Photo: Le président Ouattara en compagnie du PDG de Montage Gold le 2 mai 2024
Depuis quelques années, les découvertes de gisements d’or se succèdent en CI. Entre 2021 et 2024, pas moins de sept découvertes majeures ont été annoncées, dont deux gisements de « classe mondiale » en 2024, pour employer la formule utilisée par les autorités ivoiriennes, des gisements qui vont entrer en production en 2027 et faire bondir la production aurifère du pays. Grâce aux techniques modernes de prospection notamment l’imagerie satellitaire, on sait aujourd’hui où chercher.
Le boom de l’or est aujourd’hui indéniable en Afrique de l’Ouest. Selon les données de la BCEAO, l’or est depuis 2023 le premier poste d’entrée de devises au sein de la zone UEMOA, devant le cacao et le pétrole. Les défis sécuritaires persistant au Sahel, amènent les compagnies occidentales à concentrer de plus en plus leurs efforts de prospection sur la CI, et c’est un peu l’euphorie en ce moment dans le pays devant toutes ces perspectives prometteuses qui s’annoncent. Pourtant il faut rester prudent car un phénomène a pris de l’ampleur dans le sillage de ce boom, l’orpaillage clandestin, une activité qui par nature échappe au contrôle des autorités, et qui est porteuse de certains périls.
Sur l’environnement
Si les compagnies minières occidentales ont pour obligation de procéder au nivellement, au terrassement et au remblayage des mines après l’expiration des concessions d’exploitation ou de prospection, il en est tout autre avec les orpailleurs clandestins, qui sont par nature insaisissables. Résultat, sur de vastes zones on peut observer des mines et galeries creusées puis abandonnées. Certaines finissent par se combler en partie suite à des éboulements. Mais pas toutes. Ainsi ces zones sont laissées comme telles.
Ces vastes étendues ne peuvent plus servir à rien, ni à l’agriculture, ni à l’établissement de zones habitées. Ce sont des zones perdues pour toujours. En cas de travaux de remblaiement et de terrassement pour les rendre de nouveau utilisables, il y aurait toujours un risque d’affaissement du sol du fait de la présence de galeries non comblées qui n’auraient pas été détectées. Dans certaines régions telle que l’Iffou, le manque de terres disponibles pour l’agriculture est une question qui se pose désormais, toutes les parcelles ayant été ou servant de sites d’orpaillage.
Un autre effet sur l’environnement concerne la pollution des cours d’eau et la contamination des sols par le mercure, et toutes ces substances chimiques utilisées par les orpailleurs clandestins pour traiter les minerais. Ce ne sont pas des substances biodégradables, elles vont donc exister pour longtemps dans leur état. Ce sont de véritables bombes à retardement pour les populations. Souvent on constate une mortalité inexpliquée des poissons dans les cours d’eau, ou même de personnes dans les villages. On ne parvient pas toujours à élucider ces choses. Il n’est pas exclu que la contamination des eaux ou des sols en soit responsable.
Sur la jeunesse
Aux côtés de ces dégâts environnementaux, nous avons ce qu’on peut appeler des « dégâts dans la tête des jeunes ». Beaucoup délaissent aujourd’hui l’agriculture et même l’école pour l’orpaillage. On sait que le déclin du café en CI est dû à l’essor des cultures d’hévéa et de palmier à huile, jugées plus rentables. Le même phénomène d’éviction est en train de se reproduire concernant le cacao. Cette culture est délaissée par les jeunes au profit de l’or pour la même raison. L’or est vu comme enrichissant plus vite.
Depuis un pic à 2,25 millions de tonnes en 2021, la production cacaoyère ivoirienne décroît lentement. Elle s’est établie à 2,15 millions de tonnes en 2022, à 1,8 millions de tonnes en 2023 avant de remonter à 02 millions de tonnes en 2024. La baisse est expliquée par le changement climatique, la maladie du « swollen shoot », mais aussi par le vieillissement des plantations. De nouvelles plantations ne se créent plus à un rythme suffisant parce que les jeunes ont désormais les yeux sur l’or. C’est une tendance de fond aujourd’hui.
Dans les années 70 et 80 il était admis que le Ghana comptait plus d’orpailleurs que d‘agriculteurs. L’orpaillage était beaucoup plus toléré qu’aujourd’hui. L’or abonde dans ce pays depuis toujours, avec pour conséquence un abandon progressif de l’agriculture en général et du cacao en particulier, ce qui a permis à la Côte d’Ivoire de devenir le premier producteur mondial. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la Côte d’Ivoire commence elle aussi à expérimenter le même phénomène. Les jeunes s’intéressent de moins en moins au cacao au profit de l’or, amenant la production à subir un déclin qui peut devenir inexorable si rien n’est entrepris.
La sécurité en péril
Enfin sur le plan sécuritaire, le boom de l’or pose de graves défis qui exigent une extrême vigilance. A l’instar du secteur du transport, des mafias ont aussi vu le jour dans le secteur de l’orpaillage. Les orpailleurs sont tenus de payer des « taxes » à des individus tapis dans l’ombre, qui ont des « agents » sur les différents sites d’orpaillage, armés de fusils artisanaux ou même « mieux ». Mentionnons également les explosifs artisanaux que les orpailleurs parviennent à fabriquer.
Le gouvernement ivoirien a créé un corps spécial pour combattre l’orpaillage clandestin. On a souvent le récit d’affrontements armés entre les éléments de ce corps et les orpailleurs. Au Ghana dans la nuit du 18 Janvier dernier, des orpailleurs clandestins armés et des éléments de l’armée se sont affrontés, avec un bilan oscillant entre 07 et 12 victimes selon les sources. La ville d’Obuasi où se sont produits ces évènements a subi incendies et pillages. l’émotion fut grande dans le pays.
L’or extrait de façon illégale, l’or de contrebande, alimente toujours les conflits et la violence. Au Soudan, dans l’Est de la RDC, au Sahel….etc….les groupes armés se financent grâce à l’or, soit directement en exploitant les mines de façon plus ou moins artisanale, soit en imposant des « taxes » aux orpailleurs. Au Mali et en Centrafrique le groupe paramilitaire russe « wagner » (aujourd’hui « Afrika Corps ») se rémunère en partie par des concessions minières octroyées par les autorités de ces pays. Plus récemment, à la frontière ivoiro-malienne dans le département de Tengrela, des dozos (chasseurs traditionnels) des deux pays se sont affrontés, en cause un site d’orpaillage revendiqué par les populations de part et d’autre de la frontière.
L’orpaillage clandestin crée des « no man’s land », des zones de non droit. Ce qu’il faut surtout éviter c’est un regroupement de ces milices informelles, selon le scénario haïtien. Dans ce pays, après s’être longtemps combattus pour des questions de « territoires », les gangs se sont unis pour s’opposer aux forces de l’ordre. Ils sont en passe de contrôler tout le pays. Un regroupement ou une structuration des milices informelles présentes sur les sites d’orpaillage clandestin peut aboutir à des zones entières qui vont échapper aux autorités. En Côte d’Ivoire, la zone Bondoukou-Bouna est particulièrement à surveiller.
Impact limité de l’or sur l’activité industrielle
Enfin d’un point de vue macroéconomique, contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’or n’industrialise pas, du moins pas directement. Le palmier à huile, avec ses multiples applications dans l’industrie alimentaire, l’industrie cosmétique, la chimie industrielle, les biocarburants, et aujourd’hui la production d’électricité, génère plus d’activité industrielle que l’or. Idem pour l’hévéa, l’anacarde, le cacao, le coton. Ces produits irriguent l’économie par toute une série de chaînes de valeurs qui sont générées par leur utilisation dans plusieurs domaines. Ce n’est pas le cas de l’or, dont l’utilisation se limite à la joaillerie et aux réserves des banques centrales. L’or n’impacte pas l’activité industrielle autant que l’agriculture, même s’il faut reconnaître que les recettes qu’il génère permettent aux Etats d’équilibrer leurs comptes.
On le voit, s’il faut se féliciter du boom de l’or, il est cependant porteur de graves périls auxquels il faut apporter des solutions urgentes. Le code minier ivoirien prévoit l’exploitation « semi artisanale » de l’or, une tentative pour ramener dans le secteur formel tous ceux désirant s’adonner à l’activité. Malheureusement cela semble ne pas suffire à enrayer le phénomène de l’orpaillage clandestin. Il ne faut cependant pas relâcher les efforts, et continuer à mettre la pression sur les orpailleurs qui refusent d’intégrer ce cadre formel.
Douglas Mountain
oceanpremier4@gmail.com
Le Cercle des Réflexions Libérales
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