Port-Bouët, ce samedi 7 juin — Gbagbo parle, la République retient son souffle

Il y a des instants où la parole politique ne se contente plus d’agiter des foules. Elle tranche, elle déplace des lignes, elle oblige à choisir un camp. Ce samedi 7 juin à Port-Bouët, Laurent Gbagbo n’a pas fait un discours de plus — il a rappelé que la politique, quand elle est habitée par une conscience historique, peut redevenir un acte de résistance.

Dans le cadre de sa tournée de proximité baptisée « Côcô », entamée depuis plusieurs semaines, l’ancien Président ivoirien a pris la parole face à une marée humaine venue l’écouter. Non pas pour applaudir des formules toutes faites. Mais pour entendre, peut-être pour la première fois depuis longtemps, des mots qui font sens. Des mots qui sonnent juste. Des mots qui dérangent aussi, car ils appellent à la responsabilité.

Et que dit-il, au fond ? Il dit ce que beaucoup murmurent sans oser l’affirmer : il n’y aura pas de quatrième mandat.

« Il n’y aura pas de quatrième mandat. »

Cette phrase, sèche, implacable, s’adresse à tous ceux qui pensent que la Constitution est un chiffon qu’on peut plier, froisser, étirer au gré des intérêts d’un clan ou des ambitions d’un homme. Elle claque comme une gifle politique à l’endroit d’un système devenu sourd, muet, et aveugle aux aspirations profondes du peuple.

UN RETOUR, UNE POSTURE, UN MESSAGE

Il fallait bien que quelqu’un le dise. Gbagbo l’a fait. Dans un style qui lui est propre : sans emphase inutile, mais avec cette force tranquille du tribun revenu de tout — des cellules de Scheveningen, de la solitude du rejet, des accusations, des trahisons, de l’exil. Ce n’est plus l’homme pressé d’hier. C’est le patriarche désabusé mais déterminé, qui parle sans besoin de plaire.
Il aurait pu faire dans le compromis, ou dans le calcul politicien. Il a choisi la franchise, parfois rugueuse, parfois brutale. Mais toujours assumée.

« Ils m’ont cherché. Ils m’ont trouvé. »
« Comme ils veulent qu’on se batte, on va se battre. »
« Attention, attention, attention… vous êtes en train d’aller trop loin. »

Ce ne sont pas de simples phrases. Ce sont des balises. Des marqueurs d’un climat politique devenu irrespirable. Car il y a aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, une forme d’aveuglement au sommet de l’État, une obstination à croire que l’on peut indéfiniment tordre la réalité pour servir des intérêts personnels. Mais la réalité résiste. Elle finit toujours par se rappeler à ceux qui la nient.

LA DEMOCRATIE A L’EPREUVE DU POUVOIR PERSONNEL

Le débat sur le mandat présidentiel n’est pas un détail juridique. C’est le cœur même de la République. Une Constitution, ce n’est pas un instrument de prolongation de carrière. C’est un contrat entre le peuple et ses dirigeants. Si ce contrat est violé, que reste-t-il de la République ? Rien qu’un décor.
Or depuis plusieurs mois, les signaux sont clairs : des manœuvres souterraines cherchent à ouvrir la voie à un nouveau passage en force. Des discours officiels deviennent flous. Des ministres préparent l’opinion à l’idée que, peut-être, dans un contexte exceptionnel, un quatrième mandat ne serait pas si scandaleux. L’argument est connu : « pour la stabilité », « pour terminer le travail ». Mais la stabilité ne se construit jamais sur la provocation. Et terminer le travail ne veut rien dire lorsqu’on gouverne depuis près de quinze ans.

Laurent Gbagbo, en affirmant avec fermeté qu’il n’y aura pas de quatrième mandat, ne fait pas seulement campagne : il fait un rappel à l’ordre démocratique. Il s’érige, qu’on l’aime ou non, en gardien d’une règle fondamentale. Et dans un pays comme la Côte d’Ivoire, où les transitions politiques ont souvent été des fractures, cette parole prend un poids particulier.

LE PEUPLE ECOUTE. LE POUVOIR DOIT ENTENDRE

Il serait dangereux de sous-estimer la portée de ce discours. La Côte d’Ivoire d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier. La jeunesse est éveillée, connectée, instruite. Elle observe, compare, juge. Elle n’acceptera pas qu’on la replonge dans le cycle des violences post-électorales sous prétexte de « continuité ». La fatigue sociale est réelle. L’économie informelle étouffe. Le prix du vivre au quotidien explose. Le fossé entre la parole d’État et la vie réelle se creuse.

Dans ce contexte, chaque mot compte. Chaque prise de position devient un acte politique majeur. Le silence des institutions, sur ce sujet, devient de plus en plus lourd. Et le peuple observe. Il observe qui parle, et surtout : qui se tait.

La balle est donc désormais dans le camp du pouvoir en place. Soit il choisit la voie de l’apaisement, du respect du cadre constitutionnel, de la confiance restaurée. Soit il persiste dans un autoritarisme maquillé, au risque d’un retour brutal du réel.

L’HISTOIRE RETIENDRA…

Gbagbo a donc choisi. Il entre dans l’arène avec des mots, avec la loi, avec la mémoire. Il sait les dangers. Il connaît les pièges. Mais il avance. Et il avertit. Ce samedi, à Port-Bouët, il n’a pas seulement parlé à ses partisans. Il a parlé à l’État. Il a parlé à l’Histoire.

Elle retiendra, un jour, qui a écouté la voix du peuple. Et qui a préféré s’enfermer dans l’ivresse du pouvoir.

©KOCK OBHUSU, Économiste – Ingénieur

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