Présidentielle 2025 en Côte-d’Ivoire: L’immense Yopougon et l’Agnéby, les rampes de lancement d’Adama Bictogo ?

Il a été élu il y a un an à la tête de la plus grande commune d’Abidjan et du pays, l’une des plus précaires aussi, et l’une de celles où il est crucial de battre campagne avant un scrutin majeur. Rencontre avec le maire RHDP de Yopougon et président de l’Assemblée nationale ivoirienne.

Florence Richard – envoyée spéciale à Abidjan
Publié le 28 novembre 2024

Il lui faut convaincre. Convaincre une population démunie qui éprouve un très fort sentiment d’injustice et d’abandon, peut-être encore plus ici qu’ailleurs en Côte d’Ivoire, de croire encore aux promesses. « Pour accélérer le développement de notre commune, le vote est crucial », martèle Adama Bictogo qui achève ce jour-là une tournée des centres d’enrôlement sur les listes électorales de Yopougon à l’école William-Ponty, où un groupe d’élèves scande bruyamment son nom.

Défendre le bilan d’Alassane Ouattara

Alassane Ouattara a misé sur le président de l’Assemblée nationale pour reprendre en main la commune, veiller sur ses 2 millions d’habitants et ses 503 000 électeurs. Élu maire de « Yop » lors des élections locales de septembre 2023, Adama Bictogo espère 60 000 nouveaux inscrits à l’issue de la révision de la liste électorale organisée par la Commission électorale indépendante (CEI).

« En tant que RHDP [Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, parti présidentiel], nous allons convaincre les habitants en mettant en avant le bilan du président Alassane Ouattara. C’est un travail quotidien de proximité », assure le maire, persuadé, à tort ou à raison, que ses administrés n’ont pas encore – totalement – tourné le dos à la politique. Quoi qu’il en soit, à un an de l’élection présidentielle, prévue en octobre 2025, la plus grande commune d’Abidjan et du pays, l’une des plus précaires, des plus instables aussi, apparaît comme un enjeu majeur.

Au-delà de sa victoire électorale face à une opposition partie en ordre dispersé – notamment face au candidat du PPA-CI, Michel Gbagbo, le fils de l’ancien président –, Adama Bictogo veut croire que pour lui, le natif d’Agboville (à une centaine de kilomètres au nord d’Abidjan), le parachutage politique a été une réussite. « C’est une commune que j’ai vite épousée et qui m’a vite accepté. Aujourd’hui, avec les populations de Yopougon, nous ne constituons qu’un seul corps », promet l’élu qui, quelques mois après son élection, a dû gérer une première grande situation de crise.

Yopougon a en effet été la première commune d’Abidjan à faire les frais des opérations de déguerpissements, ces destructions de quartiers entiers réalisées par le district autonome d’Abidjan depuis le début de 2024. Des dizaines de milliers d’habitants jetés à la rue, brutalement, sous la pluie et en pleine année scolaire, pour satisfaire la politique contre le désordre urbain engagée par l’exécutif, lequel explique vouloir réduire les conséquences des inondations et des éboulements. Mais la colère et l’inquiétude dominent toujours parmi les habitants, qu’ils soient directement concernés ou non.

Pendant des semaines, la situation a été très tendue entre les autorités municipales et celles du district, accusées de ne pas avoir prévenu la mairie avant d’agir. « Aujourd’hui, les relations se passent bien avec le district [dont le gouverneur est Ibrahim Cissé Bacongo, ex-maire de Koumassi, par ailleurs secrétaire exécutif du RHDP]. Nous avons eu plusieurs rencontres, les choses sont rentrées dans l’ordre », explique l’édile, convaincu de la nécessité d’une sensibilisation accrue des populations avant toute nouvelle démolition. « Nous attendons aujourd’hui le plan de recasement de certaines personnes concernées. Cela relève du gouvernement. »

Priorités pour Yopougon : routes, santé, éducation
Adama Bictogo vient d’achever une grande radiographie de la commune. Quels sont ses besoins ? Ses manques ? Quelles doivent être les priorités ? Il en a aujourd’hui une idée très précise. « La commune dispose de onze centres de santé, il en faudrait trente », détaille-t-il. Le ratio est le même pour les établissements scolaires. L’état des routes est également très préoccupant.

La commune a besoin d’un accompagnement fort du gouvernement. Elle est restée pratiquement vingt ans sans bénéficier d’investissements à la hauteur de ses besoins.

« Il faut noter que la commune représente 8 % de la population de Côte d’Ivoire. J’ai échangé avec le président Alassane Ouattara sur la nécessité d’investir à Yopougon et c’est à la suite de mes échanges avec lui que j’ai convoqué ce séminaire, afin d’établir un diagnostic des besoins et une hiérarchie des projets à fort impact social. » Les trois grandes priorités de son mandat à la tête de la municipalité sont désormais établies : les infrastructures routières, l’accès à la santé et l’éducation.

Du perchoir à Yopougon, le retour en grâce d’Adama Bictogo

Commune dortoir – elle abrite le plus grand nombre de cadres moyens –, mais aussi industrielle – avec la plus grande zone industrielle du pays (174 ha) –, Yopougon est réputée pour ses routes impraticables et ses embouteillages monstres qui minent le quotidien. Certes, le quatrième pont entre Yopougon et Adjamé (pont à péage financé par l’État, mis en service en juillet) a permis de fluidifier le trafic et les travaux de construction du Bus Rapid Transit (BRT), qui reliera Bingerville à Yopougon (à partir de 2027), le faciliteront un peu plus, mais cela ne suffit pas. Enfin, sur le plan de l’habitat, les besoins sont immenses – ils sont évalués à 200 000 logements sociaux.

« La commune est en grande difficulté en matière d’infrastructures, elle a besoin d’un accompagnement fort du gouvernement. Elle est restée pratiquement vingt ans sans bénéficier d’investissements à la hauteur de ses besoins », explique Adama Bictogo, par ailleurs fondateur du groupe Snedai (dont il a dû céder les rênes pour accéder à la présidence de l’Assemblée), qui compte sur la mise en œuvre de partenariats public-privé pour la réalisation de nombreux projets. Avant lui, la commune était administrée par Gilbert Koné Kafana, président du directoire du RHDP. C’est ce dernier qui aurait glissé au chef de l’État l’idée de « Bic » à « Yop ».

Dans l’ancien fief de Gbagbo, l’équilibre reste fragile

Si l’opposition concède à Adama Bictogo d’avoir un contact plus direct avec les populations que son prédécesseur, notamment grâce à des « descentes éclair sur le terrain », elle lui reproche ses trop nombreuses absences. Pour ses détracteurs, il passerait « le plus clair de son temps hors de Côte d’Ivoire ». Quid de ses projets pour la commune ? « Ce sera intéressant de voir s’il pourra aller jusqu’au bout, en particulier en ce qui concerne le projet très ambitieux du marché central. Mais rien n’avance vraiment d’un point de vue général », déplore un opposant.

Adama Bictogo, partisan « de la confrontation d’idées et du débat », évoque quant à lui de bonnes relations avec l’ensemble des membres de son conseil municipal. Dans la commune, longtemps considérée comme un fief de l’ex-président Laurent Gbagbo, lieu de grandes violences et de contestations pendant la crise postélectorale, l’équilibre est malgré tout fragile.

« J’ai proposé l’instauration d’une relation beaucoup plus proche entre les communautés et entre les religions, avec la mise en place d’un conseil communal des religieux composé d’imams et d’évêques, ainsi que d’un conseil des chefs de communauté », précise Adama Bictogo. Il assure que ce renforcement de la cohésion est à décorréler de la prochaine présidentielle. « Il ne faut pas ramener cela à l’élection. J’ai créé un environnement qui obéit à ma volonté de rassembler toutes les populations de Yopougon au regard de son histoire », assure l’élu.

Jeune-Afrique

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