Le rattrapage ethnique (2ᵉ partie)/L’espace socioculturel mandingue au service d’un mythe politique: Aux origines d’une stratégie identitaire autour d’Alassane Ouattara

Par Dr. Ben Zahoui DÉGBOU
Géographe – Journaliste, spécialiste de géopolitique et de commerce international. Masterant en théologie, BIBLEDOC Institute of Theology, Stafford, VA (USA).


Un peuple transfrontalier et une culture instrumentalisée

Les Malinkés, encore appelés Mandingues ou Mandinkas, sont un peuple d’Afrique de l’Ouest estimé à environ 10,5 millions d’individus répartis entre le Mali, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Guinée, la Gambie et la Guinée-Bissau. Majoritairement agriculteurs, artisans ou commerçants, ils s’expriment souvent en dioula, une langue véhiculaire qui, dans certains contextes, tend à être perçue comme une « ethnie » à part entière.

Dans le cas ivoirien, l’instrumentalisation de cette culture, par le biais de la religion musulmane et de la référence mandingue, constitue une composante centrale de la stratégie identitaire attribuée à Alassane Ouattara et à ses conseillers, notamment occidentaux. Ces référents culturels, parce qu’ils s’étendent au-delà des frontières nationales, ont servi de socle à un discours transnational aux visées politiques internes.


Les limites internes d’une stratégie communautaire

Cependant, cette lecture homogénéisante du Nord ivoirien ne résiste pas à l’examen de la réalité sociale : la diversité religieuse y est réelle. Des Malinkés chrétiens, des Sénoufo animistes ou catholiques, des Mossi non musulmans y cohabitent depuis toujours. De plus, dans le sud du pays, les quartiers dioulabougous témoignent de la coexistence historique et pacifique entre communautés, bien avant l’arrivée de Ouattara sur la scène politique.

Face à cette diversité, et pour pallier l’essoufflement de la logique religieuse comme facteur fédérateur, la stratégie de conquête identitaire a évolué. Elle a intégré deux ressorts plus pernicieux : le délit de faciès et la rhétorique de l’exclusion ethnique, alimentée par un imaginaire de victimisation et de marginalisation historique.


La Charte du Nord : entre confusion historique et repli identitaire

C’est dans ce contexte qu’émerge, en 1991, la fameuse Charte du Nord, présentée comme une réponse politique à une prétendue exclusion des Malinkés. Cette initiative, portée par des proches de Ouattara, puise son inspiration, de manière détournée ou erronée, dans la Charte du Manden ou Kouroukan Fouga, instaurée au XIIIᵉ siècle par Soundiata Keïta.

Or, cette référence historique est profondément biaisée. La Charte du Manden, issue d’une assemblée de chasseurs traditionnels après la victoire de Kirina (1235), visait à promouvoir la paix, la cohésion sociale, la dignité humaine et la non-discrimination. Elle est même considérée comme l’une des premières Déclarations des droits humains au monde. Elle s’opposait fondamentalement à toute forme de repli ethnique ou de suprématie identitaire.


Des Dozos aux rebelles : une mystique dévoyée

Contrairement aux Dozos traditionnels – initiés, gardiens de la sagesse mandingue et piliers de la spiritualité communautaire – les miliciens que Ouattara a « utilisés » lors des conflits des années 2000 ne relèvent que d’un dozoya de circonstance. Leur implication dans les violences politiques trahit la vocation sacrée de cette institution.

Soundiata Keïta, après ses conquêtes, n’a jamais instauré une domination exclusive des Malinkés sur les autres peuples de l’Empire du Mali. Son règne, bien au contraire, fut marqué par une politique d’inclusion et d’harmonie, selon les travaux de Djibril Tamsir Niane ou Laurent Gbagbo.


Un projet politique nourri par le paradigme colonial

La résurgence d’un imaginaire identitaire diviseur sous Ouattara s’inscrit dans la continuité des stratégies coloniales du « diviser pour régner », où l’ethnie devient le critère d’organisation de l’espace politique et social. La Côte d’Ivoire a été, selon cette logique, artificiellement morcelée entre un Nord musulman et un Sud chrétien ou animiste, ce qui nie les dynamiques historiques d’interpénétration culturelle.


Une relecture sociologique du rattrapage ethnique

En mobilisant les apports de Max Weber, on comprend comment l’ethnie peut devenir, dans un contexte d’exclusion ou de menaces (réelles ou perçues), une base de repli, de solidarité défensive et de mobilisation politique. Ouattara et ses partisans semblent avoir consciemment joué de ce ressort, provoquant une crispation identitaire durable.


Conclusion

L’espace mandingue, dans sa profondeur historique et culturelle, a été réduit à un instrument de légitimation politique par une lecture partielle et opportuniste de l’histoire. Le « rattrapage ethnique », loin d’être une réparation, s’avère être une manœuvre politique fondée sur la manipulation de l’identité collective. Il est urgent de redonner aux peuples de Côte d’Ivoire, dans leur diversité, la possibilité d’écrire une histoire nationale dépouillée des stratégies d’exclusion, fidèle à l’esprit de la Charte du Manden : un vivre-ensemble fondé sur la justice, la dignité et la reconnaissance mutuelle.


Le « rattrapage ethnique » du régime Ouattara: Un néologisme au cœur d’un projet d’exclusion ?

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