Opinion politique
« Ce sera moi ou personne. Le PDCI ne présentera pas d’autre candidat ». Cette phrase de Tidjane Thiam semble avoir généré un électrochoc dans l’opinion. Elle a montré qu’il a désormais les yeux rivés vers le fauteuil présidentiel. Pourtant la justice a scellé son sort. A-t-il les moyens de rendre le pays « ingouvernable » si les recours qu’il envisage échouent ? A-t-il les moyens d’effectuer un « passage en force » ? La question peut se poser vu la détermination affichée au lendemain de sa radiation de la liste électorale. D’où peut bien lui venir cette assurance de pouvoir faire plier le pouvoir en place ?
Pourtant le fond de l’affaire est bien simple. Tidjane Thiam est ivoirien de père et de mère. Cela est établi. Seulement à l’âge de 25 ans, il a acquis la nationalité française. L’alinéa 1 de l’article 48 du code de la nationalité ivoirienne stipule qu’un ivoirien majeur qui acquiert une autre nationalité, perd sa nationalité ivoirienne. Cette perte n’intervient pas au terme d’une procédure, elle est automatique. Thiam a renoncé à la nationalité française le 07 Février 2025, avec effet le 20 Mars. Or il s’est inscrit sur la liste électorale en 2022, ce qui signifie simplement que lorsqu’il s’inscrivait, il n’était pas citoyen ivoirien, mais toujours citoyen français. Son inscription était ainsi irrégulière. Il avait certes réussi à se procurer un certificat de nationalité ivoirienne, mais qui est aussi du faux puisqu’il n’était pas citoyen ivoirien au moment où ce document était établi. Voilà toute l’affaire.
Aujourd’hui, il est citoyen ivoirien de plein droit. Là aussi le rétablissement de sa citoyenneté est automatique, elle n’intervient pas au terme d’une quelconque procédure. Si une nouvelle révision de la liste électorale est organisée, il pourra s’inscrire. Si elle n’intervient pas, il ne pourra pas être électeur, et par conséquent ne pourra pas être éligible, c’est-à-dire candidat à une quelconque élection. Evidemment l’ombre du pouvoir semble se dessiner derrière tout cela, mais ce n’est nullement de l’injustice, c’est le Droit. Le dispositif de Thiam comportait des failles au regard de la loi, et ces failles ont été utilisées pour le neutraliser de façon légale. On ne peut que regretter que l’homme s’y soit pris aussi tardivement pour renoncer à la citoyenneté française, car son nom Thiam est dans le débat politique depuis 2017. Quelles peuvent être ses options si ses recours échouent ?
Miser sur des manifestations de rue pour exiger son inscription sur la liste électorale, suivi d’ un « boycott actif » des élections, c’est-à-dire empêcher physiquement le vote de se produire ? Ce fut la stratégie de l’opposition en 1995 et en 2020. Dans les deux cas, on a dénombré des morts mais cela n’a pas empêché le vote. Le boycott « actif ou passif » semble ne pas être une solution, car partout en Afrique où il est mis en œuvre, le pouvoir en place parvient toujours à organiser les élections. En l’absence de candidats de l’opposition, ceux du pouvoir remportent le scrutin haut la main, certes avec une participation plus ou moins faible.
Avec son carnet d’adresse, Thiam peut-il pousser à une médiation régionale ou internationale avec à la clé le report des élections, ou la mise en place d’une d’une nouvelle CEI ? Tout report des élections, débouchera sur un débat pour la mise en place d’un gouvernement de transition, puisque les institutions seront désormais hors cadre légal. Il y a peu de chance que cette demande aboutisse en 2025 pas plus que cela ne fut le cas en 2020. Que ce soit la mise en place d’une nouvelle CEI, ou le report des élections, le pouvoir sait que toute concession à ce niveau peut lui être potentiellement fatale, car il ne sera plus le seul à décider désormais.
Thiam peut-il « indirectement » pousser à l’intervention de l’armée ? Cela reste une éventualité. En 1999, personne n’a vu venir la chose, tout le monde a été tétanisé. Toutefois le contexte n’est pas le même. Depuis 2011 l’armée ivoirienne a acquis une cohésion interne bien plus forte, avec un haut commandement « homogène », entièrement dévoué au pouvoir en place pour ne pas dire au président de la république. Il ne faut pas sous-estimer l’impact de la crise post-électorale de 2010-2011, elle a été traumatisante pour les populations mais aussi pour l’armée avec les combats acharnés qui se sont produits durant cinq mois (Novembre 2010- Mars 2011). Il ne faut pas non plus sous – estimer la situation sécuritaire dans la sous-région. Tout cela maintient l’armée ivoirienne en état d’alerte permanente. Que ce soit pour des défis extérieurs comme intérieurs.
Enfin, Thiam va-t-il constituer un « gouvernement de transition en exil » et œuvrer à sa reconnaissance par les Etats occidentaux et les principaux partenaires de la Côte d’Ivoire ? On peut se souvenir que durant la crise postélectorale de 2010-2011, la CI avait deux gouvernements. Celui qui était reconnu par la communauté internationale, n’était pas aux affaires durant les 06 premiers mois de la mandature. Toutefois là encore, il est très peu probable qu’un tel gouvernement soit reconnu, dès lors que les élections se sont déroulées et ont été déclarées justes et équitables, peu importe les candidats qui seront affrontés.
Technocrate froid comme le président Ouattara à son âge, Thiam a désormais le fauteuil présidentiel en ligne de mire, décidé cette fois à le conquérir. Faut-il craindre une instabilité permanente du pays s’il n’est pas autorisé à compétir en 2025 ? Le pouvoir en place est tenu d’une main de fer (certes dans des gants de velours). Sous des dehors démocratiques, le pouvoir ivoirien est l’un des plus durs en Afrique. Aussi dans le cas où ses recours échouent, il n’est pas certain que les initiatives futures de Thiam quelles qu’elles soient puissent prospérer.
Mais la conquête du pouvoir est faite de luttes. Du Président Houphouët au Président Ouattara, ceux qui ont gouverné ce pays ont bravé des obstacles dans leur marche vers le sommet de l’Etat. Le Président Ouattara a dû faire face aux régimes des présidents Bédié, Guéi, et Gbagbo pour enfin monter sur le podium. Le président Gbagbo a dû affronter les régimes des présidents Houphouët, Bédié et Guei pour accéder au trône. Le président Bédié a dû jouer son va-tout suite au décès du président Houphouët pour obtenir le pouvoir. Le président Houphouët a dû combattre les obstacles dressés par le colonisateur, ainsi que les rivalités entre élus africains. Ainsi Thiam devra verser beaucoup de sueur s’il aspire à diriger ce pays. Qu’il ne croit pas un seul instant que le pouvoir lui sera servi sur un plateau. C’est à la taille de l’obstacle que se mesure la valeur du guerrier dit-on.
Douglas Mountain
oceanpremier4@gmail.com
Le Cercle des Réflexions Libérales
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