Netanyahou rêvait d’un plus grand Israël, mais son propre monde vient de se rétrécir
Moncef Khane Ancien fonctionnaire des Nations Unies
Traduit de l’Anglais
Le 21 novembre, la Chambre préliminaire de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé avoir émis des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant et le commandant de l’aile militaire du Hamas Mohammed Diab Ibrahim al-Masri, alias Deif, qui, selon Israël, a été tué au combat.
Il a fallu six mois à la Chambre préliminaire pour se prononcer sur la demande de mandats d’arrêt du procureur Karim Khan, et il lui a fallu pas moins de huit mois après le 7 octobre 2023 pour déposer les requêtes pour ces mandats.
Avant cela, il a fallu près de sept ans à la prédécesseure de Khan, Fatou Bensouda, pour ouvrir une enquête sur les crimes de guerre israéliens présumés en Palestine depuis 2014.
Compte tenu de l’ampleur et de l’ampleur des crimes de guerre à Gaza avant et après le 7 octobre 2023, la lenteur de la CPI est difficile à comprendre ou à accepter.
La Chambre préliminaire a indiqué qu’elle avait « des motifs raisonnables de croire que M. Netanyahu et M. Gallant étaient pénalement responsables du crime de guerre consistant à affamer les civils comme méthode de guerre ».
À en juger par l’espace accordé à cette accusation dans le communiqué de presse de la CPI, les questions d’aide humanitaire semblent être les principales accusations portées contre M. Netanyahu et M. Gallant. Mais compte tenu du nombre de morts – qui pourrait atteindre 186 000 – et de la dévastation totale de l’infrastructure de Gaza, en particulier des installations médicales et des écoles, il est troublant que « la Chambre ait conclu que les éléments fournis par l’Accusation ne lui permettaient de tirer des conclusions que sur deux incidents qualifiés d’attaques intentionnellement dirigées contre des civils ». Deux incidents seulement ?
En revanche, la Chambre préliminaire a également pu conclure que Deif, l’insaisissable commandant du Hamas, était « responsable des crimes contre l’humanité de meurtre, d’extermination, de torture, de viol et d’autres formes de violence sexuelle, ainsi que des crimes de guerre de meurtre, de traitements cruels, de torture, de prise d’otages,
Il convient de noter que les éléments de preuve fournis par l’accusation ont permis d’établir une telle liste de crimes, et notamment l’« extermination », définie à l’article 7.2.b. du Statut de Rome comme « comprenant le fait d’imposer intentionnellement des conditions d’existence, notamment la privation d’accès à la nourriture et aux médicaments, calculées pour entraîner la destruction d’une partie de la population ».
Il est frappant de constater que l’« extermination » n’est pas mentionnée dans les accusations portées contre Netanyahu et Gallant, malgré le fait que le 26 janvier, la Cour internationale de justice a conclu qu’il était plausible que les actes d’Israël puissent constituer un génocide.
S’agit-il d’un autre cas de double standard ou des normes de preuve différentes s’appliquent-elles ? Nous ne le savons pas car les mandats sont « secrets », mais cette question doit néanmoins être posée.
En soi, la décision de la CPI est historique, car pour la première fois, elle a émis des mandats d’arrêt contre des ressortissants – politiquement parlant – d’un pays occidental. Les pressions et menaces intenses d’Israël, de ses amis et de son principal protecteur, les États-Unis, n’ont pas empêché les deux principaux membres du cabinet de guerre israélien de devenir des fugitifs.
Bien sûr, la perspective de voir Netanyahou et Gallant sur le banc des accusés est quasi nulle. Pour l’instant, ceux qui recherchent un minimum de justice trouveront du réconfort dans le symbolisme que représentent les mandats d’arrêt internationaux contre les deux dirigeants israéliens.
Cependant, même si la justice ne sera pas rendue assez tôt pour mettre un terme à l’agression génocidaire d’Israël, un seuil majeur a été franchi : un signal fort a été envoyé à tous les auteurs passés et futurs de crimes contre les Palestiniens sous occupation : du président israélien qui a déclaré qu’il n’y avait pas de Palestiniens innocents à Gaza, aux ministres irresponsables qui ont prôné un génocide, aux généraux qui ont ordonné le bombardement de femmes, de nourrissons, d’hôpitaux et d’écoles, aux soldats férus de TikTok qui exécutent joyeusement des crimes de guerre.
Le message est que les mandats d’arrêt sont un signe avant-coureur de la fin de l’impunité pour les crimes internationaux d’Israël. Non pas parce que la CPI poursuivra ces crimes, qui sont tout simplement trop nombreux pour une cour aux ressources insuffisantes. Mais plutôt parce que la décision historique de la CPI donnera un nouvel élan aux poursuites des crimes de guerre dans le cadre de la compétence universelle et des obligations erga omnes.
Il s’agit d’obligations dues à la communauté internationale de poursuivre les individus soupçonnés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de génocide et de torture, même si la juridiction chargée des poursuites n’a aucun lien direct avec les crimes reprochés.
À cet égard, il convient de rappeler une affaire historique dans laquelle la compétence universelle a été invoquée. Un quart de siècle après avoir commis des crimes horribles à la suite du coup d’État de 1973 soutenu par la CIA au Chili, le général Augusto Pinochet a été arrêté dans un hôpital londonien par Scotland Yard après que le juge espagnol Baltasar Garzon eut émis un mandat d’arrêt international à son encontre.
A l’issue d’une bataille juridique de 503 jours, qui s’est terminée par l’annulation par le ministre de l’Intérieur Jack Straw, pour des « raisons humanitaires », de la décision d’un tribunal britannique d’accorder l’extradition de l’Espagne, Pinochet, 83 ans, a été libéré de détention et rapatrié au Chili. L’action pionnière de Garzon a néanmoins constitué une étape importante dans le droit pénal international, car elle a testé avec succès l’applicabilité du principe de compétence universelle en matière de violations flagrantes des droits de l’homme.
De même, l’ancien président américain George W. Bush a annulé une visite en Suisse en 2011. Officiellement, c’était en raison des manifestations prévues après qu’il eut admis avoir autorisé le recours au waterboarding contre des détenus étrangers. Mais un « moment Pinochet » a pesé lourd dans l’annulation du voyage. Amnesty International a averti les autorités suisses qu’« une enquête [sur les crimes présumés de Bush] serait obligatoire en vertu des obligations internationales de la Suisse si le président Bush entrait dans le pays ».
De hauts responsables israéliens, comme l’ancien Premier ministre Ehud Olmert, l’ancienne vice-Première ministre et ministre des Affaires étrangères et de la Justice Tzipi Livni, et l’ancien vice-Premier ministre Moshe Ya’alon, ont annulé des voyages au Royaume-Uni, en Suisse ou en Belgique par crainte d’être arrêtés pour crimes de guerre présumés.
Ces exemples, ainsi que des affaires passées et en cours, poursuivies devant divers tribunaux en vertu du principe de compétence universelle, suggèrent que ce concept relativement nouveau du droit pénal international progresse.
Ironiquement, bien que les racines de la « juridiction universelle » se trouvent dans le contexte de la piraterie en haute mer, c’est Israël qui a invoqué le premier ce principe à l’époque moderne pour l’enlèvement en Argentine et le procès qui a suivi en 1961 du tristement célèbre officier nazi Adolf Eichmann.
Maintenant qu’un mandat d’arrêt a été émis contre leur Premier ministre le plus longtemps en poste, monter à bord d’un avion en provenance de Tel-Aviv deviendra une option risquée pour les Israéliens soupçonnés de crimes de guerre, s’ils savent qu’ils peuvent être arrêtés à leur arrivée.
En ce qui concerne Netanyahou lui-même, son avion peut toujours décoller, mais il reste à voir où il pourra atterrir et dans quel espace aérien il pourra emprunter. Il peut rêver d’un « Grand Israël » et d’une maison de plage sur la côte de Gaza, mais son propre monde s’est considérablement rétréci, maintenant qu’il est en fuite.
Les opinions exprimées dans cet article en Anglais sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la position éditoriale d’Al Jazeera.
Moncef Khane
Ancien fonctionnaire des Nations Unies
Moncef Khane est un ancien fonctionnaire des Nations Unies dont la carrière s’étend sur plus de 30 ans dans les domaines des droits de l’homme, des affaires politiques, du maintien de la paix et des missions politiques spéciales, de l’Assemblée générale et du Conseil économique et social, ainsi que du Cabinet du Secrétaire général Kofi Annan. Il a été membre de la Kennedy School of Government de l’Université Harvard et de l’Institute for the Study of Diplomacy de l’Université de Georgetown. Il est titulaire d’une maîtrise de la Fletcher School of Law and Diplomacy et de la Kennedy School of Government.
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