Dans une lettre confidentielle adressée à Alassane Ouattara, Philippe Serey-Eiffel, ancien conseiller influent du président ivoirien, dénonce l’exclusion de Tidjane Thiam de la liste électorale. Il y voit une triple erreur politique et une entorse morale aux valeurs héritées d’Houphouët-Boigny.
10 juin 2025
Dans une correspondance confidentielle remise à la mi-mai au président Alassane Ouattara et consultée par Africa Intelligence, Philippe Serey-Eiffel, ancien conseiller économique à la présidence et figure influente des débuts du régime Ouattara, prend position contre l’exclusion de Tidjane Thiam de la course à la présidentielle de 2025.
Le Franco-Ivoirien, arrière-petit-fils de Gustave Eiffel, revient longuement sur ce qu’il considère comme une dérive préoccupante du processus électoral. Il affirme d’emblée écarter « l’hypothèse d’une influence du pouvoir politique » dans les ennuis judiciaires ayant conduit à l’inéligibilité du président du PDCI. Toutefois, il insiste sur un point : « Personne ne conteste aujourd’hui la nationalité ivoirienne de Tidjane Thiam, qu’il l’ait toujours eue ou qu’il l’ait retrouvée. »
Une révision nécessaire de la liste électorale
Serey-Eiffel appelle à une révision exceptionnelle de la liste électorale avant le scrutin d’octobre, afin de permettre à Thiam de retrouver ses droits civiques. Selon lui, cette décision s’impose « au nom de la logique démocratique » et éviterait une « élection exclusive », contraire à l’objectif déclaré d’un scrutin apaisé et inclusif. Il y voit une triple erreur politique : priver un opposant crédible de ses droits, affaiblir le PDCI, et compromettre la légitimité du scrutin.
Un manquement à la mémoire d’Houphouët-Boigny
L’ancien conseiller ne s’arrête pas à l’analyse politique. Il interpelle directement le président, rappelant leur héritage commun : « Profiter silencieusement de l’élimination, par un droit contesté, d’un rival politique, petit-neveu de Félix Houphouët-Boigny, quand on a soi-même été projeté par ce dernier, serait une faute morale. »
Et d’ajouter, dans une formule lourde de sens :
« À chacun sa morale, celle-là est la mienne. »
Une rupture personnelle et politique
La lettre s’achève sur un avertissement clair : « Si une telle décision – ou toute autre de même effet – n’était pas prise, je ne reconnaîtrais plus le grand homme d’État que j’ai admiré et servi pendant trente ans. Je cesserais de lui apporter mon soutien. »
Selon Africa Intelligence, cette missive reste à ce jour sans réponse officielle de la présidence.
Le 4 juin, la Commission électorale indépendante (CEI) a publié la liste électorale définitive, confirmant l’exclusion de Tidjane Thiam, mais aussi de Charles Blé Goudé, Laurent Gbagbo et Guillaume Soro.
Serey-Eiffel, tout en refusant de se prononcer sur les cas de ces autres figures de l’opposition, estime qu’une élection véritablement démocratique devrait permettre à tous les grands acteurs politiques de concourir.
Un conseiller en rupture
Proche d’Alassane Ouattara depuis les années 1990, Philippe Serey-Eiffel avait tenté, au cours des deux dernières années, de favoriser un rapprochement entre le chef de l’État et Tidjane Thiam. En 2023, il avait même été sollicité par le président pour conseiller le vice-président Tiémoko Meyliet Koné, alors pressenti pour la présidentielle. Après deux mois de négociations, il avait décliné cette mission, marquant une première prise de distance.
La lettre de mai 2025 sonne aujourd’hui comme une rupture ouverte entre deux hommes qui ont longtemps fait route commune.
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