Par Marcel Appena
Le Ghana compte une forte communauté d’Ivoiriens. Si certains s’en tirent à bon compte, nombreux sont ceux qui sont tiraillés entre demeurer sur place ou revenir au pays.
Nous sommes à Kumasi, dans la deuxième grande ville du Ghana. Précisément au marché Kejetia, un des plus vastes du pays, avec ses milliers de boutiques et d’étals. Classé dans la catégorie de marchés hybrides, on y trouve un peu de tout : produits vivriers, viande, vêtements, cosmétique…
Quant aux commerçants qui occupent ce vaste espace commercial, il est difficile de les dénombrer. Que dire alors des clients qui vont et viennent tout le temps, dans tous les sens ? Ici grouille un monde fou ! Les voies d’accès à ce vaste marché sont difficiles, compte tenu des camions et autres véhicules ainsi que les tricycles et les nombreuses motos qui y défilent. Conséquence, il y subsiste de monstrueux bouchons à n’en plus finir !
Dans cet environnement semblable à l’atmosphère qui règne dans les grands marchés d’Abidjan, notre équipe se lance dans un saut dans l’inconnu, à la recherche d’Ivoiriens et Ivoiriennes installés ou de passage à Kumasi. N’ayant ni guide ni accompagnateur, la tâche s’annonce difficile, mais pas impossible ! Car, au moins, une alternative s’offre à nous : s’informer et se renseigner, autant que faire se peut !
Toute l’équipe se met alors en branle. Journaliste, photographe et conducteur jouent à fond la carte ! En anglais, en ashanti ou encore en malinké. Tout y passe ! Fort heureusement, de fil en aiguille, au prix de mille et un efforts, on arrive à dénicher un magasin d’import-export, lieu où se rencontrent régulièrement Ivoiriens, Burkinabè, Maliens, Nigériens…
Parmi eux, se trouve le jeune Siriki Kabré, un mécanicien qui est arrivé au Ghana, il y a une quinzaine d’années. Agé aujourd’hui de 32 ans, il est venu se spécialiser dans la réparation des moteurs des gros camions. Il fait l’éloge de ses patrons qui lui ont appris les ficelles de ce métier dont il parle avec passion. Mais, au fil des échanges, on se rendra compte qu’il n’a pas véritablement son cœur à Kumasi.
« Je suis en train de construire, petit à petit, ma vie ici. Mais je ne sais pas si je dois rester ou repartir en Côte d’Ivoire », dit-il, embarrassé. « Pour le moment, ce pays me sied bien, on verra plus tard si je dois repartir au pays », fait-il remarquer. En fait, il vit dans la capitale du royaume Ashanti avec son épouse et son enfant qu’il a fait venir de la Côte d’Ivoire. Mais, à vrai dire, son cœur balance fort entre sa nouvelle vie et celle d’antan, quand il était dans sa ville natale : Agnibilékrou.
En réalité, l’attitude de ce jeune Ivoirien traduit le sentiment qu’éprouvent une bonne partie de compatriotes qui, pour une raison ou une autre, ont pris la décision de s’installer au Ghana. « Pour se chercher dans un premier temps et revenir plus tard au pays, s’il le faut », assurent nombre d’entre eux rencontrés à Kumasi et à Accra. Ils sont, pour la plupart, dans la mécanique, la restauration, l’exploitation de cabine téléphonique, de recharge internet et mobile money.
En revanche, certains membres de la diaspora ivoirienne ont choisi délibérément de faire la navette entre les deux pays. C’est le cas du patriarche Soumaïla Garba considéré comme le « chef de famille » d’une bonne frange de la communauté ouest-africaine à Kumasi. Lui est bien nanti en Côte d’Ivoire. Car propriétaire d’immenses plantations de cacao à Bangolo où vit sa famille. Il est aussi propriétaire de plusieurs concessions dans l’Ouest montagneux.
Mais, dans le souci de diversifier ses activités, il a choisi de se lancer dans le commerce transfrontalier entre la Côte d’Ivoire et le Ghana. Soumaïla Garba est aujourd’hui commerçant, importateur et exportateur. Propriétaire de plusieurs camions de transport de marchandises qui assurent la liaison entre plusieurs villes de la Côte d’Ivoire (Abidjan, Duékoué, Man, Korhogo, San Pedro, Soubré…) et des localités ghanéennes, à l’instar de Kumasi et Accra.
Du Ghana vers la Côte d’Ivoire, ses véhicules transportent des moteurs de voitures et des pièces de rechange automobiles, des produits phytosanitaires, etc. Dans le sens inverse, ces camions partent au Ghana avec des produits alimentaires tels que le riz, l’attiéké « ainsi que toutes sortes de marchandises commandées par les commerçants ghanéens », explique le transporteur-commerçant.
Il assure, par ailleurs, que nombreux sont les Ivoiriens qui sont impliqués dans cette activité. On peut citer des chauffeurs et des mécaniciens ainsi que bien d’autres personnes qui gravitent autour de cette activité commerciale. « Même si certains possèdent des biens ici, beaucoup ont gardé un pied en Côte d’Ivoire. Ainsi, au cours des grandes fêtes, presque tout le monde repart au pays, en famille. Puis, ils reviennent par la suite », précise-t-il.
A côté de cette catégorie d’Ivoiriens au Ghana, il n’est pas rare de rencontrer d’autres qui, eux, ont choisi de se sédentariser chez le voisin ghanéen. Nous sommes, ce 6 décembre, à Accra, la capitale du Ghana. Au quartier Osu, les maquis-bars ne manquent pas. « Kytanan chez Christine » fait partie des espaces de loisirs et de gastronomie. Il appartient à une jeune Ivoirienne (Christine) établie présentement à Londres.
Ici, la musique est à 90% ivoirienne. Aujourd’hui, ce sont les titres phares de « Tableau Blanc », dernier album du groupe Espoir 2000, qui sont à l’honneur. La cuisine aussi est presque à 100% ivoirienne. Le personnel est également composé, en majorité, d’Ivoiriens et Ivoiriennes. Parmi eux, se trouve le jeune Rolex, manager en second et homme à tout faire de l’endroit.
Cela fait près de quinze ans qu’il réside dans la plus grande ville du Ghana. En quinze années de présence, il dit avoir construit « pas à pas et pierre après pierre sa vie ». Marié à une jeune ghanéenne, l’Ivoirien partage avec son épouse « une joie immense » aux côtés de ses enfants. Même s’il fait, de temps en temps, « quelques crochets » en Côte d’Ivoire, il assure qu’il n’est pas prêt à quitter de sitôt du Ghana !
Parfaite maîtrise du twi
L’anglais et le twi, il les maîtrise parfaitement, presque à 100% ! Quant aux coins et recoins d’Accra, « je les ai dans ma paume », affirme-t-il, soutenant qu’il est « totalement intégré ».
Au sein de ce restaurant ivoirien, il y a aussi son aîné, le manager général du coin. A Accra depuis des lustres, lui aussi dit qu’il est parfaitement à l’aise au Ghana. Bien intégré d’ailleurs ! « Je vis avec ma femme et mes enfants. Je suis devenu citoyen ghanéen depuis fort longtemps. Dans quelques mois, nous allons emménager dans notre propre maison », lance-t-il avec fierté. S’il n’a, jusque-là, pas coupé le fil avec la Côte d’Ivoire, il assure qu’il y est allé il y a « très longtemps ».
Dans ce même registre, il faut aussi mentionner les cinq cents Ivoiriens qui, au terme de la proclamation de la fin du statut de réfugié ivoirien par les Nations unies en 2022, ont pris la décision de s’établir définitivement au Ghana. On les retrouve dans différents secteurs d’activité. Même si aujourd’hui, ils se trouvent confrontés au problème de la remise officielle de leurs passeports ivoiriens (par les autorités ghanéennes), ils ne sont pas prêts à regagner la Côte d’Ivoire.
Globalement donc, au nombre de 2 000 pour ceux qui sont enregistrés à l’ambassade et près de 2 000 aussi pour ceux qui ne le sont pas, les Ivoiriens au pays de l’ancienne Gold Coast « sont dans les petits métiers, dans les affaires, mais également de très hauts cadres (Dg de société, directeurs financiers…). Je suis très fier de les voir émerger dans ce pays. Surtout qu’on les retrouve à la tête de grosses multinationales », affiche fièrement l’ambassadeur ivoirien, SEM. Assiélou Félix Tanon.
Le diplomate ivoirien ne manque pas également de se réjouir de l’organisation mise en place par la diaspora ivoirienne, au sein de laquelle sont regroupés l’ensemble de ses concitoyens. « Eparses au départ, les associations regroupant les Ivoiriens ont consenti à mutualiser leurs forces dans une seule et unique faîtière, sur proposition de la chancellerie », informe le représentant diplomatique ivoirien, au cours d’un entretien qu’il nous a accordé à la chancellerie.
Il nous a expliqué que, compte tenu de leur nombre très important, les restaurateurs ont mis en place une association, membre à part entière de la faîtière. Le chef de la diplomatie ivoirienne au Ghana a aussi annoncé la création d’une autre association regroupant les stylistes ivoiriens.
Eux aussi, a-t-il tenu à préciser, seront membres de la faîtière. Il a, en outre, mis en lumière les préoccupations auxquelles ils se trouvent confrontés (voir interview). Toujours est-il que les membres de la diaspora ivoirienne bougent fort au Ghana.
ENVOYE SPECIAL AU GHANA
Fratmat
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