Afghanistan: La CPI lance un mandat d’arrêt contre le chef suprême des Talibans, Haibatullah AKHUNDZADA

Le Président de la Cour suprême de « l’émirat islamique d’Afghanistan », Abdul Hakim HAQQANI, est lui aussi visé par un mandat.

Déclaration du Procureur de la CPI, Karim A.A. Khan K.C. : des mandats d’arrêt requis dans la situation en Afghanistan
Déclaration : 23 janvier 2025

Aujourd’hui, mon Bureau va déposer deux requêtes aux fins de délivrance de mandats d’arrêt dans la situation en Afghanistan auprès des juges de la Chambre préliminaire II de la Cour pénale internationale. Ces requêtes sont le fruit du travail des membres dévoués de notre équipe unifiée chargée de la situation en Afghanistan, sous la direction de la procureure adjointe Nazhat Shameem Khan et de plusieurs experts, dont la conseillère spéciale pour les crimes sexistes et autres crimes discriminatoires, Mme Lisa Davis.

Depuis la décision en date du 31 octobre 2022 de la Chambre préliminaire autorisant mon Bureau à reprendre son enquête après une période de suspension, ce dernier a enquêté en toute indépendance et impartialité sur les crimes qui auraient été commis à l’encontre de civils afghans.

Mon Bureau fait valoir que, compte tenu des éléments de preuve recueillis au terme d’une enquête approfondie, il existe des motifs raisonnables permettant de croire que la responsabilité pénale du chef suprême des Taliban, Haibatullah AKHUNDZADA, et du Président de la Cour suprême de « l’émirat islamique d’Afghanistan », Abdul Hakim HAQQANI, est engagée pour le crime contre l’humanité de persécution liée au genre, en vertu de l’article 7-1-h du Statut de Rome.

En effet, mon Bureau estime que la responsabilité pénale de ces deux ressortissants afghans est engagée pour avoir persécuté des filles et des femmes afghanes, ainsi que des personnes qui ne correspondaient pas à leurs conceptions idéologiques de l’identité et de l’expression de genre et des personnes qu’ils considéraient comme les alliés des filles et des femmes. Ces persécutions ont été commises à partir du 15 août 2024 au moins, et se poursuivent à l’heure actuelle sur l’ensemble du territoire afghan.

Les persécutions qui perdurent se traduisent par de nombreuses privations graves des droits fondamentaux des victimes, en violation du droit international, y compris le droit à l’intégrité physique et à l’autonomie corporelle, le droit à la liberté de circulation et d’expression, à l’éducation, à une vie privée et familiale et le droit de réunion.

Ces privations graves des droits fondamentaux qui se poursuivent ont également été commises en lien avec d’autres crimes relevant du Statut de Rome. Toute résistance ou opposition supposée au régime taliban a été violemment réprimée, et continue de l’être, par la commission de crimes, dont le meurtre, l’emprisonnement, la torture, le viol et d’autres formes de violences sexuelles, la disparition forcée ainsi que d’autres actes inhumains.

Les demandes de délivrance de mandats d’arrêt présentées aujourd’hui sont les premières dans la situation en Afghanistan mais mon Bureau ne tardera pas à en présenter d’autres à l’encontre de hauts responsables des Taliban.

Ces demandes s’appuient sur des éléments de preuve divers, dont des témoignages d’expert, des déclarations de témoins, des décrets officiels, des rapports de criminalistique, des déclarations prononcées par les suspects ainsi que d’autres représentants des Taliban et des documents audiovisuels. Notre équipe pluridisciplinaire chargée d’enquêter sur cette situation a réalisé des entretiens préliminaires puis des entretiens auprès de témoins potentiels ; elle a dégagé des pistes d’enquête, trouvé des experts et des interlocuteurs susceptibles d’apporter leur coopération. Le Bureau s’est assuré les services d’experts en matière de genre qui ont rejoint les équipes chargées des enquêtes, aux côtés d’experts de pays et d’experts psycho-sociaux afin de veiller à ce que la dimension de genre inhérente aux crimes présumés soit dûment prise en compte.

Avec ces nouvelles demandes, mon Bureau entend afficher sa détermination à poursuivre les auteurs de crimes liés au genre, y compris la persécution liée au genre, et à en faire une priorité absolue.

Dans ces demandes, nous faisons valoir que les femmes et les filles afghanes ainsi que les membres de la communauté LGBTQI+ sont en proie à des persécutions abjectes et répétées sans précédent de la part des Taliban. Notre démarche consiste à dire que le statu quo qui prévaut pour les femmes et les filles en Afghanistan est inacceptable et que les survivant(e)s, en particulier les femmes et les filles, méritent d’obtenir justice devant un tribunal.

Nous affirmons en outre que l’interprétation de la charia par les Taliban ne saurait en aucun cas être invoquée pour justifier la privation des droits humains fondamentaux ou la commission connexe de crimes relevant du Statut de Rome.

Ces demandes sont l’occasion de rendre hommage au courage et à la résilience remarquables des victimes et témoins afghans qui ont coopéré avec mon Bureau dans le cadre de l’enquête. Je tiens à remercier les représentants de la société civile afghane au même titre que nos interlocuteurs au sein de plusieurs autorités nationales et organisations internationales pour leur soutien précieux dans le cadre de l’enquête.

Il appartient désormais aux juges de la Cour pénale internationale de déterminer si ces demandes de délivrance de mandats d’arrêt procurent des motifs raisonnables permettant de croire que les personnes visées ont commis les crimes allégués. Si les juges délivrent des mandats d’arrêt, mon Bureau travaillera en étroite collaboration avec le Greffier pour arrêter les personnes visées. Je prie les états parties d’apporter leur pleine coopération à la Cour en l’aidant à exécuter toute ordonnance judiciaire qui pourrait être prononcée.

Le travail d’enquête de mon Bureau se poursuit dans la situation en Afghanistan et nous continuons à enquêter sur les crimes qui auraient été commis à titre individuel par des membres des Taliban et de l’état islamique de la province du Khorasan. Comme j’ai eu l’occasion de le souligner depuis ma prise de fonction, les victimes et survivant(e)s attendent depuis bien trop longtemps que justice soit faite. Nous sommes résolument déterminés à tout mettre en oeuvre pour que ces personnes ne soient pas oubliées et pour démontrer que, grâce à notre travail et à l’application effective et impartiale du droit international, toutes les vies humaines se valent.

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