LA CÔTE D’IVOIRE: LE TEMPS DE LA COHÉRENCE

Il est une chose plus redoutable que la pauvreté ou le colonialisme : c’est l’incohérence de ceux qui héritent d’un pays, sans savoir en porter la charge. La Côte d’Ivoire, petit territoire ouest-africain, souffre moins d’un manque de ressources ou d’intelligence que d’un mal insidieux : la désunion chronique de ses enfants.

Ici, les fractures ethniques et les rivalités politiques ont été si habilement exploitées depuis longtemps que l’on a vu des frères se lever contre leurs propres frères. Pour quoi ? Pour le pouvoir, bien sûr. Mais aussi — et c’est plus grave encore — pour défendre les intérêts d’étrangers qui, eux, savent très bien se serrer les coudes lorsque leur survie économique ou foncière est en jeu. En Côte d’Ivoire, on se bat pour un poste, pour un parti, pour une promesse. Ailleurs, on se bat pour la terre, pour la souveraineté, pour la nation, pour un projet.

Le paradoxe est cruel : les pays environnants, tout aussi multiethniques que la Côte d’Ivoire — Mali, Burkina Faso, Guinée, Sénégal, Mauritanie, etc. — ont compris que, face au péril, il faut se tenir debout ensemble, ou tomber seul.

Au Sénégal, même lorsque les divergences politiques atteignent des sommets, une forme de cohérence nationale subsiste. Les débats sont vifs, parfois violents, mais les fondamentaux tiennent. Il existe un socle, un respect implicite
des limites à ne pas franchir. Là-bas, aucun étranger ne devient propriétaire terrien sans que l’État ne s’en mêle. La souveraineté foncière n’est pas un slogan : c’est un principe.

En Côte d’Ivoire, c’est l’inverse. Les terres changent de main au gré
des arrangements, des complicités des cadres administratifs, des
trahisons des préfets et sous-préfets. L’État, au lieu de protéger,
s’efface ou pactise. Le citoyen ivoirien se retrouve n’être plus qu’un
pion dans un jeu dont il ne connaît même plus les règles. Pendant ce
temps, certains étrangers, mieux organisés, mieux soudés, progressent
sans résistance, profitant d’un territoire livré à lui-même.
Le problème n’est pas qu’ils soient plus intelligents ou plus
travailleurs contrairement aux idées reçues. Le problème, c’est que les
Ivoiriens sont divisés. Et la division, c’est une faille béante dans
laquelle les plus opportunistes s’engouffrent. Là où l’unité nationale
devrait primer, on érige des barrières tribalistes, de partis, de régions.
On préfère s’identifier à une ethnie qu’à une nation. On préfère

défendre un chef qu’un projet commun d’intérêt national. Ce n’est pas
l’autre qui est fort, c’est les ivoiriens qui sont incohérents.
La classe politique transfrontalière exploite cette incohérence comme
un carburant. Le peuple ivoirien est tantôt invité à se battre, tantôt à se
taire, mais rarement à penser. Or, un peuple qui ne pense pas
collectivement est un peuple à la merci des intérêts extérieurs.
L’heure est grave. La Côte d’Ivoire, à force d’ouvrir ses bras sans
vigilance, est en train de perdre sa colonne vertébrale. L’hospitalité,
chantée à tout-va et clamée comme slogan, devient faiblesse
lorsqu’elle se fait naïveté. Le vivre-ensemble n’est pas un
désarmement identitaire. La paix n’est pas un comportement
d’abandon. Il est temps que les Ivoiriens comprennent qu’aimer son
pays, ce n’est pas détester l’autre, mais se protéger d’abord. Il est
temps d’être cohérent.

IL EST TEMPS DE TISSER LE FIL DE L’HISTOIRE AFIN DE RECONSTRUIRE UNE COHÉRENCE NATIONALE

La Côte d’Ivoire n’est pas née incohérente malgré une histoire de
peuplement tronquée et déversée dans les livres manuels scolaires
dans les années soixante.

Au fil des décennies, l’État ivoirien a cessé d’être un arbitre au-dessus
des clans. Il s’est mué en outil au service de factions. L’administration
publique au fil des ans est devenue de plus en plus un terrain de
partage, de clientélisme. L’école, moteur de la mobilité sociale, s’est
effondrée. La politique, au lieu de rassembler autour de valeurs
fondamentales, de projets de société, a divisé. Chaque élection est
désormais vécue comme une guerre de survie, et non comme un débat
d’idées. Dans ce chaos, les plus organisés — souvent venus d’ailleurs
— trouvent leur place. Non parce qu’ils sont mieux outillés, mais
parce qu’ils savent tirer parti de l’absence de cohésion nationale des
ivoiriens.

Il faut le dire sans haine mais sans complaisance : une nation qui ne
sait pas protéger ses terres (qu’elles soient urbaines ou rurales), ses
travailleurs, ses institutions, est une nation qui s’expose à toutes les
prédations. Ailleurs, malgré la pauvreté, malgré les coups d’État, les
peuples ont gardé un sens du “nous” collectif. Ce sens, la Côte

d’Ivoire doit le retrouver — ou accepter de sombrer dans une logique
de dépossession tranquille.

La solution ne viendra pas d’un homme providentiel, ni d’une
génération spontanée de dirigeants vertueux. Elle viendra d’un sursaut
citoyen. Il faut réapprendre à penser en termes d’intérêt général, à
exiger de l’État qu’il joue pleinement son rôle de garant du bien
commun. Il faut réhabiliter l’école, les institutions, l’autorité publique.
Il faut enseigner l’histoire nationale de manière inclusive, objective,
pour que chaque enfant de ce pays — du nord, du sud, de l’ouest ou
de l’est — se sente légitimement héritier d’une même maison. Il faut
remettre la méritocratie au cœur du fonctionnement social, et cesser de
distribuer les postes sur des bases ethniques ou clientélistes.

Enfin, il faut oser poser la question foncière, sans tabou ni haine. Une
nation ne peut survivre si ses enfants n’ont plus accès à la terre, si les
équilibres fonciers sont laissés aux rapports de force bruts. Cela
demande du courage politique, mais surtout une pression populaire
éclairée, ferme, lucide. Il ne s’agit pas d’exclure, mais de rétablir une
justice.
La Côte d’Ivoire n’a pas vocation à être un territoire en libre-service.
Elle est une terre de dignité, de fierté, de puissance dormante. Mais
cette puissance ne se réveillera que si ses enfants, dans un sursaut de
cohérence, décident enfin de s’aimer entre eux avant de vouloir
accueillir le monde entier.

POUR UNE POLITIQUE DE COHÉRENCE NATIONALE : PISTES CONCRÈTES POUR RECONSTRUIRE

La lucidité ne suffit pas. Il faut agir. Et pour sortir de cette logique
d’éparpillement, de dépossession et de désordre actuel, la Côte
d’Ivoire doit se doter d’un agenda de reconstruction nationale fondé
sur trois piliers : la régulation foncière, la refondation institutionnelle,
et la réhabilitation civique. Cela suppose des décisions difficiles, mais
aussi des actes concrets qui redonnent au citoyen ivoirien confiance en
lui-même et en l’État. Pour cela il faut.
1. Régulation foncière : une priorité nationale
La question foncière est au cœur des crispations sociales. Elle doit être
traitée avec fermeté, clarté et équité. Cela implique :

• L’adoption et l’application stricte d’un Code foncier rural et urbain
qui protège les droits historiques des Ivoiriens tout en régulant (voire
interdisant) strictement l’accès des étrangers à la propriété.
• La digitalisation du cadastre national, afin de mettre fin aux fraudes,
aux conflits liés aux doubles attributions et à la spéculation sauvage.
• La création de tribunaux fonciers spécialisés, indépendants des
pressions politiques et capables de trancher rapidement les litiges.
2. Refondation des institutions : restaurer l’État comme arbitre neutre
L’État ivoirien doit redevenir un acteur central et respectable. Pour
cela:
• L’indépendance réelle de la justice est indispensable. Aucun progrès
n’est possible sans une magistrature incorruptible, protégée et capable
de juger tout le monde, y compris les plus puissants.
• La révision du mode de nomination des hauts fonctionnaires, pour
promouvoir la compétence au-dessus de l’appartenance ethnique ou
politique.
• La fin du clientélisme administratif, à travers un grand audit national
des concours, des affectations et des promotions dans la fonction
publique.
• Une Haute Autorité de la Cohérence Républicaine, organe
consultatif chargé d’évaluer toutes les politiques publiques à l’aune de
l’unité nationale, des équilibres régionaux et de la justice sociale.
3. Réhabilitation civique : éduquer pour rassembler
Enfin, la cohérence d’un pays commence dans la tête de ses enfants.
L’école doit cesser d’être un lieu d’échec ou de reproduction des
inégalités, et devenir un espace de construction de la conscience
nationale :
• Réforme des programmes scolaires, pour intégrer une éducation
civique forte, fondée sur l’histoire ivoirienne (dans toutes ses
dimensions) et les valeurs de la République.
• Mise en place d’un vrai service civique national, obligatoire et
structurant, qui réunirait les jeunes de toutes origines autour de projets
communs : agriculture, protection de l’environnement, assistance
sociale, etc.
• Création de clubs civiques dans les quartiers et villages, avec des
micro-financements publics pour des projets portés par des jeunes,
encadrés par des mentors.

• Valorisation symbolique et financière des métiers de l’enseignement,
pour faire de l’enseignant un pilier de l’État et non un acteur
marginalisé.
CONCLUSION : IL FAUT BÂTIR LA FIERTÉ D’ÊTRE IVOIRIEN
La cohérence d’un pays ne se décrète pas. Elle se cultive. Elle se
défend. Elle s’éduque. Elle se protège. La Côte d’Ivoire doit retrouver
son histoire, la vraie, sa diversité, son ambition. Mais cela ne se fera
qu’en reconstruisant un cadre clair, juste, ferme, où chaque citoyen
sent qu’il appartient à quelque chose de plus grand que son ethnie ou
sa région : La Nation.

Il est encore temps de refonder la Côte d’Ivoire. Mais il faut décider.
Et agir. Vite. Et ensemble.

© DR KOCK OBHUSU, Économiste
L’histoire nous jugera. En attendant, faisons-la avancer ensemble !

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