En Afrique, il y a des présidents qui, en plus d’affamer et d’appauvrir leurs peuples, les empêchent de s’exprimer, de manifester et de se réunir. Un individu, qui ose critiquer leur gouvernance, est immédiatement embastillé. Sa famille peut subir des représailles.
Quand on cherche à savoir pourquoi les “hommes de Dieu” (pasteurs, prêtres et évêques) ne dénoncent pas clairement toutes ces atteintes aux droits de l’homme, certains d’entre eux répondent qu’ils rencontrent les dirigeants et leur parlent. Ils disent préférer cette approche car moins le médiateur est bruyant, plus sa médiation a de chances de réussir, expliquent-ils. Discrétion rimerait ainsi avec efficacité, selon eux.
Or les dictateurs avec qui les hommes de Dieu ont coutume d’échanger discrètement ne cessent de faire souffrir les populations. Ils n’arrêtent pas de grossir pendant que le peuple qu’ils sont censés servir dépérit de jour en jour.
Je n’ai rien contre la diplomatie. Je ne suis point opposé au fait que pasteurs, prêtres et évêques, nuitamment ou secrètement, rencontrent les décideurs et discutent avec eux des problèmes de la nation mais est-ce la seule façon de faire ? Jésus, leur Maître et Seigneur, comment agissait-il ? À mon avis, la réponse à cette question se trouve dans la réplique de Jésus après que Caïphe, le grand-prêtre, l’eut interrogé sur ses disciples et sa doctrine : «J’ai parlé ouvertement à tout le monde ; j’ai toujours enseigné dans les synagogues et dans le temple, où les Juifs se réunissent constamment, et je n’ai rien dit en secret.» (Jean 18, 19-20).
Parler ouvertement, c’est prendre à témoin tout le monde (opinion nationale et internationale), c’est empêcher celui à qui on a parlé de déformer le message qui lui a été adressé. Le problème que j’ai avec la diplomatie ou l’action souterraine, c’est qu’aucun témoin (oculaire et auriculaire) n’étant présent à la rencontre entre les deux parties, il est difficile de savoir si le partisan de la diplomatie a vraiment dit aux autorités ce qu’elles devaient entendre, s’il a été réellement « la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche » (Aimé Césaire dans « Cahier d’un retour au pays natal »).
Je suis, en revanche, d’accord avec le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque catholique de Kinshasa (RDC) lorsqu’il affirme que « le devoir de réserve ne s’applique pas à un prêtre ou à un évêque. Le devoir de réserve concerne les diplomates ». Le 18 février 2023, s’adressant au nouvel évêque de Yamoussoukro, il faisait remarquer qu’un évêque ne devrait pas avoir peur de parler et de prendre position, parce que c’est un prophète qui doit jouer un rôle de veilleur et d’éveilleur des consciences.
Quiconque est appelé à être veilleur et éveilleur des consciences ne peut être adepte de la langue de bois ni se contenter de prier et de percevoir quêtes, dîmes et offrandes pendant que ses fidèles sont exploités, malmenés, muselés, terrorisés quotidiennement par un régime qui, s’il avait un peu de jugeote, comprendrait que, rien n’étant éternel sur cette terre, il est stupide de martyriser ses concitoyens.
En outre, je pense que pratiquer la diplomatie n’exclut pas de parler ouvertement et clairement. Par exemple, un homme de Dieu devrait dire à un président qui veut briguer un mandat de trop: « Notre Constitution que vous êtes supposé protéger et respecter vous interdit de briguer un 3e mandat » plutôt que « la candidature du chef de l’État à un 3e mandat n’est pas nécessaire».
Lorsque Laurent Gbagbo dirigeait le pays, les Jacob Ediémou Blin, Salomon Lezoutié, Siméon Ahouanan et d’autres le critiquaient ouvertement et régulièrement. Aujourd’hui, ils sont devenus muets alors que le pays et ses habitants vont très mal. Les pourfendeurs d’hier rencontrent-ils Alassane Ouattara en secret pour lui parler de la souffrance des Ivoiriens ? Ou bien craignent-ils que se prononcer publiquement pourrait déclencher le courroux du régime contre eux?
Lors de son voyage à Kinshasa, le pape François avait parlé haut et fort aux pays occidentaux en leur demandant, par exemple, de cesser d’étouffer l’Afrique qui, selon lui, n’est pas une terre à dévaliser. Il avait tonné sans que le Ciel ne lui tombe dessus.
Depuis 2020, l’Afrique est en lutte pour sa vraie indépendance en Centrafrique, au Mali, au Burkina et au Niger.
Comment les hommes de Dieu contribuent-ils à cette lutte ? Comment s’approprient-ils des thèmes comme la monnaie africaine, la fermeture de toutes les bases militaires étrangères, la liberté et la souveraineté et comment en font-ils des sujets de réflexion et de méditation pour leurs auditeurs ? S’ils se taisent sur ces questions importantes, l’on pourrait penser que le Dieu au nom de qui ils parlent est pour l’esclavage, l’occupation, la dictature et l’oppression. L’on pourrait surtout les accuser d’appliquer le proverbe camerounais selon lequel « la bouche qui mange ne parle pas ».
Jean-Claude Djéréké
Commentaires Facebook