Depuis l’ère de la décolonisation, le continent africain a vu émerger des leaders visionnaires, qui ont incarné l’espoir d’une Afrique libre, indépendante et capable de profiter pleinement de ses richesses naturelles et humaines. Des figures telles que Patrice Lumumba, Sylvanus Olympio, Kwame Nkrumah, Modibo Keïta, Ruben Um Nyobè, Thomas Sankara, Samora Machel, Amilcar Cabral et Laurent Gbagbo ont marqué cette lutte. Pourtant, nombre d’entre eux ont été assassinés ou renversés, victimes des intérêts impérialistes occidentaux qui ne pouvaient tolérer une Afrique véritablement souveraine.
Aujourd’hui, le capitaine Ibrahim Traoré, au Burkina Faso, s’inscrit dans cette même dynamique de changement radical.
Pour éviter qu’il ne subisse le même sort que ses prédécesseurs, toute l’Afrique, y compris ses élites en diaspora, doit se mobiliser pour le soutenir et le protéger.
Une histoire tragique de leaders africains assassinés ou renversés
Les exemples sont légion et tragiquement similaires. Patrice Lumumba, premier Premier ministre de la République démocratique du Congo, fut exécuté avec deux autres alliés politiques (Maurice Mpolo et Joseph Okito), le 17 janvier 1961, parce qu’il était partisan d’une indépendance débarrassée de toute tutelle apparente ou occulte. La CIA américaine et le gouvernement belge seraient impliqués dans la mort atroce de Lumumba selon les enquêtes officielles menées par le Parlement belge en 2001 (Commission d’enquête parlementaire belge sur l’assassinat de Lumumba). Qu’est-ce que les impérialistes reprochaient à Lumumba? Le discours prononcé, le 30 juin 1960, à Léopoldville devant le roi Baudoin 1er. Lumumba avait déclaré: « Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la liberté et nous allons faire du Congo le centre de rayonnement de l’Afrique tout entière. »
Sylvanus Olympio, premier président du Togo, fut assassiné en 1963 lors d’un coup d’État qui peut être considéré comme la première déstabilisation militaire post-indépendance en Afrique francophone (cf. Jean-Pierre Bat, « Histoire politique du Togo », 1995). Kwame Nkrumah, architecte du panafricanisme, fut renversé en 1966 par un coup d’État militaire soutenu par la CIA (cf. John Stockwell, « In Search of Enemies », 1978). Dans son livre « Africa Must Unite », Nkrumah écrivait: « L’unité africaine est la clé pour mettre fin à la domination impérialiste. »
Modibo Keïta, premier président du Mali, fut déposé en 1968 par Moussa Traoré avec l’appui de la France, en grande partie à cause de son orientation socialiste indépendante. Emprisonné à Kidal, puis à Bamako, il mourra en détention le 16 mai 1977 (cf. Mamadou Coulibaly, « Modibo Keïta, l’étoile rouge », 2009 et Issa Balla Moussa Sangaré, « Modibo Keïta, la renaissance malienne », L’Harmattan, 2016).
Um Nyobè, leader du mouvement indépendantiste camerounais, fut abattu de plusieurs balles par l’armée coloniale française, le 13 septembre 1958. Son corps sera traîné jusqu’au chef-lieu de la région avant d’être coulé dans un bloc de béton. Il luttait pourtant « pour une Afrique libre, sans chaînes ni maîtres » (cf. Ruben Um Nyobè, « Le problème national kamerounais », présenté par J.A. Mbembe, L’Harmattan, 1984). Thomas Sankara, président du Burkina Faso de 1983 à 1987, fut éliminé lors d’un coup d’État perpétré avec la complicité d’intérêts étrangers (cf. Valère D. Somé, « Thomas Sankara, l’espoir assassiné », L’Harmattan, 1990). Samora Machel, premier président du Mozambique, est mort dans un accident d’avion en 1986. Cet accident aurait été orchestré par l’apartheid sud-africain (cf. Sabelo J. Ndlovu-Gatsheni, « The Decolonial Mandela », 2013). Amilcar Cabral, leader de la lutte pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert, fut assassiné en 1973 par des agents ennemis (cf. Pierre Englebert, « Amilcar Cabral and the National Liberation of Guinea-Bissau », 2000).
Plus récemment, Laurent Gbagbo, président de Côte d’Ivoire, a été déposé et emprisonné à La Haye (Pays-Bas) après la crise post-électorale de 2010-2011, dans un contexte où les puissances occidentales ont soutenu son adversaire Alassane Ouattara (cf. Moïse Lida Kouassi, « Témoignage sur la crise ivoirienne. De la lutte pour la démocratie à l’épreuve de la rébellion », L’Harmattan, 2010).
Ibrahim Traoré: un nouveau chapitre dans la lutte pour l’indépendance
Le capitaine Ibrahim Traoré, arrivé au pouvoir en 2022 dans un Burkina Faso en crise sécuritaire et sociale, porte une ambition de rupture avec le néocolonialisme. Quand on l’écoute, on ne peut s’empêcher de penser à Sankara qui disait que « le vrai développement, c’est celui qui libère les peuples et non celui qui enrichit une minorité ».
Traoré s’inscrit dans cette tradition de leaders qui veulent que leur pays maîtrise ses ressources et ses décisions politiques. Mais il fait face à des pressions intenses. Lui-même le reconnaissait dans une conférence de presse à Kaya, le 23 mars 2023: « La résistance au changement est forte, car elle menace ceux qui profitent du statu quo. »
Admirer Traoré, prier et chanter pour lui, tout cela est bien mais pas suffisant à mon avis, à cause des menaces internes et externes qui pèsent sur sa vie. Face à ces menaces, il est crucial que le continent africain et sa diaspora agissent. Il est important qu’ils fassent bloc derrière lui contre ceux qui veulent attenter à sa vie. Voici ce que déclarait Nkrumah à ce sujet: « L’Afrique doit s’unir pour protéger ses fils et bâtir son destin. » (cf. K. Nkrumah, « I Speak of Freedom », 1961).
Les élites africaines doivent s’engager, apporter leur expertise et ressources au service de la révolution burkinabè. La diaspora, un levier essentiel, peut jouer un grand rôle dans ce processus. Une victoire burkinabè est une victoire africaine. La réussite de Traoré serait un signal fort pour toute l’Afrique. Elle pourrait inspirer une nouvelle génération à refuser le joug néocolonial. Bref, nous devons agir ensemble pour protéger la révolution burkinabè. Pour éviter le sort funeste des leaders assassinés, nous devons être pour Traoré une muraille de feu tout autour comme Yahvé promettait de l’être pour la ville de Jérusalem (Zacharie 2, 5). Nous devons le soutenir par une mobilisation collective. Soutenir Traoré, c’est travailler à la renaissance africaine. Comme le clamait Patrice Lumumba, « le combat continue, car l’Afrique doit être libre et digne ».
Jean-Claude Djéréké
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