Décoloniser le récit national : une ambition née à l’indépendance, mais relancée aujourd’hui par des courants souverainistes et un profond besoin de réappropriation culturelle. C’est la question que soulève chaque année Mamadou Souleymane Sy, professeur d’histoire-géographie à Saint-Louis, interpellé par ses élèves : « Pourquoi connaît-on mieux l’histoire de l’Europe que celle du Sénégal ? »
Un questionnement légitime, au cœur d’un débat plus large : pourquoi les programmes scolaires africains restent-ils encore centrés sur l’histoire coloniale ou européenne, au détriment des royaumes et résistances locaux ? Pour M. Sy, il faut enseigner cette mémoire dès le collège, car elle éclaire la construction des identités nationales.
Depuis quelques années, de nombreuses voix africaines – enseignants, historiens, artistes – militent pour une relecture de l’histoire écrite par et pour les Africains. Loin d’un rejet du passé colonial, il s’agit d’intégrer les récits oubliés, de valoriser les figures et dynamiques locales, et d’offrir une lecture plus équilibrée du passé.
Ce désir de réécriture s’exprime dans les salles de classe, mais aussi dans les musées, les médias, la recherche universitaire et les réseaux sociaux. Il interroge les récits transmis, les héros célébrés, les silences historiques… et propose une narration centrée sur les sociétés africaines elles-mêmes, plutôt que sur leur rapport à l’Europe.
Des figures comme Cheikh Anta Diop ou Joseph Ki-Zerbo avaient déjà posé les bases d’une histoire africaine écrite par les Africains. Aujourd’hui, des historiens, enseignants, artistes ou activistes poursuivent ce travail. Leur objectif n’est pas de nier l’héritage colonial, mais de le replacer dans une chronologie plus longue, qui rende justice aux civilisations précoloniales, aux résistances, aux trajectoires locales de construction des États.
Le mouvement gagne aussi les politiques éducatives. Certains pays, comme le Sénégal, le Bénin ou le Rwanda, ont entamé des réformes des programmes scolaires pour mieux intégrer l’histoire nationale et panafricaine. Mais les résistances demeurent : inertie institutionnelle, manque de formation des enseignants, pénurie de manuels adaptés… Et, plus profondément, une tension persistante entre les modèles éducatifs hérités de la colonisation et la volonté d’inventer des cadres pédagogiques enracinés.
Décoloniser le récit national, c’est donc bien plus qu’une réforme des programmes : c’est une démarche politique, culturelle et sociale. C’est aussi reconnaître que l’histoire n’est pas un simple savoir, mais un pouvoir. Celui de dire d’où l’on vient, pour mieux choisir où l’on va.
Avec Lemonde.fr
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