Cacao: Alliance Côte d’Ivoire-Ghana fragilisée ?

Entre mauvaise récolte, problème financier et incertitude politique, le secteur de l’or brun au Ghana est à la peine. De quoi mettre l’association conclue avec le voisin ivoirien sous pression.

Retard de livraison du cacao, difficultés de financement des opérateurs, changement à la tête du régulateur du secteur… Au Ghana, le deuxième producteur d’or brun du continent derrière la Côte d’Ivoire, le secteur est à la peine.

Cette situation constitue un revers pour Accra, le cacao représentant plus de 10 % du produit intérieur brut (PIB) du pays et près de 20 % de ses recettes d’exportations. Mais elle est aussi une mauvaise nouvelle pour Abidjan.

Alors que les deux pays se sont associés depuis 2018 pour mieux défendre les intérêts de leurs producteurs sur le marché mondial des fèves, les soucis du Ghana mettent en effet l’alliance constituée, surnommée « Opep du cacao », sous pression.

40 millions de dollars mobilisés par IFC

Bien loin du pic de production de plus d’un million de tonnes atteint lors de la campagne 2020-2021, Accra est confronté à un criant manque de fèves : cette semaine, le pays a officialisé le report d’une livraison de 370 000 tonnes, résultat d’une récolte 2023-2024 en berne, estimée à 550 000 tonnes, la plus faible production de ces vingt dernières années.

Cette pénurie explique en grande partie les difficultés financières du secteur et en premier lieu celles de son régulateur, le Cocobod. Alors que jusqu’ici ce dernier préfinançait les campagnes, empruntant sur les marchés internationaux pour ensuite prêter aux négociants locaux les fonds nécessaires à l’achat de fèves, il a été contraint, en raison de son endettement, d’arrêter de le faire.

Résultat, les opérateurs privés ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes, ce qui a conduit IFC, filiale dédiée au secteur privé de la Banque mondiale, à mobiliser 40 millions de dollars pour le secteur. L’octroi de l’enveloppe, déployée via Société générale Ghana, doit être approuvé le 17 février.

Ces tensions interviennent enfin dans un contexte politique incertain, lié à l’arrivée au pouvoir du nouveau président ghanéen, John Dramani Mahama, élu en décembre et déjà à la tête du pays entre 2012 et 2017.

S’il a aussitôt promis de réformer le secteur et son régulateur, il est resté flou sur sa stratégie et ne s’est pas ouvertement prononcé sur la collaboration avec Abidjan. En parallèle, il a nommé cette semaine le nouveau patron du Cocobod, choisissant un homme issu des médias et donc novice en matière d’or brun, Randy Abbey. Un profil bien différent du précédent titulaire du poste, Joseph Boahen Aidoo, un politique issu d’une région cacaoyère.

Divergence de trajectoire
Ce contexte ghanéen pose un certain nombre de défis et de questions à la Côte d’Ivoire et à l’« Opep du cacao ». D’un point de vue politique, même si les deux exécutifs ont intérêt à maintenir l’alliance et leurs efforts conjoints, on ne sait pas comment les deux présidents, John Mahama et Alassane Ouattara, vont s’entendre. Or, dans le domaine de l’or brun, hautement stratégique, l’expérience montre que l’impulsion présidentielle est capitale pour progresser sur les différents dossiers.

Sur un plan stratégique, la divergence de trajectoire entre Accra et Abidjan fragilise l’association entre les deux pays. Ces dernières années, si la Côte d’Ivoire a toujours eu – et de loin – le statut de premier producteur mondial, assurant 40 % de l’offre globale de fèves, Accra était un numéro deux proactif, assurant une alliance gagnant-gagnant et solide face à des opérateurs mondiaux de l’industrie du chocolat. Cette dynamique est aujourd’hui largement mise à mal, avec de possibles conséquences sur les politiques de commercialisation, la capacité à financer les réformes du secteur et la portée des actions de lobbying de l’alliance.

À un niveau plus technique, les changements d’organigramme dans les instances ghanéennes cacaoyères vont imposer une phase de transition qui retardera un certain nombre de chantiers, dont l’adoption d’une norme africaine pour le cacao durable, moyen pour le continent de faire valoir la valeur de ses fèves au niveau international.

Accra et Abidjan entendent garder la tête froide, les promoteurs de l’alliance entre les deux pays se voulant rassurants sur la poursuite de la collaboration renforcée entre les deux pays. Face à la chute de la production, un problème commun aux deux pays, ils mettent en avant les efforts faits pour développer la recherche et l’innovation afin de lutter contre les effets du réchauffement climatique et les maladies, tout en saluant le renforcement des mesures contre la contrebande avec la multiplication des saisies côté ivoirien comme ghanéen.

Insistant sur le fait que les deux pays ont besoin l’un de l’autre – ainsi que du ralliement des autres producteurs africains dont le Nigeria et le Cameroun – pour peser sur la scène internationale, ils assurent qu’un point de non-retour a été franchi, gage de la poursuite de l’alliance.

Source: Jeune-Afrique par Estelle Maussion

Commentaires Facebook

Laisser un commentaire