Le 10 Janvier 2024, le PM Beugré Mambé procédait à l’inauguration de la ’’première phase’’, du quatrième pont d’Abidjan en ouvrant à la circulation la section Yopougon-Boribana, complétée quelques temps plus tard par la section Boribana-Adjamé. Depuis, rien n’a bougé, le chantier est à l’arrêt. La « seconde phase » n’a pas encore débuté, plus d’un an après la fin de la première. Il faut rappeler que le chantier du quatrième pont (un ensemble d‘ouvrages s’étendant sur 7,5 km), fut lancé le 30 Juillet 2018, pour s’achever en Septembre 2000, comme s’y était engagée la China State Construction and Engineering Corporation (CSCEC), l’entreprise qui a remporté le marché suite à l’appel d’offres.
Il n’avait jamais été question de livrer l’infrastructure en « deux phases ». Tout devait être terminé en 26 mois. Aujourd’hui nous en sommes à plus de quatre années de retard sur le délai contenu dans l’offre de la CSCEC. La « seconde phase » débutera-t-elle un jour ? La question se pose, car visiblement il y a un blocage. En fait la situation actuelle n’est pas nouvelle, elle résulte d’un piège classique et grossier mis en place par les Chinois de la CSCEC, que les autorités ivoiriennes pouvaient aisément éviter. Le piège a fonctionné du fait de leur cupidité de ceux qui avaient en charge ce dossier.
Rappelons les faits. Le coût initial du quatrième pont était de 142 milliards de FCFA. Contrairement à ce que l’on peut être amené à penser, ce montant n’était pas le coût effectif de l’infrastructure. C’était le montant du financement disponible, dont devaient tenir les entreprises qui comptaient participer à l’appel d’offres. Pour faire simple, c’était l’argent mis de côté, pour la construction du pont, étant entendu que celui-ci pouvait coûter moins cher que prévu. Tout allait dépendre de l’offre qui serait retenue.
Bien entendu l’offre d’une entreprise était rejetée si elle proposait de construire le pont à un coût global supérieur à 142 milliards. Mais l’offre était également rejetée lorsqu’une entreprise proposait de construire le pont à un coût trop bas, inférieur à un seuil, que des études au préalable ont déterminé. Il en est ainsi dans tous les appels d’offres. En deçà d’un seuil, il est établi que l’entreprise ne pourra pas construire l’ouvrage en se conformant strictement au cahier des charges. Ce sera du travail au rabais. Ce seuil n’est pas communiqué aux entreprises qui participent à l’appel d’offres. Pour le quatrième pont, il était établi qu’en deçà de 125 milliards, les offres devraient être rejetées. Enfin il est bon de savoir que sous nos cieux, lorsque la construction d’un ouvrage coûte moins cher que prévu, le reste des fonds ne retourne jamais dans les caisses de l’Etat, mais « s’évapore » simplement.
Les Chinois de la CSCEC dans leur offre ont proposé de construire le pont à un coût global de 110 milliards. Cette offre aurait dû être purement et simplement rejetée comme le voulait la procédure. Il n’était pas possible de construire l’infrastructure avec 110 milliards comme le prétendaient les Chinois. Mais la partie ivoirienne, sans doute motivée par le gain qui se profilait, a retenu cette offre en dépit du risque évident qu’elle comportait. L’argent disponible pour le pont était de 142 milliards, et les Chinois proposaient de le construire à 110 milliards. Il y avait ainsi 32 milliards qu’on pouvait « se partager ». Ainsi le marché fut octroyé aux chinois. La suite montrera que ce n’était pas une décision « merveilleuse ».
Quelque temps plus tard, alors que le chantier est largement entamé et qu’on ne peut plus faire machine arrière, les Chinois reviennent à la charge en voulant renégocier certains aspects du contrat, au motif que le cahier des charges n’a pas été suffisamment explicite et les aurait induit à minimiser certains coûts. Ils veulent réviser à la hausse leur offre initiale. Refus de la partie ivoirienne qui ne veut plus rien renégocier. Il s’ensuit un bras de fer et la paralysie du chantier jusqu’en 2022, deux années durant. Des ouvriers s’activaient certes sur le site, mais les Chinois faisaient délibérément traîner les choses, afin que le chantier n’avance pas, malgré les nombreuses visites du Ministre de l’équipement Amédée Kouakou, assorties d’ultimatums.
Vers la mi-2022, il se murmurait que le président Ouattara était agacé du retard de l’infrastructure. La BAD qui cofinance l’ouvrage par un prêt de 103 milliards, menaçait de retirer son financement devant le blocage. Enfin l’opinion commençait aussi à se poser des questions sur ce pont qui tardait. Ceci amena la partie ivoirienne à lâcher du lest. Un « accord » fut trouvé. Les Chinois « acceptaient » de recevoir 12 milliards sur la vingtaine qu’ils réclamaient, leur offre passait ainsi de 110 à 122 milliards. Ainsi le chantier a été accéléré à partir de la fin 2022, pour aboutir à l’ouverture de la section Yopougon-Boribana juste avant la CAN en Janvier 2024. Le coût officiel du quatrième pont est passé de 142 à 154 milliards. Mais en réalité son coût effectif à ce jour est de 122 milliards.
Pourtant, comme la suite le montrera, ce ne sera pas la fin des ennuis. Il reste aujourd’hui deux ouvrages à réaliser. Le passage en dessous du boulevard Nangui Abrogoua (un tunnel du type de celui de la Riviera II, un trémie en termes techniques), et un fly-over (un pont) de 02 x 02 voies sur l’avenue Reboul. Les Chinois réclament de nouveau une rallonge (une dizaine de milliards semble-t-il). Un nouveau bras de fer est en cours. Le site d’Adjamé-village a bien été déguerpi, mais depuis pas de travaux. Ces deux derniers ouvrages pourront-ils être réalisés ? Il semble que cette fois les officiels en charge du dossier auront du mal à justifier une nouvelle hausse du coût global du pont. L’infrastructure va-t-elle être achevée tel que prévu dans le plan initial qu’on peut consulter sur le lien Pas sûr. Selon toute vraisemblance, on s’achemine vers un abandon pur et simple du tunnel et du fly-over.
La Chine est souvent accusée de piller les économies africaines à travers les « prêts adossés aux matières premières » qui sont sa spécialité. Avec ce qui se passe sur le quatrième pont d’Abidjan, on a bien la preuve de la ruse dont peut faire preuve l’Etat chinois vis-à-vis d’un Etat africain. Rappelons que la Chine s’est opposée en 2018 à la mise sur pied par la Côte d’Ivoire d’un bureau de suivi des investissements chinois dans le pays. Lorsqu’elle finance et construit une infrastructure, la Chine boucle le projet de bout en bout.
La CSCEC est la société d’Etat chinoise chargée du secteur du BTP. Ce qu’elle fait n’est pas ignoré de Pékin. On doit certes reprocher aux Ivoiriens d’avoir pensé à leurs poches plutôt qu’à à l’intérêt de la nation, mais les pratiques chinoises sont choquantes. Le piège qu’ils ont mis en place est impensable de la part des occidentaux. Le pont serait depuis longtemps achevé si le marché avait été octroyé à une entreprise occidentale, à l’image du troisième pont d’Abidjan, construit en 03 ans (Septembre 2011-Décembre 2014) par le groupe français Bouygues, pour un coût global de 152 milliards FCFA. Ces deux infrastructures ont sensiblement la même envergure. A noter le silence assourdissant du ministre des infrastructures économiques Amédée Kouakou.
Douglas Mountain
oceanpremier4@gmail.com
Le Cercle des Réflexions Libérales
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