LES DOZOS EN CÔTE D’IVOIRE: RÉSURGENCE ET AMBIGUÏTÉS

Alors que les élections présidentielles approchent en Côte d’Ivoire, un groupe
d’individus refait une réapparition tonitruante à Divo et à Guitry: les Dozos.

Se prévalant de la qualité de « chasseurs et détenteurs de savoirs mystiques »,
ils reviennent sur le devant de la scène dans un contexte politique tendu. Un
contexte où une grande partie de la population ivoirienne peine à obtenir une
inscription sur les listes électorales sous des prétextes fortement contestables.
La (re)présence de ces individus et leurs actions suscitent de nombreuses
interrogations dans le paysage social et politique ivoirien, d’autant plus que les
autorités, tout en réprimant fermement les associations et mouvements
étudiants contestataires, semblent fermer les yeux sur les activités -disons
clairement les choses- de cette milice informelle. Cette position interroge.

1- Les Dozos sont-ils des « chasseurs traditionnels » ou des acteurs politiques ?

Les Dozos se présentent comme des chasseurs traditionnels, originaires du
nord de la Côte d’Ivoire. Ils prétendent avoir des savoirs occultes et des
pratiques médicinales ancestrales. Historiquement, leur rôle se limitait à la
protection des villages du nord contre les animaux sauvages ou les menaces
extérieures. Cependant, au fil du temps, cette communauté s’est muée en une
force armée semi-organisée, s’immisçant dans les affaires politiques,
particulièrement lors des périodes de tensions électorales.

À chaque élection, leur retour sur le terrain politique est perçu avec inquiétude.
Des accusations de violence et d’intimidation leur sont souvent imputées, en
particulier envers les populations civiles et les opposants politiques, ce qui
soulève des questions : qui sont-ils vraiment censés « chasser » aujourd’hui ?
Leurs activités semblent bien éloignées de la chasse traditionnelle, et ils
paraissent désormais jouer un rôle qui s’apparente davantage à celui d’une
milice. Alors que le gouvernement contrôle strictement les associations
contestataires, ces « chasseurs » défilent et patrouillent librement, se donnant
parfois des airs de forces de sécurité improvisées. Ce paradoxe interroge sur
les liens officieux qu’ils pourraient entretenir avec le pouvoir en place.

2- Pourquoi cette présence des Dozos au-delà de leurs régions d’origine ?

Autrefois cantonnés aux zones du nord de la Côte d’Ivoire, les Dozos ont
étendu leur présence dans diverses régions du pays, y compris dans les
zones sud et les grandes villes, où leurs actions ne sont pas toujours bien
perçues. Leur incursion dans ces régions au-delà de leur aire culturelle
traditionnelle a engendré des tensions, notamment avec les populations
locales qui ne comprennent ni leur présence ni leur rôle. Dans ces zones
éloignées de leur base culturelle, leur rôle de « chasseurs » perd de sa
signification, et ils sont souvent perçus comme une force armée d’origine
étrangère, agissant pour des intérêts qui dépassent la protection de leurs
villages d’origine.

En effet, au sud, les populations questionnent de plus en plus la nature de
leurs activités : ces chasseurs n’ont rien à poursuivre dans les forêts et
savanes de ces régions. Alors, que viennent-ils chercher dans ces territoires
éloignés du nord ivoirien ? Leur présence semble davantage politique que
culturelle ou traditionnelle, une hypothèse renforcée par les périodes de crise
politique où leur influence est la plus visible.

3- Le silence des autorités : est-ce un choix politique calculé ?

Face à cette situation ambiguë, la tolérance dont bénéficient les Dozos
soulève des questions sur les intentions des autorités. Alors que le
gouvernement interdit aux associations étudiantes de manifester et de se
structurer, les Dozos, eux, continuent de patrouiller et de se mobiliser sans
entraves. Ce contraste laisse penser à une forme de complicité ou d’utilisation
politique, où les Dozos deviennent un outil de contrôle social, de répression
indirecte, ou un symbole de dissuasion pour les opposants au pouvoir.
Ainsi, à quelques mois des élections, la résurgence des Dozos et leur liberté
de mouvement dans tout le pays envoient un message clair : au-delà des
fonctions traditionnelles, leur rôle semble s’inscrire dans une stratégie de
maintien de l’ordre en faveur du pouvoir en place, en usant de moyens non
institutionnalisés et parfois violents. Une présence dont les objectifs
apparaissent de plus en plus éloignés de leur vocation initiale de protecteurs
communautaires.
Cette présence et tolérance accordée aux Dozos mettent en évidence un
déséquilibre ou équilibre politique subtil voire calculé. En leur permettant de
circuler librement, le gouvernement bénéficie d’une force informelle qui opère
souvent en marge des lois, pouvant maintenir l’ordre sans engager
directement les forces de sécurité officielles. C’est un choix stratégique : les
Dozos servent de bras armé indirect, dissuadant par leur simple présence et
rappelant leur capacité d’intervention dans les conflits sociaux et politiques.
Cependant, cet équilibre reste fragile. Le soutien tacite dont bénéficient les
Dozos peut facilement se retourner contre le pouvoir s’ils sont perçus comme
une force d’oppression plutôt que de protection. La population, consciente de
ce jeu d’influence, pourrait voir dans cette alliance informelle une menace pour
la démocratie, une atteinte aux droits civiques et un facteur de division entre
les régions. En outre, la perception que ces « chasseurs » servent des intérêts
partisans risque d’alimenter des rancœurs régionales et tribales creusant
davantage les fractures entre le nord et le sud du pays.

4- Les Dozos, symbole d’une Côte d’Ivoire divisée et qui peine à construire une identité partagée et un équilibre politique stable

Le rôle des Dozos dans la politique ivoirienne est symptomatique d’un pays
qui cherche à équilibrer tradition et modernité, coutume et État de droit. Leur
résurgence révèle les difficultés de la Côte d’Ivoire à consolider une paix
durable et à éviter les tensions ethniques et politiques qui jalonnent son
histoire récente. Leur instrumentalisation par des acteurs politiques laisse
entrevoir des enjeux plus profonds liés à l’identité, au pouvoir et au contrôle
territorial.

En fin de compte, le retour des Dozos sur la scène publique ivoirienne n’est
pas seulement une question de chasseurs traditionnels : il s’agit d’un miroir
des tensions et des incertitudes qui entourent le système politique ivoirien.
Tant que le gouvernement n’établira pas de cadre clair et respecté pour tous
les acteurs, en évitant des doubles standards dans la gestion des groupes
d’influence, les Dozos continueront de susciter la peur et la méfiance,
exacerbant les divisions au lieu de favoriser l’unité nationale.

Conclusion: une réglementation visant à cantonner ce groupe d’individus dans sa sphère géographique d’origine est plus que nécessaire

Face à cette situation, la Côte d’Ivoire doit envisager une approche plus
équilibrée et réglementée pour tous les groupes influents. Des réformes
légales pourraient permettre d’intégrer les Dozos dans un cadre plus strict qui
préserverait leurs valeurs culturelles tout en encadrant leurs actions dans le
respect des lois et des droits civiques. Une telle démarche viserait à apaiser
les craintes de la population et à garantir un terrain plus équitable en période
électorale.

Pour que la Côte d’Ivoire avance vers une stabilité politique pérenne, il semble
essentiel de réformer en profondeur les relations entre pouvoir et forces
informelles, et d’encourager une culture de dialogue entre tous les groupes
sociaux, ethniques et politiques.

C’est un défi complexe, mais qui pourrait contribuer à apaiser les tensions
latentes et à favoriser une véritable réconciliation nationale où chaque citoyen,
quelle que soit son origine et son ethnie se sentirait respecté et en sécurité.

DR KOCK OBHUSU
Dr en sciences économiques et Ingénieur

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