Inclusion financière / Wave : la révolution va-t-elle virer au cauchemar pour les petits commerçants ? (enquête express)

Wave, une application américaine de transfert d’argent, a débarqué en Afrique en promettant des services financiers accessibles à tous. En Côte d’Ivoire, elle a séduit beaucoup de monde avec ses frais très bas (seulement 1 %) entraînant les autres opérateurs du secteur à suivre la cadence en ajustant leurs tarifs. Ce succès de la fintech Wave a un prix : des milliers de petits vendeurs de quartier, qui exploitaient de petites boites de transferts d’argent et des recharges avec des revenus conséquents, se retrouvent aujourd’hui menacés. Derrière la révolution wave, ce sont des milliers d’emplois locaux qui risquent de disparaître. La grève de ces petits opérateurs en 2022 et les années précédentes pour demander l’augmentation de leur marge bénéficiaire n’y a rien changé. La galère a continué au point où pour exister, certains ont dû, à leur corps défendant, imposer un forfait de 100 Fcfa aux clients.

Depuis qu’il a conquis le marché ivoirien en 2019, Wave a attiré les clients avec ses faibles frais. Mais cette économie a un revers : les petits vendeurs de quartier gagnent maintenant beaucoup moins. Avant, pour une transaction de 100 000 FCFA, ils touchaient 2 400 FCFA. Aujourd’hui, ils ne reçoivent plus que 1 350 FCFA – presque moitié moins ! A partir de là, pour gagner 100 mille Fcfa dans le mois, il faut avoir effectué à peu près 7,5 millions de Fcfa de transactions. Enorme quand on sait que ces kiosques ne sont pas logés à la même enseigne

Ces kiosques, indispensables, voient leurs revenus fondre face à la concurrence. Avec des bénéfices qui s’amenuisent, ceux qui n’ont pas d’activité compensatrice des pertes ont simplement fermé. D’autres ont décidé d’arrêter de travailler pour la startup.

« On pensait que la technologie allait nous aider. Mais aujourd’hui, elle est en train de nous remplacer », témoigne D. Adama, gérant d’un point de vente à Yopougon. Le 21 juin 2022, une grève nationale a été observée par les agents, dénonçant l’« ubérisation » de leur métier. Depuis, les négociations entamées avec le ministère de l’Emploi n’ont abouti à aucune mesure concrète.

Une stratégie bien rodée, un scénario déjà vu ailleurs

La méthode n’est pas inédite. Elle a été observée sur d’autres marchés numériques : séduire d’abord par des tarifs avantageux, puis renforcer progressivement sa position jusqu’à imposer des conditions moins favorables aux partenaires.

Cette stratégie n’est pas nouvelle. Elle d’usage chez le fournisseur de service Vtc, le russe Yango : arrivé en Côte d’Ivoire avec des tarifs intéressants qui ont ameuté une clientèle cible, le service prend aujourd’hui jusqu’à 26% sur les courses, laissant peu aux chauffeurs. Même scénario avec Glovo en Espagne : après avoir séduit les livreurs, la plateforme a baissé leurs revenus, déclenchant plus de 40 grèves ! Le gouvernement espagnol a dû intervenir en protégeant les travailleurs par une nouvelle loi.


Outre-Manche, la Cour suprême britannique a tranché en 2021 en faveur des chauffeurs Uber, leur reconnaissant le statut de « workers » avec droit au salaire minimum, congés payés et couverture retraite. Partout, les gouvernements ont dû intervenir pour freiner la montée de modèles économiques jugés socialement destructeurs.

Une inclusion financière en péril


Le rapport publié en mars 2024 par la GSMA (Global System for Mobile Communications Association) alerte sur les limites du modèle Wave. Si la promesse d’inclusion est réelle à court terme, l’absence de relais physiques solides pourrait nuire à long terme à la diffusion des services financiers, notamment dans les zones rurales. La viabilité du système repose sur un réseau de proximité, incarné par des agents motivés, formés et suffisamment rémunérés. Sans eux, le risque est grand de voir l’usage des services numériques régresser.

Ce que risque la Côte d’Ivoire

À défaut d’un encadrement réglementaire, la généralisation du modèle Wave pourrait avoir des conséquences lourdes :
– Entre 30 000 et 40 000 points de revente menacés de fermeture selon des estimations syndicales ;
– Destruction d’emplois dans le secteur informel, touchant en priorité les jeunes et les femmes ;
– Concentration du marché au profit d’un acteur unique, peu soumis aux régulations locales ;

– Zap Kill : Dépendance numérique croissante vis-à-vis d’un prestataire étranger non domicilié fiscalement dans le pays.

L’État sommé d’agir

Alors que l’économie ivoirienne cherche à bâtir une souveraineté numérique inclusive, les signaux d’alerte se multiplient. Il est urgent que les autorités – ARTCI, ministère du Commerce et Parlement prennent la mesure de l’impact de ces plateformes sur la stabilité économique du pays. Plusieurs pistes de régulation s’offrent à elles :

– Imposer un plancher de commissions minimales pour protéger les agents ;
– Conditionner l’accès au marché à des obligations de redistribution locale ;
– Créer un registre national des travailleurs numériques précarisés pour anticiper les crises sociales.
L’innovation, si elle ne s’accompagne pas de justice sociale, n’est qu’un leurre technologique. L’expérience d’autres pays doit servir d’avertissement. Sans un cadre légal viable, ces nouveaux acteurs risquent de laisser un champ de ruines derrière eux.

AD, correspondance particulière

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