Les recettes des péages routiers, pas vraiment à la hauteur des défis de l’économie ivoirienne

En Septembre dernier, le Fond d’Entretien Routier- FER, a publié les résultats financiers de l’année 2023 concernant les péages routiers qu’il exploite. Il faut noter que le péage du troisième pont d’Abidjan, le pont KHB, est exploité par la SOCOPRIM une entreprise privé, l’infrastructure étant un partenariat public privé –PPP.

Tout d’abord on peut s’étonner que les résultats de l’année 2023 soient publiés en Septembre 2024. Nous sommes à l’ère de la digitalisation. Tout aujourd’hui se fait en un clic. Il ne doit pas être bien compliqué de faire le point sur les recettes au jour le jour, partant, on peut rapidement compiler les recettes de l’année, et les publier dès Janvier de l’année suivante. Pourtant il a fallu neuf mois au FER pour publier les recettes de l’année 2023. Il y a quelque chose à revoir dans l’organisation de la structure.

Le second point à noter c’est la relative faiblesse des recettes. Les sept péages exploités par le FER en 2023, à savoir les quatre péages de l’autoroute du Nord, les deux péages de la route de l’Est, et le péage de l’autoroute de Bassam, ont globalement généré 31,9 milliards de FCFA. Vu de loin, avec les péages qui se multiplient sur nos axes, on pouvait penser que le FER mobilise des sommes de l’ordre de la centaine de milliards. Mais c’est loin d’être le cas. Pour schématiser, disons qu’avec 31,9 milliards de recettes, les péages ont contribué à hauteur de 0,23 % au budget de l’année 2024 (13 720 milliards) !!!

Ainsi la montée en puissance du FER dans la mobilisation des recettes publiques ne sera pas pour tout de suite. De nouveaux postes de péages seront certes mis en exploitation, et le parc automobile va s’accroître, mais il faudra un certain temps avant que les recettes des péages ne contribuent significativement au budget de l’Etat. Mais entre-temps une grogne commence à monter devant la multiplication des postes de péages sur nos axes, ce qui peut freiner leur déploiement dans le futur. Cette culture de payer pour emprunter les routes n’est pas encore totalement intégrée. Les autorités doivent se montrer prudentes, et éviter le déploiement accéléré des péages.

Le FER a pour mission l’entretien des axes routiers. Outre les recettes des péages, il perçoit la taxe spécifique unique (TSU) prélevée sur les produits pétroliers, taxe qu’il collecte directement. Il perçoit également une quote-part sur les vignettes auto, la patente et les licences transport, qui sont collectées par la Direction Générale des Impôts. Il se murmure que cette quote-part n’arrive pas toujours ’’en temps et en heure’’ dans les caisses du FER, et est largement ’’amputée’’. Mais cela est une autre question.

Les ressources du FER lui permettent-elles de faire face aux investissements liés à l’entretien routier à l’échelle nationale ? Bien sûr que non. On sait par exemple que la réhabilitation de la ’’côtière’’ juste avant la CAN a coûté quelque 300 milliards à l’Etat. L’ensemble des différentes phases de la réfection de la voirie de Yamoussoukro avait coûté quelque 133 milliards entre 2019 et 2021. La réfection de l’axe Daloa-Issia, Korhogo-Boundiali, et bientôt Bondoukou-Bouna etc….sont des investissements trop lourds pour le FER. Le 17 Octobre, le ministre Amédée Kouakou précisait que le budget de l’entretien routier est de 280 milliards par an, bien au-delà des capacités de mobilisation du FER.

En revanche, il est inadmissible que le FER peine à entretenir des voies sur lesquelles sont installés des péages. Sur l’autoroute de Bassam ouverte en 2015, de plus en plus de nids de poule apparaissent. La dégradation de l’autoroute du Nord est flagrante, notamment le tronçon Abidjan Yamoussoukro. Il y a deux postes de péages sur cette section, et deux autres sur la nouvelle section Yamoussoukro-Tiébissou-Bouaké. C’est un non-sens de prélever de l’argent sur une voie, et d’être incapable de l’entretenir. Au niveau des villes, la réfection des voiries dure très souvent moins d’un an. Il faut revoir toutes ces choses.

Pour accroître ses ressources, le FER a la possibilité de lever des emprunts. En 2014, le DG Siandou Fofana levait 130 milliards auprès d’un consortium de banques, tandis que le controversé Diaby Lanciné qui lui a succédé, levait 80 milliards en 2017. L’actuelle Directrice Général, Annick Tohé Lasmel en place depuis Novembre 2021, ne s’est pas encore lancée dans l’exercice. Pourtant les emprunts sont un outil important pour accélérer la dynamique dans l’accroissement des capacités du FER. Avec des ressources à la hausse du fait de la multiplication des péages, le FER doit être en mesure de lever des sommes importantes à même de lui permettre d’aller vite.

La Directrice générale Annick Tohé Lasmel doit se montrer un peu plus entreprenante sur cet aspect. Elle a reçu deux distinctions en 2024, et le FER a organisé à Abidjan en Mai dernier, la 21ièmeassemblée générale annuelle de l’association des fonds d’entretien routiers africains. Il y a également le satisfecit qu’elle a reçu de la part des autorités. Tout cela atteste de sa maîtrise du sujet. On dit qu’elle a su redonner la confiance aux fournisseurs en s’acquittant des dettes. Néanmoins on la sent un peu ’’timide, coincée’’. Elle doit être un peu plus audacieuse. Cela signifie qu’il ne faut pas tranquillement attendre les ressources des péages et des taxes, mais en développer de nouvelles. Et l’emprunt reste une option.

Enfin il faut rappeler au gouvernement ivoirien que conformément aux recommandations de l’IRF ( International Road Federation ), il faut installer les péages sur des routes expresses, des routes comportant au moins deux voies dans chaque sens. De même lorsqu’un péage est installé, l’automobiliste doit toujours disposer d’une autre alternative non payante. Ainsi on peut se rendre à Bassam en évitant l’autoroute. On peut se rendre à Bouaké en évitant l’autoroute du Nord. Mais la route de l’Est comporte deux péages, alors qu’il n’y a pas d’alternative pour l’éviter, outre le fait qu’elle ne soit pas non plus une autoroute. Il y a ici une double infraction de l’Etat ivoirien.

La libéralisation de la construction des autoroutes comme en France, où la plus grande partie du réseau autoroutier est détenue par ce qu’on appelle là-bas les sociétés d’autoroute, reste une option pour la Côte d’Ivoire. Seul le pont HKB est détenu en partie par le privé. Il faut multiplier les PPP dans ce domaine. En ce moment, l’Etat ivoirien peine à trouver le financement de deux importantes infrastructures : l’autoroute Abidjan-San Pedro, et sa part du financement du pont sur le canal de Vridi. Associer davantage le privé à ces infrastructures reste la voie dans laquelle il faut aujourd’hui se lancer.

Douglas Mountain

Le Cercle des Réflexions Libérales

oceanpremier4@gmail.com

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