Quand l’indignité et la partialité sont sans limites

Le 31 mai 2025, à Sinématiali, dans le nord de la Côte d’Ivoire, s’est tenue une cérémonie officielle d’inauguration d’un lycée de jeunes filles, présidée par Dominique Ouattara.

Cet événement, en apparence apolitique, a pris une tournure polémique du fait de la présence remarquée — et controversée — de l’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire, Jean-Christophe Belliard. Ce dernier, assis au milieu des militants du Rassemblement des Républicains (RDR), arborait une chemise en pagne à l’effigie de la première dame. Un détail vestimentaire lourd de symboles, qui a suscité un tollé dans certains milieux politiques et intellectuels ivoiriens.

Une posture diplomatique remise en question

La diplomatie, dans son essence, repose sur la neutralité, la réserve et la discrétion. Un ambassadeur représente non seulement les intérêts de son pays, mais il incarne aussi ses valeurs et son image à l’étranger. Le comportement de Jean-Christophe Belliard, lors de cette cérémonie, semble avoir rompu avec ces principes élémentaires. En choisissant de se vêtir aux couleurs du RDR, il envoie un message politique explicite, voire agressif, dans un contexte de forte tension électorale à l’approche de la présidentielle d’octobre 2025.

Ce geste, qui peut paraître anodin pour certains, est interprété par d’autres comme un acte de soutien assumé au régime d’Alassane Ouattara, dont la volonté de briguer un quatrième mandat continue de diviser le pays. La Constitution ivoirienne limite pourtant à deux le nombre de mandats présidentiels. En franchissant cette ligne rouge, Ouattara et ses partisans sont accusés de violer les règles démocratiques les plus fondamentales. Que l’ambassadeur de France cautionne de manière aussi visible cette dérive pose une série de questions éthiques et politiques.

La France, complice d’un régime contesté ?

L’image véhiculée par cet ambassadeur ravive de vieilles blessures dans la mémoire collective africaine. Elle nourrit le soupçon d’une Françafrique qui, bien que décriée officiellement, continue de tirer les ficelles en coulisse. Pour beaucoup d’Ivoiriens, le port de cette chemise pro-RDR par Belliard est une déclaration de soutien à peine voilée à Alassane Ouattara — soutien qui s’étendrait implicitement à ses choix politiques, à ses manœuvres constitutionnelles et aux violences ayant marqué ses précédents mandats.

Ce positionnement renforce l’idée que le candidat « naturel » de la France ne serait pas Tidjane Thiam, une figure pourtant plébiscitée par une partie de la jeunesse et de la diaspora, mais bel et bien Ouattara, perçu comme un garant des intérêts économiques et stratégiques français dans la sous-région. L’ambassadeur, par son geste, donne corps à ces soupçons et remet en cause l’impartialité que l’on est en droit d’attendre d’un diplomate étranger.

Une rupture avec la tradition diplomatique française

Ce n’est pas la première fois qu’un diplomate français est accusé de connivence avec un pouvoir contesté en Afrique, mais le cas de Belliard franchit un seuil symbolique. Les anciens présidents français, François Mitterrand et Jacques Chirac, bien qu’ayant été des acteurs de la politique africaine avec ses zones d’ombre, savaient poser des limites. L’un comme l’autre n’auraient jamais toléré qu’un ambassadeur ternisse de la sorte l’image de la France à l’étranger. Chez Mitterrand, la notion de dignité républicaine était primordiale ; chez Chirac, une certaine élégance gaullienne guidait les relations diplomatiques avec l’Afrique.

L’attitude de Belliard rompt donc avec cette tradition. Elle participe d’une forme de désinvolture politique qui choque autant par sa légèreté que par son irrespect des sensibilités locales. En prenant une telle posture, l’ambassadeur semble oublier que la Côte d’Ivoire est un pays souverain, dont la vie politique, aussi complexe soit-elle, mérite une attention respectueuse et équitable.

Une ligne rouge franchie

Dans un pays où la fracture politique reste vive, où les cicatrices des crises post-électorales sont encore béantes, l’image d’un ambassadeur étranger prenant ostensiblement parti est dangereuse. Elle envoie un signal désastreux à ceux qui aspirent à une démocratie apaisée et à un scrutin libre. Elle vient aussi fragiliser l’idée, déjà contestée, que la France œuvre au développement démocratique du continent africain.
Il est temps que Paris prenne la mesure de cette dérive. Car ce n’est pas seulement la réputation d’un diplomate qui est en jeu, mais celle de tout un pays. En Côte d’Ivoire, comme ailleurs, les symboles comptent. Et celui que vient d’envoyer Jean-Christophe Belliard est celui d’un alignement sans nuance sur un régime qui, pour beaucoup, ne respecte plus ni la lettre ni l’esprit de la démocratie.

Jean-Claude DJEREKE

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C’est une chemise en pagne qui suscite la polémique en Côte d’Ivoire – celle de l’ambassadeur de France, photographié avec le vêtement à l’effigie de Dominique Ouattara, l’épouse du président ivoirien Alassane Ouattara, lors d’une cérémonie officielle. Dans une déclaration publiée en ligne ce week-end, le PPA-CI, le parti de l’opposant Laurent Gbagbo, fustige « l’attitude » du diplomate et se demande « si la France a choisi son candidat pour la présidentielle 2025 ».

https://www.rfi.fr/fr/afrique/20250608-c%C3%B4te-d-ivoire-l-ambassadeur-de-france-et-son-embarrassante-chemise-%C3%A0-la-gloire-de-la-premi%C3%A8re-dame

 

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