Le 31 mai 2025, Laurent Gbagbo, ancien président de la République de Côte d’Ivoire, a soufflé ses 80 bougies dans une atmosphère à la fois festive et pleine de tensions silencieuses. Ce jour-là, ses partisans se sont exprimés pour lui rendre hommage. Tous ? Non. Un silence a particulièrement frappé les esprits: celui de Charles Blé Goudé, longtemps présenté comme le « fils politique » de Gbagbo, compagnon d’infortune à La Haye, leader du Cojep et figure de proue de la jeunesse patriotique ivoirienne. Ce silence a nourri les soupçons, réveillé les rancunes et mis au jour une fracture plus profonde que certains ne voulaient l’admettre.
Mais, au-delà des symboles et des formes, il convient de se poser la bonne question: qu’est-ce qui est principal et qu’est-ce qui est secondaire dans cette histoire ?
L’anniversaire et l’oubli: faute de forme ou conflit de fond ?
La politique est faite de signes. Dans le langage politique, un simple mot, une absence de réaction, ou une omission peut avoir plus d’impact qu’un discours enflammé. Que Charles Blé Goudé n’ait pas adressé publiquement un message de vœux à Laurent Gbagbo en ce jour symbolique, contrairement à d’autres comme Éric Kahé, est perçu par certains comme une faute. Une faute non pas de stratégie, mais d’éthique, de loyauté, de respect filial.
Pour un homme qui ne cesse de clamer qu’il n’existe aucun différend avec son « père », ce silence peut paraître étrange, voire provocateur. À plus forte raison quand ce même Blé Goudé a récemment déclaré que « n’importe quoi peut t’arriver si tu marches avec n’importe qui » ou encore que « quiconque voudra attaquer le régime de Ouattara me trouvera sur son chemin ».
Ces déclarations ont été interprétées, à tort ou à raison, comme une prise de distance non seulement avec la ligne politique de Gbagbo, mais aussi avec le discours de résistance qu’il incarne encore aujourd’hui face à Alassane Ouattara et à ce qu’il représente pour une frange de l’opposition ivoirienne.
Le « etc. » de trop: lapsus ou désaveu ?
Dans son discours, salué comme l’un de ses meilleurs depuis son retour d’exil, Laurent Gbagbo a parlé avec clarté, force et émotion: « Vous venez trouver un fils authentique chez lui et vous voulez le piétiner chez lui. Je me battrai pour mon honneur et je me battrai pour mon pays. » Ces mots résonnent comme un cri de ralliement. Pourtant, une phrase a choqué certains : lorsqu’il évoque les personnalités radiées de son parti, Gbagbo termine sa liste par un « etc. » là où beaucoup s’attendaient à entendre le nom de Charles Blé Goudé.
Ce choix rhétorique a été diversement interprété. Certains y voient une volonté délibérée d’effacer symboliquement un ancien compagnon de route. D’autres y lisent un simple raccourci de langage. Quoi qu’il en soit, cela a suffi à faire dévier le débat du fond vers la forme. Et c’est précisément là que réside le piège.
Nommer ou oublier ? L’importance de la mémoire dans le combat politique
Le dictionnaire « Larousse » rappelle que « etc. » ne s’applique qu’à des choses, jamais à des personnes. Ainsi, dire « Gbagbo, Guéi, Bédié, Ouattara, etc. » est incorrect sur le plan stylistique si l’on parle de dirigeants. Plus grave encore, dans un contexte aussi chargé de symbolique que celui de la lutte politique ivoirienne, cette omission peut être interprétée comme un geste de désaveu.
Mais faut-il réduire la vision politique de Gbagbo ou la position de Blé Goudé à cette anecdote ? Non. Car l’essentiel n’est pas dans les noms que l’on prononce ou que l’on omet. Il est dans le projet commun de libération de la Côte d’Ivoire, dans la lutte contre l’injustice, dans le refus de la confiscation du pouvoir, dans la quête d’un avenir meilleur pour les Ivoiriens.
Ce qui est principal: l’union pour la libération
Dans le tumulte des malentendus et des rancœurs, il est crucial de revenir à ce qui nous rassemble. Le combat contre la politique d’exclusion, d’instrumentalisation de la justice, de confiscation des richesses nationales ne peut être mené victorieusement par un seul homme ou un seul parti. L’heure est à l’union des forces patriotiques, à la réconciliation des énergies, pas à la dispersion.
Prononcer le nom de Charles Blé Goudé n’équivaut pas à l’absoudre de ses erreurs passées, ni à oublier les zones d’ombre de son parcours. Mais l’ignorer systématiquement revient à falsifier l’Histoire, à tronquer les faits. Ce n’est pas une démarche honnête. Ce n’est pas non plus une stratégie efficace si l’objectif est de reconstruire un front uni face à un pouvoir de plus en plus contesté.
Ce qui est secondaire: les rancunes personnelles
Un vrai père politique, à 80 ans, devrait pouvoir se dépasser, transcender les offenses et se dire: « Je ne suis pas content de ce fils qui a ignoré mon anniversaire, mais je refuse de lui en tenir rigueur à cause du combat que nous avons à mener. » Ce n’est pas céder, c’est choisir la hauteur. Ce n’est pas oublier les blessures, c’est choisir la cause commune.
Les divergences sont inévitables. L’essentiel est de savoir s’ils doivent nous empêcher d’avancer ensemble. L’histoire politique regorge d’alliances improbables, de réconciliations stratégiques, de retrouvailles inattendues. Il en ira peut-être ainsi de Gbagbo et de Blé Goudé, à condition que chacun sache faire la part des choses entre l’ego et la patrie, entre la fierté et l’intérêt général.
Et maintenant, que faire ?
Au lieu de nous attarder sur les silences, les « etc. » et les absences de vœux, interrogeons-nous sur ce que nous pouvons construire ensemble: Quelles sont les voies et moyens pour libérer la Côte d’Ivoire de la dérive autoritaire actuelle ? Quels mécanismes peuvent favoriser l’union de toutes les forces progressistes, malgré les différends personnels ou idéologiques ?
Il y avait, dans ce débat, un principal et un secondaire. Le principal, c’est que Laurent Gbagbo a prononcé un discours fort, chargé de sens et d’espoir pour l’avenir. Le secondaire, c’est ce « etc. » malheureux, et le silence apparent de Blé Goudé.
Recentrons-nous sur l’essentiel. L’histoire de la Côte d’Ivoire est en train de s’écrire. Ne laissons pas les ego, les rancunes ou les maladresses de langage détourner le combat principal : la libération de notre pays.
Jean-Claude Djéréké
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