Par: Marina Kouakou
Des enfants qui parcourent quotidiennement des distances de 7 à 9 km pour accéder à l’école. Cette réalité entraîne une baisse du rendement scolaire, des cas d’abandon et même de l’insécurité pour les élèves de la sous-préfecture du Morokro dans l’Agnéby-Tiassa, au au Sud de la Côte d’Ivoire.
À N’Guessan Kankro, un campement situé à 7 km de l’EPP Koyekro, Evrard Koffi (nom d’emprunt) a décidé de faire l’école buissonnière l’année dernière, alors qu’il était inscrit en classe de CE1. Il a aménagé un espace en brousse où il se rendait chaque jour. « Il y passait de longues heures. Les parents s’en sont rendu compte plus tard, alors qu’une bonne partie de l’année scolaire s’était déjà écoulée. Il y a plusieurs cas comme ça », se souvient la présidente des femmes de la localité, Adjoua Bernadette Locossué. Si le petit garçon a adopté ce comportement, c’est bien pour éviter d’affronter les difficultés de la marche jusqu’à l’école.
La situation est tout aussi éprouvante pour les élèves du campement de N’Guessan Kankro et du village de Kpoubgoussou. En quête de savoir, ils arpentent 14 à 18 km au quotidien, comme ce mardi 5 novembre 2024. Équipés pour la plupart de sacs de riz de 5 kg transformés en cartables sans fermetures et noués au dos à l’aide de ficelles, ainsi que de tenues scolaires parfois enfouies dans des sachets, en raison des conditions de voyage, ils se mettent en file indienne, dès l’aube, pour atteindre l’établissement à temps.
« Nous arrivons à l’école déjà fatigués »
Entre les broussailles séparées par la terre rouge poussiéreuse, les plus âgés gèrent les caprices des cadets qui pleurent pour exprimer leur mécontentement. Ils se tiennent également en alerte pour dévier les mototaxis et les camions qui empruntent couramment cette voie à grande vitesse. « Nous arrivons à l’école déjà fatigués. Entre midi et deux, nous n’avons pas d’endroit pour nous reposer, on doit tourner en rond jusqu’à la reprise. On va faire comment ? », s’interroge Noël Kouadio, élève en classe de CM2. Cet enfant de N’guessan Kankro vit ce quotidien depuis six ans.
Parmi les élèves qui passent leur chemin, deux écolières, les sœurs Locossué de N’guessan Kankro, partagent leurs expériences. « Nous avons tout le temps mal aux pieds et des douleurs au ventre. La pluie a déjà mouillé mon cahier de français et le cahier de mathématiques de ma sœur. Les parents ont dû acheter de nouveaux cahiers pour nous permettre d’être à jour », explique Othniel Locossouyé, élève en classe de CE2.
Des cas d’enlèvement
En 2021, des cas d’enlèvement avaient été signalés dans la zone, créant une psychose. « Nous avions eu peur, on ne venait plus à l’école. Certains pendant une semaine, d’autres pendant deux semaines. C’est lorsque le député-maire Assalé Tiémoko a déployé des gendarmes sur la voie que la peur s’est dissipée », confie Amoin Laurène Kouadio, élève en classe de CM1 résidant à Kpoubgoussou.. Ces conditions de déplacement inquiètent également les parents.
« C’est vraiment inquiétant. Ils quittent souvent à 5 heures du matin et n’arrivent parfois qu’à 20 heures. La pluie les surprend parfois en chemin, et il n’y a pas d’abri », raconte Madeleine Ehouman, présidente des femmes de Kpoubgoussou. Elle explique qu’elle a même dû trouver une tutrice pour ses enfants qui, malgré tous les sacrifices, redoublaient à cause de la fatigue accumulée. « C’est vraiment difficile, nous avons peur. Quand l’enfant n’est pas de retour, tu n’as pas l’appétit », ajoute-t-elle, entourée de ses trois nièces non scolarisées, à cause du trajet de l’école.
Madeleine Ehouman , présidente des femmes de Kpoubgoussou : les enfants quiitent la maison à 5h et ne reviennent que vers 20h .
« Nous étudions à la lumière des torches »
La situation ne s’arrête pas à la difficulté des déplacements. Au terme de la journée, les élèves empruntent à nouveau la rue obscure pour regagner leur domicile. Dans ces zones rurales, l’absence d’infrastructures de base comme l’électricité, l’eau et les centres de santé complique leur quotidien. « Nous étudions à la lumière des torches de nos parents, mais nous sommes déjà épuisés par la marche », explique Amoin Laurène Kouadio.
À N’Guessan Kankro, à quelques encablures de Kpoubgoussou, les élèves se regroupent sous des lampadaires solaires, qui se révèlent peu efficaces, pour réviser leurs leçons tard dans la soirée. « Certains s’endorment même, tellement ils sont fatigués. Quand il pleut, il n’y a pas de lumière, donc les enfants ne peuvent pas étudier. J’ai essayé d’étudier avec eux, mais c’est vraiment désolant, la majorité n’a pas le niveau », raconte Kouamé Kouakou, parent d’élève.
Selon le directeur de l’EPP 1 du groupe scolaire de Koyekro, Alexis Brou Kouassi, plus de 50 élèves sont concernés par cette précarité. « Un enfant qui fait 14 kilomètres par jour est physiquement épuisé. Il n’y a pas de lumière chez lui. Cela va forcément agir sur leur rendement. Il y a un ou deux abandons par an. On a pensé que l’implication des conseils scolaires pourrait changer les choses, mais ce n’est pas le cas », dit-il.
Marina Kouakou
Encadré 1 :
Une école centrale très mal lotie
Fondée en 1967, le groupe scolaire du village Koyekro, composé de trois écoles, compte environ 1 000 élèves à ce jour, dont plus de 50 provenant des campements et villages environnants (N’guessan Kankro, Kpougboussou, Alikro…), tous situés à plus 5 km. Bien que cet établissement soit central, son état laisse à désirer.
L’un des bâtiments de l’Epp Koyekro ne dispose pas de toiture. Dans cette école, il n’existe pas de point d’eau. Lorsque le besoin d’étancher la soif se fait sentir, la majorité des élèves se rend au domicile des enseignants, ce qui alourdit les factures d’eau. « Ma dernière facture était de 100 000 F CFA pour une maison de 7 personnes », se plaint le directeur de l’EPP 1, Alexis Brou Kouassi.
Pis, il n’existe pas de latrines. Les élèves se soulagent à l’air libre, dans les herbes, non loin de l’école. « Ils sont exposés aux serpents », souligne le directeur de l’EPP 2, André Grah. Il témoigne que le pire a été récemment évité : « Nous avons capturés deux serpents dans la cour de l’école ». A cela s’ajoute le manque de cantines et d’aires de jeux.
Les directeurs ont également fait cas de l’insuffisance de places au sein de l’établissement. Une situation qui a empêché l’inscription d’une centaine d’élèves pour cette année scolaire. « Bien qu’ils soient en règle, ils n’ont pas été acceptés. Ils attendront l’année prochaine. L’État nous demande 56 élèves par classe. Nous ne pouvons pas faire autrement. Il nous faut au moins deux nouvelles écoles », souhaitent-ils.
M. K.
Source: Lebanco.net
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