Cimetière municipal de Yopougon / Qui casse les tombes ? Un phénomène qui s’amplifie

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« Repose en paix », « Repos éternel » a-t-on coutume de lire sur des pierres tombales. Au cimetière municipal de Yopougon, les morts sont hantés par la violation de leur dernière demeure de sorte que ces épitaphes ont du mal à prendre un sens.

Le chaos total, l’indécence à outrance. Le visiteur le moins curieux du cimetière de Yopougon, là où repose depuis des lustres des milliers de gens arrachés à la vie, aura forcément le trouble. Des tombes ouvertes entièrement ou à moitié, des restes de corps visibles ou exhumés, c’est le triste spectacle de cet endroit où les croque-morts font la pluie et le beau temps.

Des tombes vieilles ou récentes n’échappent guère au phénomène. En certains endroits, des odeurs pestilentielles se répandent à la grande gêne des usagers venus accompagner un mort. « Si je meurs, malheur à qui avancera l’idée de m’enterrer dans ce cimetière ! », lâche un visiteur qui n’y avait jamais mis les pieds ce samedi 28 décembre 2024 quand nous assistions à un enterrement. Il n’en revenait pas face à ce qu’il a vu. Une certaine déshumanisation. La tombe qui est sacrée et fait l’objet d’entretien est une chose banale en ce lieu.

Ce cimetière est mal entretenu et c’est peu de le dire. La voirie y est approximative et les véhicules, les corbillards en particulier ont du mal à se frayer un chemin. Le conducteur le plus expérimenté n’y peut rien. Souvent devant l’impossibilité d’avancer les chauffeurs de ces véhicules mortuaires sont contraints de stopper le parcours loin de la sépulture qui doit recevoir le cercueil. Et là, à défaut de bras valides dans la famille du défunt, il faut louer les services de porteurs occasionnels qui sont sur place. C’est leur gagne-pain. Bref

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Au milieu des tombes cassées, de ce bric-à-brac, arrivent par dizaines chaque samedi, jour de pique pour les enterrements, de nouveaux locataires. Officiellement ils y seront inhumés pour 5 ans pour les familles moins nanties et pour 30 ans ou 99 ans pour ceux qui ont plus d’argent. 290 mille Fcfa pour les 30 ans et 390 mille Fcfa pour les 99 ans. Généralement, rares sont les proches des défunts qui reviennent plus tard, même à la Toussaint pour revisiter les tombes de leurs disparus. Cette absence de visite et/ou l’abandon total des sépultures après enterrement sont-ils la raison de la  »vandalisation » des tombes ?

 »Pas forcément », répond un jeune employé des lieux. Il explique que ce phénomène est dû aux intempéries et à la mauvais dosage des matériaux utilisés. Dans les cimetières du District d’Abidjan, en effet, une tombe durable a nécessairement un coût élevé qu’une tombe faite à la va-vite. Nous découvrirons cela avec des jeunes constructeurs de tombes. En principe, nous dit l’un d’entre eux, les 190 mille Fcfa payés pour la tombe au District d’Abidjan prennent en compte les 4 murs et la dalle avec remplissage des joints par du ciment et c’est tout. Si le parent veut que la surface entière de la tombe soit crépie, il devra payer pour un ou deux paquets de ciment ainsi que la main d’œuvre. Sans cela, la tombe est laissée pour compte et dès les premières pluies, les failles apparaissent. Si rien n’est fait, le béton de la dalle qui n’est pas armé dans les normes cède aussitôt et bonjour les dégâts. Ceci est récurrent. La plupart des tombes cassées sont construites de manière précaire.

Cependant, une autre raison est évoquée. C’est le vol. Dans nos traditions africaines, les familles enterrent toujours les morts avec plusieurs pagnes de valeur, des bijoux et bien d’autres objets. Ces gadgets mortuaires, couronnes, pagnes Kita, Adingra et autres pagnes Wax, montres et bijoux de valeur remplis dans les cercueils, sont convoités par des gens qui prennent des libertés avec la morale et la décence. Pour eux, ce qui compte c’est l’argent. Ils profitent donc du peu de sécurité en ce lieu pour extraire, la nuit venue, tous ces objets qu’ils assainissent et revendent par la suite. Ces tombes ouvertes sont souvent vides à part les ossements visibles après la réduction en poussière du cercueil.

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Plus surprenant encore, en ce qui concerne les causes des tombes cassées, une autre source évoque des actes de fétichisme. les ossements humains, nous explique un interlocuteur, seraient prisés par des gens en quête de puissance. Ils sont donc poussés vers les cimetières par des marabouts et féticheurs à la recherche d’ossements : cranes, os du bras ou de la jambe… Ici la complicité des gardiens de cimetière est mise en avant parce qu’ils sont le passage obligé pour accéder au cimetière à des heures tardives.

Le cimetière municipal de Yopougon est très affecté par ce phénomène des tombes cassées. En principe les services du District d’Abidjan sont chargés de l’entretien de l’endroit en lien avec les familles. Ils devraient procéder à la fermeture immédiate des tombes en attendant une exhumation à terme. Sur place notre interlocuteur, un responsable des lieux, employé du District bottera en touche face à nos questions mais nous avons promis d’y revenir parce qu’un assainissement s’impose pour la quiétude des familles qui dépensent des fortunes pour y enterrer leurs proches.

SD à Abidjan

sdebailly@yahoo.fr

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