Interview de Blé Goudé: « Oui, je veux prendre part à la compétition de 2025…l’opposition ne doit pas s’unir à tout prix »

Ses relations avec Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam, ses discussions avec Simone Ehivet Gbagbo ou les tensions liées à la révision de la liste électorale : à neuf mois de la présidentielle en Côte d’Ivoire, l’ancien ministre de la Jeunesse a accordé un entretien à « Jeune Afrique ».

blank

Alain Aka – à Abidjan Publié le 10 février 2025 Source: Jeune-Afrique

Il le répète depuis des mois : il est « prêt ». « Mon ambition de diriger un jour la Côte d’Ivoire n’est pas un secret », nous dit Charles Blé Goudé ce 5 février lorsque nous le rencontrons au siège de son parti, le Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep). Acquitté définitivement par la Cour pénale internationale (CPI) en 2021, où il avait été jugé pour crimes contre l’humanité à la suite des violences post-électorales de 2010-2011, il reste sous le coup d’une condamnation en Côte d’Ivoire.

C’est pourquoi il est, pour le moment, inéligible, tout comme son ancien codétenu à La Haye, qui fut aussi son mentor, Laurent Gbagbo. Les deux hommes, aujourd’hui en rupture, continuent de demander leur réinscription sur les listes électorales. L’ancien chef des Jeunes patriotes a saisi les institutions internationales à ce sujet et a travaillé ses réseaux au Cameroun, en Belgique ou encore en Allemagne. Objectif : prouver qu’il est redevenu fréquentable. Interview.

Jeune Afrique : Le président de la CEI évoque la possibilité de réviser la liste électorale après le scrutin d’octobre. Quelle est votre position ?

Charles Blé Goudé : Quand une loi est votée, vous ne pouvez pas décider de ne pas l’appliquer, sinon il s’agit d’une violation. Si la loi ne dit pas [à Ibrahime Coulibaly-Kuibiert] de le faire avant, est-ce qu’elle lui dit pour autant de le faire après ? S’il a des contraintes d’agenda, qu’il s’adresse aux députés pour que le texte soit ajusté. On révise la liste électorale en vue d’une élection.

Quelles seraient les conséquences d’un tel report ?

Il y a des Ivoiriens qui avaient 17 ans en 2024 et qui ont aujourd’hui 18 ans. Pourquoi veut-il les priver de leur droit de vote ? Parce que si [le président de la CEI] ne met pas à jour la liste électorale, ceux-ci ne voteront pas. Et l’élection en Côte d’Ivoire est la principale cause des crises que notre pays a connues ces derniers temps.

Le pays a été en deuil. Je demande à Ibrahim Coulibaly-Kuibiert d’éviter d’être la source d’un autre conflit en Côte d’Ivoire. Il n’est pas la loi, il doit l’appliquer. Nous allons en appeler à sa conscience et à son sens des responsabilités. J’entends des gens dire qu’il faut que l’opposition crée un rapport de force. Non, nous connaissons ses conséquences. Les morts que nous avons connus en Côte d’Ivoire ne sont-ils pas suffisants pour comprendre qu’il y a une seule voie pour régler cette question ? C’est le dialogue.

Sauf que vous êtes vous-même inéligible…

J’ai été condamné à 20 ans de prison en décembre 2019, une condamnation par contumace que j’estime être politique. C’est d’autant plus contestable que j’ai été acquitté par la Cour pénale internationale pour les mêmes faits liés à la crise postélectorale de 2010-2011. Et c’est ce qui m’empêche aujourd’hui d’être inscrit sur la liste électorale.

Quelles démarches avez-vous entreprises pour obtenir une amnistie ?

Rencontres avec les autorités, courriers officiels, appels publics… J’ai multiplié les initiatives. J’ai également saisi les institutions internationales, et notamment le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève et l’Union européenne. Sur les quatre personnes visées initialement par la CPI, je suis le seul à n’avoir bénéficié ni d’une grâce, ni d’une amnistie. Mes comptes sont toujours gelés, alors que tous les pro-Gbagbo ont vu cette mesure être levée.

On ne peut pas se cacher derrière un miroir judiciaire pour menotter politiquement des adversaires. Notre pays a déjà payé le prix fort de l’exclusion politique. Notre rôle est de nous structurer, de nous préparer et d’aller à la rencontre des Ivoiriens pour leur présenter notre projet. La politique doit répondre aux besoins essentiels des populations.

Quel est votre projet pour la Côte d’Ivoire ?

Notre pays a besoin d’un nouveau souffle, d’une vision qui transcende les clivages ethniques et politiques. Nous devons construire une économie inclusive qui profite à tous les Ivoiriens, pas seulement à une élite. La jeunesse, l’éducation et l’emploi seront au cœur de notre projet.

Vos relations avec le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) de Laurent Gbagbo se sont-elles améliorées ?

Il faut laisser le temps faire son œuvre. Les enjeux nationaux nous appellent à dépasser les ressentiments dans l’intérêt supérieur de la nation. Le moment viendra naturellement où nous devrons tous nous asseoir pour dialoguer.

Quels sont les termes de votre collaboration avec le Mouvement des générations capables (MGC), présidé par Simone Ehivet Gbagbo ?

Nous travaillons au sein d’une coalition initiée par l’ex-première dame Simone Gbagbo. Notre action se concentre sur trois axes essentiels : la réforme de la commission électorale, l’inclusivité du prochain scrutin et l’établissement d’un dialogue politique avec le pouvoir en place.

Discutez-vous avec Tidjane Thiam, le patron du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) ?

Nos relations sont excellentes. En tant que présidents de partis d’opposition, nous maintenons un dialogue constant au sein de la coalition. Nos échanges portent sur ces mêmes enjeux.

La multiplication des candidatures d’opposition peut-elle être vraiment favoriser l’alternance en 2025 ?

L’exemple du Sénégal montre qu’une opposition unie n’est pas indispensable pour gagner. Bassirou Diomaye Faye a remporté l’élection au premier tour avec un projet porteur d’espoir. L’essentiel n’est pas de s’unir à tout prix, mais de porter un projet viable qui parle à la population. Je privilégie les alliances basées sur des valeurs et une vision communes, pas des unions de circonstance.

C’est une erreur de penser que la diversité des candidatures favorise automatiquement le pouvoir. Chaque pays a ses spécificités, et la Côte d’Ivoire a ses propres réalités sociologiques. J’appelle le parti au pouvoir, qui se réclame de l’héritage d’Houphouët-Boigny, à accepter le dialogue. Ce n’est pas une question de force ou de faiblesse, mais de responsabilité envers la nation.

Dans ce cas, qui serait le mieux placé pour porter la voix de l’opposition ?

Je ne souhaite pas établir de hiérarchie entre les leaders. La question essentielle que j’ai posée à Daoukro lors de l’hommage à Henri Konan Bédié reste d’actualité. Pour la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens, à quoi sommes-nous prêts à renoncer ? Comme l’histoire de David le montre, la capacité à servir son peuple ne dépend ni de la taille, ni du statut.

Des négociations seraient en cours avec le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti au pouvoir…

Ces allégations sont totalement infondées. Ni le président Ouattara, ni ses collaborateurs ne m’ont proposé un partenariat, qui n’existe d’ailleurs que dans l’esprit de ceux qui veulent faire de moi ce que je ne suis pas. Je suis un opposant politique, pas un mécontent. Je ne suis pas un opportuniste qui change de camp selon ses intérêts personnels, j’agis selon des principes et une vision. La démocratie, c’est accepter la diversité politique.

Que pensez-vous d’un éventuel retour de l’ancien président de l’Assemblée nationale, aujourd’hui en exil, Guillaume Soro ?

Au-delà du cas personnel de Guillaume Soro, nous devons considérer l’enjeu plus large de la réconciliation nationale. La Côte d’Ivoire sort d’une longue crise et a besoin de tous ses enfants. La réconciliation doit inclure non seulement la population, mais aussi tous les leaders d’opinion.

Comment envisagez-vous concrètement cette réconciliation ?

Elle doit se faire à tous les niveaux, politique, social et économique. Nous proposons la création d’une commission vérité et réconciliation efficace, avec un véritable pouvoir d’action. La justice transitionnelle doit jouer son rôle, mais dans une optique de reconstruction nationale, pas de revanche.

Alassane Ouattara n’a pas encore pris sa décision pour 2025, mais ses partisans appellent déjà à sa candidature.

Les partisans du président Ouattara jouent leur rôle naturel en l’appelant à se représenter. Cependant, sa responsabilité est de prendre une décision qui serve l’intérêt de toute la Côte d’Ivoire, pas uniquement celui de ses partisans. Cette année est cruciale et place chacun devant ses responsabilités.

Commentaires Facebook

Laisser un commentaire