Le Président du Parti des Peuples Africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), Laurent Gbagbo, a reçu, à son cabinet sis à Cocody Attoban, le mardi 4 mars 2025 une délégation de la Fédération des Collectifs des Docteurs non Recrutés de Côte d’Ivoire (FECODARCI). Lors de cette rencontre, il a exprimé sa stupéfaction face au chômage massif des docteurs dans le pays, qualifiant cette situation de « scandale ».
Un constat accablant
Dès le début de son intervention, l’ancien chef de l’État a adopté un ton direct et sans équivoque. « Merci d’être là pour qu’on discute un peu, parce que, hélas, pour le moment, je ne peux que discuter avec vous », a-t-il lancé. Ces propos traduisent son impuissance actuelle à agir directement mais témoignent de son engagement à sensibiliser l’opinion publique sur cette crise. Laurent Gbagbo s’est dit surpris par l’existence même du chômage des docteurs en Côte d’Ivoire, en particulier dans le domaine médical. « Je n’ai jamais vu un pays où un docteur en médecine passe un concours pour aller soigner quelqu’un. Mais il est déjà docteur en médecine ! » s’est-il indigné. Il a rappelé que lorsqu’il était au pouvoir, il avait aboli l’obligation de concours pour les médecins afin de leur permettre d’exercer immédiatement après leurs études. « À Ouragahio, il y avait un centre de santé sans médecin, alors que des médecins étaient au chômage à cause d’un concours inutile. J’ai supprimé cette barrière et ils ont tous été recrutés. »
L’ancien président a élargi son analyse à l’ensemble des disciplines académiques, s’interrogeant sur l’avenir du pays si cette situation persistait. Il a comparé la Côte d’Ivoire à des nations comme la France, les États-Unis ou l’Allemagne, où les docteurs trouvent naturellement un emploi après leur formation. « Pourquoi, là-bas, ils ont un travail et ici, ils sont abandonnés ? C’est que nous gérons mal nos docteurs. Nous gérons mal un certain niveau de connaissances », a-t-il affirmé, dénonçant une gestion défaillante du savoir dans le pays.
Une crise structurelle profonde
Joël Konan Kouamé, porte-parole de la FECODARCI, a dressé un tableau détaillé des causes de cette crise. Selon lui, plusieurs facteurs ont contribué à l’accumulation de 3 000 docteurs sans emploi en Côte d’Ivoire. D’abord, une production massive de docteurs sans plan d’intégration. Le nombre de diplômés a considérablement augmenté ces dernières années, mais aucune politique d’embauche n’a été mise en place pour les absorber. Ensuite, la fermeture des universités après la crise postélectorale de 2011 a retardé la soutenance de nombreuses thèses, créant un engorgement dès la réouverture des établissements. Par ailleurs, la mise en place du système Licence-Master-Doctorat (LMD) a facilité l’accès au doctorat sans que l’État ne prenne en compte les conséquences sur le marché de l’emploi. Un autre facteur aggravant a été la suspension des concours de recrutement des assistants universitaires entre 2016 et 2019. Durant cette période, aucun docteur n’a été intégré, ce qui a contribué à la saturation actuelle. Enfin, le mode de recrutement a été profondément modifié. Avant 2013-2014, les docteurs soumettaient directement leurs dossiers aux départements et laboratoires universitaires pour être recrutés. Désormais, un concours national est organisé par la Direction des Ressources Humaines du ministère de l’Enseignement supérieur, une procédure jugée plus rigide et moins efficace.
Des conséquences dramatiques
Cette crise du doctorat a des répercussions bien au-delà des concernés. Joël Konan Kouamé a évoqué la détresse sociale et psychologique des docteurs, souvent plongés dans la précarité et l’incompréhension de leur entourage. « Certains sont moqués, d’autres abandonnés par leurs familles. Certains ont même envisagé l’émigration ou le suicide », a-t-il témoigné. Face à cette injustice, les docteurs ont multiplié les manifestations pacifiques et les grèves de la faim. Mais au lieu de solutions, ils ont souvent rencontré la répression. « En décembre 2022, 46 docteurs ont été arrêtés, dont une femme enceinte. Plus récemment, le 13 février 2025, le secrétaire général de la FECODARCI et son adjoint ont été enlevés par la police alors qu’ils levaient un mot d’ordre de grève de la faim », a déploré le porte-parole du collectif.
Il a aussi souligné que cette situation envoie un message négatif à la jeunesse. Si même les docteurs peinent à trouver un emploi, quel avenir pour les autres diplômés ? Ce désespoir pousse de nombreux jeunes chercheurs à quitter le pays, provoquant une fuite des cerveaux qui prive la Côte d’Ivoire de ses talents.
Les propositions de la FECODARCI
Pour sortir de cette impasse, la FECODARCI a soumis un mémorandum à Laurent Gbagbo contenant plusieurs recommandations. La principale revendication est l’adoption d’un décret pour le recrutement immédiat des docteurs en attente. Le collectif plaide aussi pour une réforme du mode de recrutement universitaire, avec un retour à une gestion plus transparente et décentralisée. Il propose également d’ouvrir davantage de postes budgétaires chaque année pour absorber progressivement les docteurs sans emploi. Une autre piste avancée est la diversification des opportunités d’insertion. « Les docteurs ne doivent pas être cantonnés à l’enseignement supérieur. Ils doivent être intégrés dans l’administration publique, les centres de recherche et le secteur privé », a précisé Joël Konan Kouamé. Enfin, il a insisté sur l’amélioration des conditions du concours de recrutement, en veillant à ce que toutes les disciplines universitaires soient équitablement représentées et que le nombre de places ouvertes corresponde aux besoins réels du pays.
Un enjeu national
Laurent Gbagbo a assuré qu’il porterait ce combat sur la place publique et explorerait les moyens d’action avec ses proches collaborateurs, notamment Assoa Adou et Toutou Toussaint. Il a conclu son intervention en adressant un message de soutien aux docteurs : « Je vous dis yako », un mot de compassion en langue ivoirienne. À travers cette rencontre, l’ancien président a non seulement dénoncé une situation alarmante, mais il a aussi appelé à une réforme profonde du système de recrutement en Côte d’Ivoire. Selon lui, si des mesures urgentes ne sont pas prises, le pays risque d’affronter une crise encore plus grave dans les années à venir, avec une jeunesse intellectuelle sacrifiée et un système éducatif en perte de crédibilité. L’avenir des docteurs ivoiriens dépend désormais de la volonté politique des dirigeants. La question demeure : le gouvernement prendra-t-il enfin des mesures concrètes pour résoudre cette crise ou continuera-t-il d’ignorer les appels à l’aide de cette élite académique en détresse ? Qui vivra, verra !
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