Les « diaspora bonds » du Sénégal peuvent-ils être un succès ? Cinq questions pour comprendre
Dans son projet de loi de finances 2025, le gouvernement sénégalais prévoit l’émission d’obligations à destination de ses ressortissants à l’étranger. Objectif : diversifier les sources de financement du pays.
En 2023, les fonds transférés de la diaspora vers le Sénégal s’élevaient à 1 600 milliards de F CFA, soit plus de 2,4 milliards d’euros, ce qui représente 9,4 % du PIB du pays. C’est plus que l’aide délivrée par les institutions internationales et les bailleurs de fonds bilatéraux.
Selon l’hypothèse d’Amath Ndiaye, professeur d’économie à l’Université Cheikh-Anta-Diop à Dakar (Ucad) et consultant international, « il suffit que chacun des 700 000 Sénégalais issus de la diaspora souscrive en moyenne aux diaspora
bonds à hauteur de 310 000 F CFA (soit 472 euros) » pour que le déficit budgétaire, qui s’élevait à 840 milliards de F CFA en 2024, soit financé par ses ressortissants à l’étranger. Une ressource non négligeable que le Sénégal souhaite
mobiliser via ces emprunts obligataires, dans le cadre de son projet de loi de finances 2025.
Adopté en décembre dernier, ce dispositif devrait entrer en vigueur à partir de cet été pour la période 2025-2027, conformément à la stratégie nationale de développement (Sn2D) 2025-2029.
Les diaspora bonds seront émis à des taux d’intérêt compétitifs avec des avantages fiscaux, dans l’optique de financer des projets structurants, dans des secteurs clés comme les infrastructures, la santé et l’éducation.
Les ressortissants sénégalais disposent-ils du capital confiance et du pouvoir d’achat suffisant pour participer à cette mobilisation ? Un précédent projet de diaspora bonds avait déjà été lancé en 2019, mais l’objectif d’obtenir un financement à hauteur de 60 % par les résidents hors Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) n’avait pas été atteint.
1 – Pourquoi le Sénégal a-t-il recours à cet outil ?
Le Sénégal a la volonté de diversifier ses sources de financement, tout en renforçant ses liens avec ses ressortissants à l’étranger. « Les diaspora bonds offrent un rendement compétitif, mais potentiellement inférieur à celui exigé par les investisseurs institutionnels internationaux, ce qui allège la charge de la dette publique », explique Babacar Sané Ba, directeur des partenariats et de la promotion économique et culturelle, au sein du ministère de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères.
Ces obligations réduisent également la vulnérabilité financière liée aux fluctuations des devises, car ils peuvent être libellés en monnaie locale, ou dans des devises fortes détenues par la diaspora. Selon Amath Ndiaye, professeur en économie, « le CFA est une monnaie stable arrimée à l’euro. C’est un atout pour nos migrants ». Ce dernier dresse un parallèle avec le Nigeria, qui a déjà eu recours en 2017 aux diaspora bonds « avec succès », mais qui n’a pas voulu renouveler l’expérience en raison d’une monnaie en perte de vitesse.
2 – Comment cela fonctionne-t-il ?
Le gouvernement n’a pas encore statué sur tous les termes techniques. Mais en pratique, ces obligations pourraient être émises en collaboration avec la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), en conformité avec l’Uemoa. Libellées en monnaie locale, elles seraient accessibles via les banques du pays, des plateformes numériques sécurisées, ou encore des institutions financières partenaires. Pour toucher la diaspora en Europe et notamment en France, un agrément auprès des différents régulateurs financiers des pays concernés sera nécessaire.
Dans une approche inclusive, « des seuils d’investissement minimums et accessibles seront fixés [par exemple, à partir de 50 000 F CFA, 100 euros ou 100 dollars], détaille le diplomate Babacar Sané Ba. Des incitations fiscales pourraient être offertes pour encourager l’investissement, comme une exonération sur les rendements pour les résidents étrangers ».
Afin de garantir la transparence du dispositif, « un audit indépendant et des rapports publics annuels pourront assurer une gestion rigoureuse des fonds.
Les investisseurs suivront en ligne leur utilisation et l’avancement des projets », poursuit-il, comme « l’extension de l’aéroport international Blaise- Diagne, le futur port en eaux profondes de Ndayane, ou encore la construction de hub
logistique de Kaolack, prévu par le projet Sénégal 2050 ». Ces derniers pourraient être financés par les diaspora bonds.
3 – La diaspora est-elle prête à souscrire à ces obligations ?
Selon les autorités à Dakar, ce nouvel outil pourrait renforcer l’attachement patriotique des Sénégalais vivant à l’étranger, tout en leur conférant une source de revenus. Amath Ndiaye en est convaincu : « tout le monde sera intéressé, car les gens ont confiance en nos services bancaires ». « Tous les six mois, par exemple, vous prenez vos intérêts, et au bout de cinq ans, on vous rembourse votre capital. Il n’y a donc pas de risque. Ces remboursements tous les semestres remplacent ce que les migrants envoient à leur famille mensuellement. »
Pour autant, les ressortissants sénégalais à l’étranger n’épargnent pas assez pour éventuellement souscrire à une obligation, estime Samir Bouzidi, directeur général d’Impact Diaspora, un cabinet spécialisé dans le conseil en stratégie auprès des gouvernements et entreprises qui veulent mobiliser les diasporas. « Leur épargne est inférieure à 5 %. C’est de la liquidité [dépôts à vue sur compte courant, wallets, etc.], ce n’est pas de l’épargne longue, et les diaspora bonds fonctionnent avec de l’épargne longue », affirme-t-il.
Ce dernier compare la situation du Sénégal avec le Nigeria : « Ses ressortissants à l’étranger épargnent beaucoup dans leur pays d’accueil. De nombreux cadres et chefs d’entreprises nigérians vivent aux États-Unis ou au Royaume-Uni et ont de gros revenus. Depuis les États-Unis, ils transfèrent en moyenne 10 000 dollars par an, alors que les Sénégalais envoient autour de 1 300 dollars par an. »
Enfin, au lendemain des deux échéances électorales, la diaspora serait trop fracturée politiquement pour espérer un élan général sur les obligations sénégalaises, en soutien au gouvernement. « Pastef [Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité] l’a largement emporté, mais ramené à la taille de la population, la majorité n’a pas voté », analyse Samir Bouzidi. Selon les statistiques du comité électoral du ministère en charge, le taux de participation des ressortissants sénégalais, lors des élections législatives de novembre 2024, s’élevait à
32,83 %.
4 – Quels ont été les résultats lors des diaspora bonds de 2019 ?
Ce n’est pas la première fois que le Sénégal a recours à de tels produits financiers. En juillet 2019, la Banque de l’habitat au Sénégal (BHS) a émis des obligations destinées à la diaspora d’une valeur unitaire de 10 000 F CFA. Celles-ci ont été admises à la côte de la BRVM. Objectif de l’opération : financer le programme de l’habitat social sur deux zones en particulier : la ville nouvelle de Diamniadio et les abords du Lac rose. Athia Niang, âgée de 50 ans, y a participé.
Résidente au Sénégal depuis maintenant six mois, elle travaillait à l’époque à l’ambassade sénégalaise au Ghana. « Je cherchais à préparer ma retraite au pays en me faisant construire une maison. J’ai donc ouvert un compte à la BHS, et dès que j’avais des économies, je mettais de l’argent de côté dans l’optique de demander un prêt à la banque », raconte-t-elle. Jusqu’au jour où son conseiller lui propose d’investir dans les diaspora bonds.
D’abord sceptique, elle finit par se lancer, avec sa sœur qui vit alors en France. C’est la société financière sénégalaise ABCO qui a géré son dossier, et tous les six mois, elle recevait sur son…
La suite de l’article dans Jeune-Afrique
https://www.jeuneafrique.com/1659375/economie-entreprises/les-diaspora-bonds-du-senegal-peuvent-ils-etre-un-succes-cinq-questions-pour-comprendre/
https://www.jeuneafrique.com/
Commentaires Facebook