Cet article propose une analyse de l’hymne de la Confédération des États du Sahel (AES), intitulé « Sahel Benkan ». À travers une lecture littéraire, historique et politique de ses trois couplets et de son refrain, il met en lumière la façon dont ce texte fondateur incarne un projet de rupture avec les structures postcoloniales, tout en s’inscrivant dans une tradition panafricaine de réhabilitation mémorielle et de souveraineté populaire. L’analyse montre comment l’hymne conjugue héritage historique, résistance armée, mobilisation citoyenne et espérance intergénérationnelle pour porter une vision politique régénératrice.
Titre et Contexte Symbolique : Une Invocation à la Renaissance Sahélienne
Le titre « Sahel Benkan », littéralement interprétable dans plusieurs langues mandées comme « la dignité du Sahel » ou « l’harmonie du Sahel », est porteur d’une charge symbolique forte. En choisissant un idiome local, l’hymne réalise un acte de rupture linguistique et culturelle avec l’ordre colonial. Il s’agit d’une réappropriation identitaire, qui vise à refonder le discours politique sahélien sur des référents endogènes. Ce titre opère ainsi une double fonction : réhabiliter l’espace sahélien, souvent stigmatisé, et l’installer comme matrice d’une souveraineté à la fois politique, culturelle et civilisationnelle. Il affirme une volonté de renaissance à partir des ressources symboliques propres aux peuples sahéliens.
Couplet 1 – Héritage et Renaissance : La reconquête narrative du passé impérial
Ce couplet affirme la continuité historique entre les peuples du Sahel d’aujourd’hui et les grands empires africains médiévaux. Il réhabilite un passé glorieux souvent occulté ou minoré dans les discours coloniaux et postcoloniaux. Le peuple sahélien est présenté comme porteur d’un « temps nouveau » fondé sur la liberté et le progrès, acquis au prix de « combats épiques ». Le couplet participe ainsi à une refondation narrative de l’identité sahélienne sur des bases historiques propres, valorisées comme légitimes et mobilisatrices.
Couplet 2 – Souveraineté et Résistance : Une poétique de l’émancipation armée et intellectuelle
Ce couplet articule les deux piliers de l’émancipation : le « verbe » (pensée, discours, idéologie) et les « armes » (lutte militaire et autodéfense). Il affirme la nécessité de rompre les « chaînes » de la dépendance et de récupérer les « richesses » du territoire. En proclamant la fécondité de « l’esprit fertile de l’Afrique », le texte inscrit la lutte sahélienne dans une dynamique d’affirmation du génie africain, capable de penser et de produire ses propres solutions. Ce couplet met donc en scène une souveraineté totale : à la fois économique, politique, culturelle et spirituelle.
Refrain – Mobilisation collective et unité populaire : Le citoyen-soldat comme figure de la souveraineté
Le refrain universalise la figure du soldat en la transformant en figure civique. En affirmant : « Soldats, nous le sommes tous », l’hymne pose les bases d’une mobilisation populaire où chaque citoyen devient acteur de la souveraineté. La devise « Un Espace, Un Peuple, Un Destin » propose une unité à la fois géographique, identitaire et téléologique. Cette vision repose sur la rupture avec les fragmentations coloniales et sur la création d’une communauté politique régionale solidaire, résiliente et déterminée.
Couplet 3 – Mémoire, travail, espérance : L’édification d’un avenir enraciné
Le troisième couplet introduit la dimension éthique et intergénérationnelle du projet confédéral. Il insiste sur la « ténacité » du peuple africain, forgé dans le « sang et la sueur ». Mais cette souffrance devient une force créatrice : le peuple « écrit l’histoire » et transmet à ses enfants la fierté d’un passé réhabilité. L’horizon est clair : « bâtir un monde meilleur ». Ce couplet lie ainsi mémoire, responsabilité, effort et utopie dans une vision humaniste du devenir africain.
Conclusion analytique – Un texte fondateur entre rupture postcoloniale et refondation panafricaine
L’hymne « Sahel Benkan » est à la fois poésie et manifeste. Il opère une relecture militante du passé, une affirmation souveraine du présent, et une projection ambitieuse vers l’avenir. En conjuguant les registres mémoriel, militaire, culturel et éthique, il propose une vision totalisante de l’émancipation sahélienne. Il redonne au Sahel une centralité politique dans le concert panafricain, tout en promouvant une esthétique de la dignité et de la responsabilité collective. En ce sens, « Sahel Benkan » est un texte performatif, qui donne à entendre et à voir un peuple en quête de sens, d’unité et de souveraineté réelle.
Simplice Ongui
Directeur de Publication
Afriqu’Essor Magazine
osimgil@yahoo.co.uk
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