En Côte d’Ivoire, on dit souvent que « quand le chef est
malade, c’est le pays qu’on doit soigner ». Mais que dire
lorsque les chefs eux-mêmes fuient le lit du malade
ivoirien pour aller s’aliter dans le confort aseptisé de
Neuilly-sur-Seine en France ?
La signature récente d’un partenariat entre Corsair,
plusieurs institutions publiques ivoiriennes – dont
l’Assemblée nationale, le Sénat, l’ARDCI, l’UVICOCI – et
l’Hôpital Américain de Paris n’est pas un simple accord
technique ou un choix logistique. C’est une confession
involontaire.
Ce contrat commercial, maquillé en convention
institutionnelle vertueux, révèle au grand jour ce que
beaucoup savent déjà et que les officiels tentent de
dissimuler : la grande réforme sanitaire annoncée à
grands cris et à grands frais en 2018 est un échec
qu’on tente vainement de masquer.
1,8 MILLIARD D’EUROS, SOIT 1.181 MILLIARDS DE FRANCS CFA … POUR ÇA ?
Rappelons les faits : en 2018, le gouvernement ivoirien a
annoncé avoir lancé un ambitieux programme de
modernisation du système de santé, avec des
investissements dépassant 1,8 milliard d’euros, visant à
réhabiliter les infrastructures, améliorer l’offre de soins, et
garantir l’accessibilité médicale à toutes les couches de la
population.
Sept ans plus tard, que voit-on ?
Des centres de santé sans matériel de base, des
hôpitaux publics sans aucune condition de travail
décente, des urgences surpeuplées, des patients
entassés sur des brancards, des infirmiers mal payés
et des médecins démotivés.
Ce programme de modernisation est devenu une
opération de cosmétique administrative. On a repeint
quelques murs, installé quelques scanners désuets
souvent offerts gracieusement par les hôpitaux européens
dans les hôpitaux-vitrines, tout en laissant le système de
soins s’effondrer dans la réalité quotidienne des
Ivoiriens.
TOURISME MÉDICAL POUR LES ÉLUS, PATIENCE
MORTELLE POUR LE PEUPLE
Dans ce contexte, les accords signés avec Corsair et
l’Hôpital Américain de Paris prennent une couleur
particulièrement cynique.
Pendant que les populations doivent vendre leur bétail,
leurs champs ou quémander sur les réseaux sociaux pour
payer une césarienne ou une chimiothérapie, les
membres du Sénat et de l’Assemblée nationale
reçoivent des cartes Platinum Corsair, des réductions
de 35 %, et un accès VIP à des soins de luxe en France.
Quel message envoie-t-on au peuple ? Que leurs
dirigeants ne font pas confiance à leur propre système
de santé. Que les hôpitaux publics locaux sont bons pour
les pauvres, mais que les élites, elles, ont droit à des
traitements à plusieurs milliers d’euros dans des cliniques
parisiennes.
UN SYSTÈME CORROMPU JUSQU’À LA SERINGUE
Il ne s’agit pas simplement d’un problème de soins, mais
d’un problème de morale publique. Et ça, c’est une autre
affaire.
Comment peut-on investir autant de milliards dans la santé
et ne pas en récolter les fruits collectifs ?
Parce que ce système est gangrené par les
surfacturations, les détournements, les appels d’offres
truqués, les intermédiaires inutiles. Chaque lit d’hôpital
coûte deux fois plus cher qu’il ne devrait. Chaque chantier
traîne, chaque livraison de matériel médical est une
occasion de prendre une commission.
Les rapports d’audit ne sont pas publiés. Les agences
de contrôle sont muselées. Et dans ce silence, les
malades meurent, les soignants s’épuisent, pendant que
les puissants signent des contrats de “tourisme médical”.
L’EXIL SANITAIRE EST UN AVEU D’ÉCHEC
Le plus grave, c’est que ces pratiques sont
institutionnalisées, banalisées, parfois même
célébrées. On parle d’ « ouverture au monde », de «
partenariat stratégique ».
Mais en réalité, l’État avoue qu’il n’a pas réussi à bâtir un
système de santé digne pour tous. Il choisit de soigner
les symptômes de ses privilégiés à Paris, plutôt que de
soigner la maladie du peuple à Bouaké.
Ce partenariat n’est pas un progrès. C’est une fuite en
avant, une capitulation éthique, un aveu
d’incompétence. Et tant que ce modèle perdurera – un
système de santé à deux vitesses, une médecine réservée
aux puissants et une survie improvisée pour les pauvres –
aucun développement réel ne sera possible.
IL EST ENCORE TEMPS
Nous ne sommes pas condamnés à cette injustice. Il
existe une alternative de refondation. La Côte d’Ivoire
regorge de médecins compétents, d’ingénieurs en santé
publique, de jeunes engagés prêts à bâtir un modèle
souverain, équitable, et accessible.
Mais pour cela, il faut rompre avec cette mentalité de
fuite, avec ce culte, ce mythe de la solution étrangère,
avec cette petite bourgeoisie politique obsédée par les
billets d’avion et les chambres d’hôtel à Neuilly en
France.
Il faut exiger des comptes. Publier les bilans. Auditer les
fonds. Écouter les soignants. Réhabiliter les hôpitaux. Et
surtout, faire en sorte que ceux qui gouvernent soient
les premiers à expérimenter ce qu’ils ont mis en place
pour le peuple.
Car si l’hôpital de Treichville n’est pas assez bon pour le
président de l’Assemblée, alors il n’est pas assez bon
pour la nation tout entière. Et cela est un scandale.
DR KOCK OOBHUSU, Économiste
: la présidente du Sénat a annoncé le renouvellement d’une convention permettant aux fonctionnaires et à leurs familles d’avoir accès à des tarifs préférentiels avec la compagnie Corsair, ainsi qu’avec l’hôpital américain de Paris.
Les précisions de @juliaguggy pic.twitter.com/HN3THPobAo
— Le Journal de l’Afrique – France 24 (@JTAfrique) May 19, 2025
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