Le coût élevé des infrastructures construites par le Japon en Côte-d’Ivoire

La Chine est souvent critiquée pour sa méthode dans la construction des infrastructures en Afrique. Les États africains n’interviennent à aucun moment dans le processus, de la conception à la réalisation de l’ouvrage. Tous les matériaux importés de Chine, de même que l’essentiel de la main-d’œuvre. Aucun sous-traitant ou fournisseur local n’intervient, l’entreprise chargée de la certification des travaux est aussi chinoise. Les États se contentent seulement de réceptionner les ouvrages, à charge pour eux de reprendre les travaux à leur compte s’ils ne sont pas conformes à ce qui fut convenu. Ce fut notamment le cas du stade d’Ebimpé en Côte d’Ivoire. La Chine est aussi accusée de mener les Etats au surendettement en ne tenant pas compte de leur capacité à rembourser les dettes contractées avec ces infrastructures.

Depuis la visite en Côte d’ivoire du Premier Ministre Japonais shinzo Abe les 10 et 11 Janvier 2014, le Japon a construit un certain nombre d’infrastructures dans le pays, dont l’échangeur du carrefour Solibra, un vaste terminal céréalier au Port d’Abidjan, et rois échangeurs sont présentement en construction sur le boulevard Mitterrand. Le Japon est par ailleurs en discussion avec le Port d’Abidjan pour la construction d’un pont sur la baie de Biétry. Si la Chine est décriée, qu’en est-il des Japonais ? Leur méthode est-elle fondamentalement différente ?

L’échangeur de la Solibra est un don de l’ex-premier Shinzo Abe, dont il porte le nom. Il fut construit en deux phases. D’abord un pont à deux branches dans le sens Marcory-Treichville (livré en 2019), puis un deuxième pont au-dessus du premier, dans le sens Treichville-Marcory (livré en 2024). Ainsi globalement, l’échangeur de la solibra a coûté 60,6 milliards FCFA, dont 54 milliards de don du Japon et 6,6 milliards de l’Etat ivoirien. On remarque que son coût est plus élevé que celui de l’échangeur de pokuase au Ghana voisin ( 52,4 milliards de FCFA ) livré en 2021, et celui de l’échangeur de Marcory dans le cadre du troisième pont ( 24,61 milliards FCFA ) livré en 2014 dont il fait plus du double du prix, deux échangeurs construits dans la même période, et qui sont beaucoup plus aboutis que lui, surtout celui de pokuase au Ghana.

Comment expliquer cette différence de coûts ? L’échangeur de Marcory fut construit par le groupe français Bouygues, et celui de Pokuase au Ghana par une entreprise brésilienne. Faut-il incriminer les matériaux utilisés ? Le coût de la main-d’œuvre ? La complexité propre à chaque échangeur ? Ou avons-nous affaire à une infrastructure ‘’surévaluée’’ , c’est-à-dire dont le coût réel est inférieur à ce qui est officiellement communiqué ? Cette éventualité n’est pas à écarter car les grands pays ont tendance à surévaluer les dons faits aux nations du Sud. Il faut cependant noter que des entreprises ivoiriennes sont intervenues dans l’ouvrage. De même, le BNETD en a été le bureau de contrôle, également une large part de la main-d’œuvre était locale. Ce sont des différences fondamentales avec la méthode chinoise.

Le japon construit présentement trois échangeurs sur le boulevard Mitterrand, aux carrefours de l’école de police, de la riviera III, et de la riviera palmeraie. Coût global, 75 milliards FCFA. Officiellement ils sont financés « conjointement » par la Côte d’Ivoire et la JICA, l’agence japonaise de coopération et d’aide internationale. Pourtant la contribution de chaque partie n’a pas été précisée, ni le coût de chaque échangeur, ce qui est assez curieux, et ne facilite pas la comparaison avec d’autres ouvrages du même type construits dans la même période.

Mais une comparaison des coûts est néanmoins possible avec l’échangeur du carrefour Akwaba, ouvert à la circulation en Mars dernier. Son coût est de 26,2 milliards, avec un tablier de 02 x 03 voies, pour une longueur de 395,40 mètres. L’échangeur de la palmeraie ( le plus long des trois futurs échangeurs construits par les Japonais ), aura aussi un tablier de 02 x 03 voies, mais une longueur de 266 mètres, soit 129 mètres de moins que Akwaba. Or il ne pourra pas coûter moins de 26 milliards, le prix moyen des trois échangeurs. Étant le plus long des trois, il coûte logiquement plus cher que les deux autres, donc son coût est supérieur à 26 milliards. Ainsi son coût sera plus élevé que celui de l’échangeur Akwaba alors qu’il est moins long que lui de 129 mètres. On retombe de nouveau sur la même conclusion, les infrastructures construites par les Japonais ont un coût relatif élevé.

Enfin le terminal céréalier. L’infrastructure a coûté 80 milliards FCFA. D’abord un prêt de 70 milliards, puis un autre de 10 milliards. Les travaux ont été lancés en Janvier 2020, et le terminal est entré en exploitation en Mai 2023. Il n’ y a pas d’infrastructure similaire construite dans la même période, qui aurait permis d’effectuer la comparaison des coûts. Mais au vu de ce qui précède, ce terminal aurait certainement eu un coût moindre si la Chine, ou un tout autre Etat du Sud assez avancé ( Brésil, Turquie, etc …….) l’avait construite.

En conclusion, il faut souligner encore une fois, le coût relatif élevé des infrastructures construites par le Japon. Peut-on parler d’une certaine qualité de leurs ouvrages justifiant ces coûts ? Peut-être. Cependant on peut noter que leur méthode est moins brutale et moins coercitive que celle des Chinois. Les japonais construisent certes eux-mêmes les infrastructures dont ils assurent le financement, mais respectent un peu les formes. Il y a des appels d’offres, l’entreprise de contrôle des travaux est indépendante, ils ont recours à des fournisseurs et sous traitants locaux, avec une présence beaucoup plus importante de nationaux sur les chantiers. Ce n’est pas le cas des Chinois.

Chez les occidentaux, les choses ne sont pas aussi systématiques. Le métro d’Abidjan par exemple est financé par un prêt de 1,77 milliards d’euros de la France ( environ 1 161 milliards de FCFA). C’est un financement lourd, et bien entendu le Chantier est attribué à un consortium d’entreprises françaises, en occurrence ici Alstom, Bouygues, Colas, et Keolis. Des entreprises ivoiriennes interviennent néanmoins dans la sous traitance de certains lots du projet.

Pour des financements de moindre importance, les Occidentaux en général permettent que les marchés soient exécutés par des entreprises locales. Dans le cadre du CDD ( Contrat de Désendettement et de Développement ) mis en place par la France pour les pays du Sud, ce sont quasiment des entreprises de ces pays qui sont sollicitées. Cela se voit aussi avec les américains. Dans le cadre du MCC, ce ne sont pas des entreprises américaines qui exécutent les travaux. Avec les Japonais et les Chinois, les marchés sont systématiquement attribués à leurs entreprises quel que soit le montant du financement, ce qui est fort regrettable pour les pays bénéficiaires, car cela limite l’effet d’entraînement sur leurs économies. Le sens de l’aide, c’est accompagner les pays en développement, et non se substituer à eux. En ce sens on peut dire que les aides ou les dons de la Chine et dans un certaine mesure du japon, sont fortement biaisées.

Douglas Mountain

Le cercle des Réflexions libérales

oceanpremier4@gmail.com
Photo: Shinzo abe accueilli par le président Ouattara à sa descente d’avion le 10 janvier 2014

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