QUAND LES RELIGIEUX SONT INVITÉS À LA TABLE DU MENSONGE

L’exclusion de citoyens de la liste électorale, le bourrage éhonté de cette liste avec l’inscription frauduleuse de personnes aux identités hallucinantes et le refus obstiné de sa révision révèlent une crise profonde de la démocratie et de l’expression des libertés en Côte d’Ivoire. Pire encore : cette injustice flagrante semble insidieusement dériver vers complicité des religieux. Dans une République laïque, cette intrusion est non seulement déplacée — elle est même dangereuse voire très dangereuse.

La Côte d’Ivoire est un pays où l’on prie beaucoup et où l’on triche encore plus. Où les églises et les moquées poussent comme des champignons après l’orage, pendant que la démocratie moisit dans les coins sombres d’une commission électorale. C’est une terre bénie, dit-on, mais maudite pour certains citoyens depuis « la proclamation de la victoire par les armes » au détriment de la victoire par les urnes et chaque fois que les élections approchent.
Et dans ce carnaval cynique, voici que les religieux sont happés par le pouvoir en place — pasteurs inspirés, prêtres onctueux, imams patelins — pour jouer les pompiers de l’injustice.
À ceux qu’on exclut arbitrairement de la liste électorale, il leur est demandé d’offrir des prières. À ceux qu’on prive du droit de vote, il leur est demandé de leur servir des versets. Mais jamais une parole ferme, jamais une condamnation claire de ce scandale d’État : la confiscation méthodique de la souveraineté populaire.
L’intrusion religieuse n’est pas neutre. Elle est complice.

Et leur intervention, quel qu’en soit la forme, n’est qu’un baume hypocrite sur une plaie politique purulente.

La République de Côte d’Ivoire est laïque. Cela ne signifie pas qu’elle rejette la foi. Cela signifie simplement qu’elle refuse que cette foi devienne un instrument de diversion, un calmant social contre les colères légitimes.
Or, c’est exactement ce que sont devenus certains dignitaires religieux : des agents tranquillisants du pouvoir. Heureusement que tous n’en sont pas là encore. Pasteurs, imams et prêtres, tous dans une étrange union sacrée pour étouffer les cris de ceux qu’on exclut du jeu électoral.

Ils sont invités de prêcher la paix, sans exiger la justice.
Ko, « vous avez toujours oeuvré à rapprocher les cœurs. Aujourd’hui encore votre intercession est essentielle »
Ils sont invités à invoquer le pardon, tout en fermant les yeux sur l’arbitraire. Ils sont invités à citer le Coran, la Bible et les Évangiles, mais jamais la Constitution.
Pour ceux qui répondraient favorablement à ces invitations diaboliques, ils auraient troqué la voix prophétique contre la prudence diplomatique. Ils avanceraient visiblement masqués, enveloppés dans l’aura du sacré, mais leur silence — ou pire, leurs appels au calme — serviraient objectivement les intérêts de ceux qui truquent la démocratie, défigurent le pays et font saigner des ivoiriens.
Qu’on cesse les faux-semblants. Que les prêtres retournent à leurs autels, que les imams regagnent leurs minbars, que les pasteurs retrouvent leurs chaires — à moins d’avoir le courage d’appeler un viol électoral par son nom.
On ne soigne pas une démocratie asphyxiée avec de l’eau bénite, des sourates ou des invocations vaudous.
On ne couvre pas l’exclusion électorale sous le tapis du vivre-ensemble.

La démocratie ne se défend pas avec des sermons.
Elle se protège par la loi, l’égalité, la vigilance citoyenne.
Ceux qui trichent avec la liste électorale violent la République.
Ceux qui se taisent — ou, plus grave encore, qui appellent à l’apaisement sans dénoncer l’exclusion — trahissent la foi qu’ils prétendent représenter.
Le droit de vote n’est pas un privilège à distribuer comme une aumône divine. C’est un droit constitutionnel.
Et la République n’est pas un lieu de prière — c’est un espace de droits.
Que chacun reste à sa place. Car ici, il ne s’agit pas de sauver des âmes, mais de garantir la justice pour un peuple qu’on tente, encore une fois, de voler.

Dr Kock Obhusu

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