation complète qui a quadruplé le bilan de la banque, lui a valu une notation AAA et l’a positionnée parmi les banques de développement les mieux notées en Afrique.
Second atout : la maitrise de l’ingénierie financière et sa capacité à mobilise les ressources financières internationales
Troisième atout : sa vision privilégiant la mise en œuvre des projets structurants propres aux économies africaines axés sur l’exploitation des chaines de valeur locales.
Quatrième atout : il est ressortissant sahélien et le premier à diriger la Bad.
Le sahel est une région vaste comme l’Europe. Les pays du Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) sont confrontés à de multiples défis : plus de 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et de nombreux pays sont confrontés à la menace terroriste et au crime organisé. Depuis 2012, les actes terroristes sont récurrents au Sahel. Les pays du G-5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) font face à de nombreuses attaques liées aux groupes djihadistes dont les premières victimes sont des civils innocents. Face à ces enjeux communs, la réponse doit être multiforme et intégrée, afin de couvrir à la fois les questions politiques, sécuritaires, mais aussi les enjeux humanitaires et de développement. Pour coordonner leurs actions, les chefs d’État de la région ont créé, en 2014, le G5 Sahel.
Dans un Sahel miné par la présence djihadiste, la Mauritanie est un rare exemple de stabilité. En effet, la Mauritanie se démarque par sa stabilité au sein d’une région gangrenée par les attaques djihadistes. Ce pays majoritairement désertique d’Afrique de l’Ouest partage pourtant 2.200 kilomètres de frontières souvent poreuses et mal définies avec le Mali, en proie à une insurrection djihadiste.
De 2005 à 2011, la République islamique de Mauritanie a été la cible de plusieurs actions de groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda : attaques contre des militaires, des ambassades étrangères, ou assassinats et enlèvements d’Occidentaux.
En réponse, la Mauritanie a élaboré une stratégie multiforme en commençant par muscler son appareil sécuritaire à partir de 2008. Le pays crée les Groupements Spéciaux d’Intervention (GSI), des unités de l’armée très mobiles pouvant évoluer dans le désert, qui sont appuyées par une aviation légère.
Ainsi, l’économiste mauritanien Sidi Ould Tah devient le premier ressortissant de son pays à diriger la Banque africaine de développement, fort d’un large soutien africain et d’une expérience reconnue à la tête d’une autre institution panafricaine. C’est également une façon pour les pays occidentaux très influents de la BAD, de féliciter et encourager la Mauritanie à ne pas suivre le même chemin que les autres pays sahéliens.
Question 5 : Quel était le programme du Dr. Sidi Ould Tah ?
Réponse : Le programme du nouveau président de la BAD est articulé autour de ce qu’il a appelé les « quatre points cardinaux ».
Le premier point, c’est l’augmentation du volume des financements. Chaque année, la Bad comptabilise environ 10 milliards de dollars d’approbations et décaisse autour de 5 milliards de dollars. C’est largement insuffisant quand on sait que les besoins de financement des pays africains, seulement en termes d’infrastructures représentent selon les études, entre 100 et 170 milliards de dollars par an. Quant aux besoins financiers à mobiliser pour lutter contre les effets des changements climatiques sur le continent, ils sont évalués à plus de 400 milliards de dollars par an.
Le deuxième point, c’est la réforme de l’architecture financière africaine. La Bad est un peu déconnectée d’autres institutions de financement existant sur le continent (Afreximbank, AFC, Africa Ré…) dont certaines ont été créées par elle. La Bad doit fédérer toutes ces institutions dans le cadre d’une stratégie unique pour accroître l’impact.
Le troisième point cardinal, c’est la démographie et le dividende à en tirer. En 2050, 1 personne sur 4 dans le monde sera africaine. Il faut donc transformer cette croissance démographique en dividende. Ce qui passe notamment par des investissements accrus dans la formation des jeunes, dans la santé, dans la création d’emplois décents.
Le quatrième point cardinal, c’est le développement d’infrastructures résilientes et capables d’impulser la création de valeur. L’Afrique a pendant longtemps exporté ses matières premières qui sont transformées ailleurs où elles créent de la richesse. L’Afrique doit désormais se transformer en une grande usine pour le reste du monde.
Question 6 : Quelles sont les attentes des Etats vis-à-vis du nouveau président?
Premièrement, la mobilisation des ressources. En effet, dans son projet de budget 2026, la Maison Blanche a annoncé la suspension de son appuis estimé à 555 millions de dollars. Un coup dur pour le continent africain dans un contexte déjà marqué par la série de coupes budgétaires décidées par l’administration Trump.
Deuxièmement, l’industrialisation africaine et le financement du développement inclusif. L’industrialisation africaine et le financement du développement inclusif sont des enjeux cruciaux pour le développement socio-économique du continent. L’industrialisation, en particulier, est considérée comme un moteur de croissance et de diversification, tandis que le financement inclusif vise à garantir que les bénéfices de ce développement soient partagés par tous, y compris les groupes marginalisés.
Troisièmement, la BAD doit aider à l’élaboration des politiques économiques dans les pays africains au lieu de laisser la banque mondiale et le FMI venir imposer des dogmes aux africains.
Il devrait toutefois rester dans la continuité des « High 5 », les cinq priorités établies par le président sortant : éclairer, nourrir, industrialiser, intégrer et améliorer la qualité de vie des populations. Les pays africains espèrent tirer le meilleur parti du capital de l’Afrique pour favoriser son développement. Du coup, la BAD doit identifier et valoriser les potentiels africains – qu’ils soient humains, naturels, financiers ou commerciaux – comme leviers de la transformation structurelle du continent. D’ailleurs, une telle stratégie s’inscrit dans la poursuite des Objectifs de développement durable, de l’Accord de Paris sur le climat, de l’Agenda 2063 de l’Union africaine et des « High 5 » de la Banque.
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