Fuite du cacao vers les pays voisins: Au moins 50 000 tonnes frauduleusement vendues au Liberia et en Guinée

Dans le cadre de l’opération « Verrou 322 » lancée par l’État ivoirien pour contrer le trafic illégal de cacao, des avancées notables ont été réalisées. Le 14 janvier 2025, plusieurs responsables administratifs et militaires de Sipilou ont été suspendus, une décision saluée par les producteurs locaux et la population. Cependant, malgré ces actions, le problème persiste et continue de gangrener les départements frontaliers, comme l’indiquent les résultats des récentes investigations menées dans les régions de l’ouest du pays. Il n’y a pas de chiffres précis, mais les exportateurs parlent de près de 50 000 tonnes de produits agricoles illégalement vendus vers les pays voisins, au dernier trimestre 2024.

Un réseau de trafiquants bien rodé

De Biankouma à Touba, en passant par Koro, Booko, et Konigro, un réseau de trafiquants bien organisé exploite les failles du système. Des figures clés, comme un certain Sako, sont identifiées comme des acteurs principaux. Selon un opérateur de cacao anonyme, Sako et ses complices orchestrent le transport du cacao depuis la Côte d’Ivoire jusqu’en Guinée, en toute impunité. « Les camions en provenance de Guinée arrivent, chargent le cacao, traversent les corridors sans entrave, et retournent en Guinée », dénonce-t-il. Contacté, Sako a nié catégoriquement toute implication et a invité les enquêteurs à chercher « les vrais coupables ».

À Sipilou, un autre acteur clé, surnommé « Djakis », a pris la fuite vers la Guinée après des arrestations récentes impliquant des personnalités administratives et militaires. Il se défend en affirmant être un simple opérateur économique victime d’accusations injustifiées. D’autres noms émergent dans ce réseau, notamment à Danané et Zouan-Houin, où des individus comme B. Cissé et « Malo » tirent profit de cette activité lucrative. Mais, encore une fois, les dénégations sont de mise, et les réponses restent floues.

Un système soutenu par des complicités de haut niveau

Les investigations révèlent que le problème va bien au-delà des simples intermédiaires. Des exportateurs officiellement agréés par le Conseil du Café-Cacao, opérant depuis des bases en Guinée et au Libéria, joueraient un rôle crucial dans ce trafic. Un opérateur basé à San Pedro, surnommé l’un des « gourous » du système, entretiendrait des liens directs avec ces réseaux. Malgré les saisies répétées, avec 33 camions immobilisés depuis septembre 2024, aucune mesure décisive n’a encore été prise, suscitant des interrogations sur l’efficacité réelle des actions en cours.

Une responsabilité collective

L’État ivoirien fait face à un défi majeur pour stopper cette hémorragie économique. Les départements frontaliers de l’ouest, au nombre de huit, sont des zones stratégiques nécessitant une vigilance maximale. Si l’exemple de Sipilou peut être un premier pas vers la dissuasion, des réformes profondes et une surveillance renforcée sont nécessaires pour démanteler durablement ces réseaux. Chaque maillon de la chaîne, y compris les agents de contrôle sur les corridors, doit prendre ses responsabilités pour éradiquer ce trafic qui menace l’économie ivoirienne.

Pourquoi l’État doit agir au-delà de Sipilou

Les acteurs de la filière cacao estiment que le trafic dans des départements comme Danané et Zouan-Hounien est trois fois plus important que celui observé à Sipilou. Ces zones, en raison de leur proximité avec le Libéria et la Guinée, sont des points de passage essentiels pour les réseaux de contrebande. Un informateur a affirmé que « Sipilou n’est que la face cachée de l’iceberg », appelant à des enquêtes approfondies sur les corridors et les opérateurs économiques impliqués dans ce trafic.

Il est impératif que l’État ivoirien étende ses sanctions aux autres départements frontaliers afin de démanteler efficacement ces réseaux criminels. Une approche globale, qui inclut les zones non encore touchées, est nécessaire pour protéger l’économie du pays et assurer la pérennité de la filière cacao. En renforçant les mesures de contrôle et en punissant sévèrement tous les acteurs impliqués, l’État enverra un message clair sur son engagement à lutter contre ce fléau.

Bien que l’opération « Verrou 322 » soit un pas dans la bonne direction, il est crucial que des mesures supplémentaires soient prises pour étendre ces sanctions aux autres départements frontaliers. Cela protégera non seulement les producteurs locaux, mais garantira également l’intégrité de l’économie ivoirienne face à la menace croissante du trafic de cacao.

A.K. pour EnqueteMedia

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