Droit de réponse à l’analyste Jean Claude Djéréké sur « la nécessité pour les États africains francophone de prendre un autre chemin « 

Jean Claude Djéréké, un éminent intellectuel ivoirien dont les thèses « panafricanistes » sont hautement contestables

Jean Claude Djéréké est un analyste qui intervient dans les médias en ligne, notamment sur le site connectionivoirienne.net, l’un des principaux sites ivoiriens d’informations. Dans une publication en date du 07 Janvier qu’on peut consulter sur le lien https://connectionivoirienne.net/2025/01/07/lurgence-et-la-necessite-de-prendre-un-autre-chemin/, l dénonce le chemin pris par les Etats francophones dès 1960, en ne rompant pas les liens avec la France. Celle–ci selon lui a fait tout son possible pour maintenir les Etats dans le sous-développement. Pour lui, il est temps pour le continent de suivre une autre voie. Citant le récit biblique qui fait référence aux  « mages venus d’Orient, qui après avoir rencontré l’enfant Jésus à Bethlehem, repartirent chez eux par un autre chemin « , l’analyste préconise pour les pays d’Afrique une autre voie, « celle prise par la République centrafricaine, le Mali, le Burkina, et le Niger ».

Tout en respectant cette analyse, il est évident qu’elle mérite un droit de réponse. Le site connectionivoirienne.net étant un site de forte audience, il convient d’apporter aux lecteurs un point de vue différent, un point de vue contradictoire, car la question est aujourd’hui au cœur de l’actualité.

Pour Monsieur Jean Claude Djéréké, « en 1960, nos dirigeants croyaient avoir pris le chemin de l’indépendance et de la prospérité pour tous. 65 ans plus tard, force est de constater que ce chemin nous a conduits dans une vraie impasse car la plupart de nos pays continuent d’être occupés, dominés, exploités et appauvris par la France à travers les marionnettes qu’elle a installées à la tête de ces pays. »

Tout d’abord, il est bon de rappeler à Monsieur Jean Claude Djéréké que la France n’a pas colonisé toute l’Afrique. Sur 55 ans Etats aujourd’hui membres de l’Union Africaine, la France en a colonisé Vingt (20). Il n’est pas convenable de lui mettre sur le dos le sort du continent tout entier.

Dès 1958,  des pays tels que la Guinée Conakry ont quasiment rompu les liens avec la France pour se rapprocher des pays du « bloc de l’Est » mené par l’Union Soviétique (la Russie actuelle). De même dans les années 70, une contagion révolutionnaire s’est emparée de l’Afrique, amenant nombre de pays à s’émanciper de la France pour se rapprocher de la Russie à l’instar de la Guinée Conakry.

Si La France avait installé des « marionnettes » dans les pays comme le prétend Monsieur Djéréké, alors comment comprendre qu’ils soient tombés sous l’influence de Moscou à un moment de leur histoire ?  Hormis la CI et le Sénégal, tous les dirigeants qui ont présidé aux pays à leur indépendance en 1960, ont tous été renversés dans la même décennie. Si on suppose que c’est la France qui les avait mis en place, alors on peut déduire qu’elle n’avait pas la main aussi puissante qu’on le pense, puisqu’elle a été incapable de les maintenir à la tête des Etats. La vérité est que ce n’était pas la France qui présidait au choix des hommes à la tête des pays, comme beaucoup le prétendre.

Sur le plan économique, il faut rappeler à Monsieur Djéréké qu’à partir des années 2000, c’est bien la Chine qui est devenue le premier créancier de l’Afrique, et son premier partenaire commercial. C’est la Chine qui finance et construit toutes les infrastructures, qui obtient tous les gros marchés d’État en Afrique. La part de la France, et de l’Europe ne cesse de reculer dans les échanges avec le continent. Aujourd’hui on dira que c’est la Chine qui « domine, exploite, et appauvrit les pays africains ». C’est elle qui achète le plus de matières premières aux pays africains de nos jours. Et son emprise sur l’économie africaine ne cesse de croître.

Un mot sur le boom de l’or aujourd’hui dans beaucoup de pays. Cet or est exploité par des compagnies australiennes, canadiennes et sud-africaines et non françaises. On peut multiplier les exemples pour montrer que la France est en recul dans le commerce avec les pays africains depuis plus d’une vingtaine d’années.

Pour monsieur Djéréjké,les pays africains sont dans la situation actuelle « parce que l’ancienne puissance coloniale n’a jamais accepté l’idée d’une Afrique unie, industrialisée, capable de transformer sur place ses matières premières et de soigner ses populations à faible coût, parce que la France a toujours rêvé d’être notre seul partenaire en affaires, le seul pays qui devait nous vendre livres, véhicules et armes, parce qu’elle a toujours aimé parler en notre nom à l’ONU ».

Rappel historique à l’intention de monsieur Djéréké concernant « l’unité de l’Afrique ». Dès l’indépendance du Ghana en 1957, son président Kwame N’Krumah s’est mis en croisade pour réaliser « l’unité du continent ». Les dirigeants des Etats qui devenaient indépendants devaient signer une déclaration cadre sur la création d’une « union des Etats d’Afrique ». Pas un seul dirigeant n’a signé cette déclaration, pas même Sékou Touré qui avait pourtant été financièrement soutenu par le Ghana. Lors du sommet constitutif de l’OUA à Addis-Abeba en 1963, « l’union des Etats d’Afrique » n’était même pas à l’ordre du jour. Aucun dirigeant n’était prêt à renoncer à l’indépendance de son pays au profit d’un super Etat africain.

C’est dire que ce n’est pas la France qui n’a pas voulue d’une « Afrique unie » comme le prétend Monsieur Jean Claude Djéréké dans son analyse. L’idée était simplement irréalisable. Et elle l’est encore aujourd’hui. L’Afrique est trop vaste, trop complexe, trop diversifiée pour former un seul Etat. C’est un combat perdu d’avance pour quiconque se lance dans l’aventure.  C’est plutôt la coopération qui peut fonctionner entre les Etats, et non leur fusion en un État unique. Remarquons également que des confédérations ont vu le jour en Afrique de l’Ouest et de l’Est. Elles se sont rapidement écroulées.

En ce qui concerne la transformation des matières premières, elle est aujourd’hui une réalité, les chiffres l’attestent. La Côte d’Ivoire transforme une part substantielle de son cacao, son anacarde, son huile de palme et son hévéa. Les autres pays en font de même. Au Nigéria par exemple, la production de palmier à huile est presque entièrement transformée sur place pour les besoins de l’industrie locale.

De plus en plus d’usines de raffinage de l’or se mettent en place dans les zones d’extraction. Quant au pétrole, il existe aujourd’hui des raffineries dans tous les pays africains producteurs. Les billes de bois ne s’exportent plus en grumes aujourd’hui au départ de l’Afrique. Des usines de recyclage du fer, du caoutchouc, du papier etc……existent dans les pays. L’industrie automobile commence à prendre son essor dans les Etats, bref la transformation, l’industrialisation est en marche sur le continent.

La France parle-t-elle  au nom des pays africains francophones à la tribune des Nations Unis ? Pas une seule fois, cela n’a été le cas. Chaque pays a droit à  la parole lors de l’Assemblée générale. Aucun pays ne peut se substituer à un autre. La France n’a jamais parlé au nom des pays africains (ses ex-colonies), dès lors que ceux-ci sont devenus indépendants.

Monsieur Djéréké revient sur cette idée fortement ancrée dans la mentalité collective en Afrique selon laquelle « Les rares dirigeants africains qui voulaient défendre les intérêts de l’Afrique furent ou bien renversés (Modibo Keïta, Laurent Gbagbo) ou bien assassinés (Sylvanus Olympio, Thomas Sankara) ».

C’est un réflexe pour ceux qui se prétendent « panafricanistes », d’imputer aux Occidentaux, tous les troubles qui interviennent dans les Etats, dédouanant ainsi les dirigeants africains de toute responsabilité dans ces troubles.

En fait, la dynamique du maintien ou du renversement des pouvoirs a ses ressorts à l’intérieur des Etats. Les putschs et autres troubles résultent toujours d’une lutte interne. Ce sont des dissensions entre les acteurs en place qui aboutissent à ces événements. Bien entendu les occidentaux choisissent un camp lorsque ces crises éclatent, mais le dénouement se fait toujours selon le rapport de force à l’intérieur du pouvoir concerné.

Certains dirigeants ont défié les Occidentaux et ont pu se maintenir durant des décennies. Inversement, certains qui étaient proches d’eux, ont néanmoins été renversés. C’est dire que tout se joue à l’intérieur des Etats. Les « Occidentaux » n’ y sont pour rien. Aujourd’hui au Soudan, deux généraux se battent pour le contrôle du pouvoir. C’est le résultat d’une crise de leadership née après la chute du président El Béchir. Ce ne sont pas les occidentaux qui ont « fabriqué » cette crise, ce qui ne les empêche pas de choisir leur camp dans ce conflit.

En définitive, le maintien d’un dirigeant au pouvoir repose sur sa personnalité, sa perspicacité, sa capacité de discernement, son intuition, et sa gouvernance. Son sort ne se joue pas ailleurs. Beaucoup de dirigeants ont pu se maintenir parce qu’ils avaient une sorte de sixième sens qui leur permettait d’anticiper. Diriger c’est savoir s’entourer, c’est être pro-actif et non réactif.  Lorsqu’un dirigeant est renversé, c’est dans sa gouvernance qu’il faut rechercher la cause, pas ailleurs.

Monsieur Djéréké termine sur son allusion biblique « Hérode aurait éliminé Jésus si les mages étaient revenus le voir, s’ils n’étaient pas retournés chez eux par un autre chemin. Si l’Afrique francophone ne veut pas mourir, si elle désire en finir avec la pauvreté, l’instabilité, le terrorisme, le viol des constitutions, les présidents à vie, la jeunesse qui meurt dans la Méditerranée, elle n’a pas d’autre choix que d’emprunter un autre chemin, ce que la République centrafricaine, le Mali, le Burkina Faso et le Niger semblent avoir compris. Les dirigeants de ces pays ont vite réalisé que retourner chez Hérode, c’est remettre leurs populations sur la route de l’esclavage et de la mort. </On n’a pas besoin d’être un mage pour comprendre que prendre un autre chemin lorsque le premier s’est révélé désastreux relève tout simplement du bon sens. »

Concernant les jeunes qui meurent dans la Méditerranée en tentant de gagner l’Europe, l’analyse de Jean Claude Djéréké est assez réductrice. Tant qu’il y aura une différence de richesses entre les nations, les populations vont toujours migrer vers les nations les plus riches. C’est une loi qui régit le fonctionnement des hommes. Au cours des années 1800, les Européens s’entassaient dans des navires pour immigrer en masse vers les Etats-Unis. Le phénomène a duré jusque dans les années 1930. Si la mer séparait les États-Unis du Mexique, on aurait vu beaucoup de sud-américains nager pour atteindre les USA. Dans les années 1970 et 80, beaucoup de Vietnamiens nageaient pour gagner les philippines (les fameux boat people), alors plus avancée économiquement que le Vietnam. Tant qu’il y aura une différence de richesse entre les États, le phénomène de migration va perdurer. En ce qui concerne la « voie à suivre » pour les États, il est contradictoire d’ériger les dirigeants sahéliens en modèle, et dans le même temps réclamer la démocratie dans les autres pays. C’est hélas ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Beaucoup d’intellectuels tressent des couronnes aux militaires qui ont pris le pouvoir par la force dans les pays sahéliens, mais se plaignent à domicile d’un manque de démocratie !! 

Les dirigeants du Sahel ne rendront jamais le pouvoir aux civils, tout le monde le sait. Un putschiste reste président à vie, à moins qu’il ne soit renversé lui aussi un jour. Aujourd’hui dans les pays du Sahel, les citoyens, les partis d’opposition, la société civile, les activistes, tous sont réduits au silence, tous doivent montrer un zèle vis-à-vis du pouvoir, à l’image de ce qui se passe en Corée du Nord. 

Es-ce cela la voie de salut du continent ? Es-ce cela la « bonne direction » que doivent emprunter tous les pays francophones ? Faut-il revenir aux dictatures militaires des années 70 ? Faut-il forcément rompre avec la France et se précipiter dans les bras de la Russie si on veut parvenir au développement ? Que peut apporter la Russie en termes de développement à l’Afrique, un Etat qui vit essentiellement sur sa rente pétrolière et gazière ? Quel Etat peut-on citer en exemple qui a bénéficié d’une aide au développement de la part de la Russie ?

On oublie que dans les années 70 et 80,  bon nombre d’Etats africains s’étaient rapprochés de ce pays, puis ont tous déchanté. Aujourd’hui les mercenaires russes exploitent l’or dans les pays sahéliens. Le président centrafricain n’a aucune marge de manœuvre, à l’image de l’empereur Aztèque Moctezuma, il est « prisonnier dans son palais ». Tout est décidé par l’ambassadeur de Russie. Les Russes contrôlent la douane de ce pays. En fait on se demande s’ils partiront un jour. Es-ce vraiment cette voie que les autres nations doivent suivre ? Aujourd’hui la situation économique dans les pays francophones, les pays de la zone CFA est bien meilleure que celles des pays anglophones.

Plusieurs de ces pays sont en quasi faillite aujourd’hui, et non des moindres. Les pays francophones ne sont pas les derniers de la classe en matière de développement, on peut citer des statistiques à profusion pour l’attester. La transformation des économies francophones est une réalité tangible aujourd’hui. Il faut cesser de vendre des illusions aux populations. Il faut leur proposer du concret et non des slogans. Enfin on ne perçoit pas très bien à quoi aura servi cette allusion biblique aux « trois mages et à l’enfant Jésus ». Il faut éviter de faire ce genre d’amalgames.  Ce n’est pas très indiqué de faire intervenir les Écritures saintes dans les débats intellectuels.  Les écrits bibliques ne doivent pas servir à justifier ou étayer des thèses intellectuelles. Ils ne doivent pas être utilisés pour des controverses. Les écrits religieux doivent être circonscrits dans le cadre de la prière et de la foi.

Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions Libérales
oceanpremier4@gmail.com »>oceanpremier4@gmail.com

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