Afrique de l’ouest / La CEDEAO face à ses cinquante ans de contradictions

À l’occasion du 50e anniversaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les voix critiques se font entendre, dressant un bilan mitigé de l’organisation. Parmi elles, celle de Léandre Sahiri, enseignant-chercheur, psychocritique, écrivain et éditeur, Docteur ès Lettres de l’Université de la Sorbonne, apporte un éclairage sans concession sur les limites structurelles et politiques de la CEDEAO.

Une organisation déconnectée des peuples

Pour Léandre Sahiri, la CEDEAO s’est constituée dès ses débuts comme « un club fermé de chefs d’État », opérant en vase clos, loin des réalités vécues par les populations ouest-africaines. Il souligne que cette organisation « n’a jamais véritablement associé les peuples à ses prises de décision », ignorant les enjeux fondamentaux que sont le chômage des jeunes, la pauvreté ou encore l’accès à la formation professionnelle. L’expert estime que la CEDEAO a échoué à impulser un changement transformateur, malgré les nombreuses attentes suscitées par la croissance démographique. « Les jeunes attendent des réponses structurelles, mais les institutions régionales restent sourdes », déclare-t-il.

Une faillite sécuritaire patente

Sur le plan de la sécurité régionale, Sahiri évoque une véritable débâcle. Entre 2020 et 2024, plusieurs États membres – le Mali, la Guinée, le Burkina Faso et le Niger – ont été secoués par des coups d’État. « La CEDEAO s’est révélée incapable d’anticiper, de prévenir ou de gérer ces crises », affirme-t-il. Pire encore, selon lui, les sanctions imposées aux régimes militaires n’ont fait qu’accentuer la fracture entre l’organisation et les populations : « Ces sanctions ont souvent été vécues comme des punitions collectives injustes ». Concernant le Sahel, région en proie au terrorisme, Sahiri déplore l’absence de mécanisme crédible de sécurité. « La CEDEAO a regardé ailleurs pendant que le Sahel brûlait. Le G5 Sahel a parfois été plus actif qu’elle », regrette-t-il.

Une intégration économique en panne

Le rêve d’une intégration économique ouest-africaine reste largement inachevé, selon l’expert. Il pointe notamment l’échec du protocole sur la libre circulation : « En théorie, les citoyens peuvent circuler librement. En pratique, les routes restent parsemées de barrières illégales, de corruption et de contrôles arbitraires ». Quant à la monnaie unique, l’ECO, Léandre Sahiri y voit une illusion perpétuellement repoussée. Il attribue cet échec à l’ingérence persistante des puissances étrangères, notamment de la France à travers l’UEMOA et le franc CFA. « Tant que ces outils de domination monétaire subsisteront, l’autonomie économique de l’Afrique de l’Ouest restera un vœu pieux », affirme-t-il.

Une organisation sous influence étrangère

Pour Sahiri, la CEDEAO est progressivement devenue un instrument géopolitique des puissances occidentales, notamment de la France et des États-Unis. Il évoque l’intervention au Mali en 2013, soutenue par la France, comme un exemple manifeste d’une coopération dictée par des intérêts extérieurs. Selon lui, la réaction disproportionnée de la CEDEAO face aux régimes militaires récemment installés montre une organisation plus soucieuse de plaire aux capitales occidentales qu’à ses propres peuples.

Vers une nécessaire réinvention

Au terme de son analyse, Léandre Sahiri conclut que la CEDEAO souffre d’une crise profonde de légitimité et d’efficacité. Pour l’expert, seule une rupture nette avec les logiques anciennes permettra à l’organisation de retrouver sa raison d’être. Cela passe notamment, selon lui, par une sortie progressive des outils d’influence étrangers, à commencer par le franc CFA, et une reconnexion urgente avec les aspirations populaires.« Cinquante ans après sa création, la CEDEAO doit choisir : continuer à servir des intérêts étrangers, ou redevenir une vraie institution panafricaine au service des peuples », conclut Léandre Sahiri, appelant à une refondation profonde et lucide de l’organisation.

Par DEMBELE Mamadou, correspondance particulière

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