Ancien ministre du commerce et patron de Sifca, le premier groupe privé du pays, l’homme d’affaires de 59 ans brigue l’investiture du premier parti d’opposition pour l’élection présidentielle de 2025.
Par Marine Jeannin (Abidjan, correspondance)
L’annonce n’a surpris personne, l’intéressé ne faisant pas mystère de ses ambitions politiques depuis plus de quinze ans. Vendredi 25 octobre, Jean-Louis Billon, 59 ans, a officiellement déclaré être candidat à l’élection présidentielle de 2025 depuis son fief de Dabakala, dans le nord-est du pays. « Je me présente pour gagner, a-t-il lancé devant une assemblée de partisans. En 2025, la Côte d’Ivoire a rendez-vous avec son destin, et j’y serai. »
Le scrutin s’annonçant comme un « tournant décisif », a-t-il rappelé, son parti, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA, centre droit), se doit d’être « à la hauteur de ce rendez-vous historique ». Encore faut-il que Jean-Louis Billon parvienne à convaincre les militants du premier parti d’opposition à l’Assemblée nationale de le choisir comme leur candidat, au cours d’une convention partisane dont la date n’a pas encore été annoncée et où il devra se mesurer à Tidjane Thiam.
Un duel dont part pour le moment favori M. Thiam, président du PDCI, élu le 22 décembre 2023, à l’issue d’un scrutin pour lequel Jean-Louis Billon n’avait pas présenté sa candidature. Le congrès extraordinaire réuni à Yamoussoukro avait alors adopté une résolution désignant Tidjane Thiam comme « le candidat du PDCI-RDA à la convention d’investiture » pour la présidentielle à venir.
Homme d’affaires prospère
« Certains cadres vont forcément encourager Jean-Louis Billon, c’est l’arène politique, reconnaît un cadre du PDCI. Il y a toujours des frustrations, des gens qui espéraient être nommés, d’autres qui n’apprécient pas Tidjane Thiam… Donc forcément, il a des visiteurs de nuit. Mais pour l’heure, aucun cacique n’a pris position pour lui. Et je pense que les enjeux de 2025 feront que la majorité restera avec Tidjane Thiam. »
Jean-Louis Billon, qui entretient d’assez bonnes relations avec le président Alassane Ouattara et l’opposant Laurent Gbagbo, qu’il est même allé accueillir à l’aéroport à son retour au pays en 2021, est un homme d’affaires prospère. Ancien patron de la Chambre de commerce et d’industrie de 2002 à 2012, il a dirigé de 2001 à 2012 le premier groupe privé du pays, l’agro-industriel Sifca, spécialisé dans les oléagineux, le sucre et l’hévéa, hérité de son père et dont il est resté le président du conseil d’administration.
Il assume également des fonctions électives locales depuis son élection en 2001, sans étiquette, à la mairie de Dabakala, qu’il a conservée jusqu’à son accession à la présidence du conseil régional du Hambol en 2013. Nommé ministre du commerce d’Alassane Ouattara en 2012, il a exercé cette fonction pendant cinq ans avant d’être écarté du gouvernement en 2017, à l’occasion d’un remaniement ministériel.
Jean-Louis Billon s’est alors rapproché de la direction du PDCI, dont il est devenu le porte-parole adjoint. Il y défend une rupture avec le camp présidentiel, alors que le Rassemblement des républicains (RDR), le parti du président Alassane Ouattara tente au contraire de former un parti unifié, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).
Mise en retrait des affaires du parti
Le gouvernement l’a donc suspendu en 2017 de son poste de président du conseil régional du Hambol, où il avait été élu sous la bannière du RDR, comme le rapportait Jeune Afrique. Joint au téléphone par Le Monde, il rétorque à ceux qui questionnent sa loyauté que « nous étions dans une alliance politique ». « J’étais d’accord pour l’alliance, pas pour le parti unifié, rappelle-t-il. Et je suis le premier à être monté au créneau pour qu’on ne rejoigne pas le RHDP ».
D’autres voix critiques au sein du PDCI lui reprochent également son absentéisme depuis l’élection de Tidjane Thiam. Invisible lors de la passation des charges en janvier, Jean-Louis Billon ne s’est pas non plus montré à la présentation du nouvel organigramme du PDCI et a refusé d’être reconduit au nouveau secrétariat exécutif, tout en restant haut représentant du parti dans le Hambol. Une mise en retrait qui lui permet d’avoir les coudées franches pour critiquer la nouvelle gouvernance du parti.
« Je n’ai pas de problème de personne avec Tidjane Thiam, assure-t-il, bien qu’un certain nombre d’entre nous considérons qu’il ne remplissait pas les conditions pour être élu. Mais nous faisons avec. » Il estime également que « son manque d’expérience dans une équipe de gestion du parti se fait ressentir (…) C’est peut-être la période la plus longue que le parti ait connue sans tenir un bureau politique. Le congrès n’a pas été reprogrammé, je ne parle même pas de la convention… »
Une « inertie » qu’il avait déjà dénoncée dans une interview au quotidien ivoirien Fraternité Matin, agaçant un peu plus la nouvelle équipe dirigeante. « Quelle inertie ? interroge un haut cadre du parti, proche du nouveau président. Le PDCI n’a jamais été aussi actif, ni aussi présent sur le terrain, que depuis que Tidjane Thiam en a pris les rênes. C’est cela qui compte, bien plus qu’un bureau politique dont aucun texte d’ailleurs ne stipule qu’il doit avoir lieu immédiatement après la passation de charge. »
« Moderniser ce parti »
Reste que Jean-Louis Billon affirme avoir été adoubé par l’ancien chef de l’Etat (de 1993 à 1999) Henri Konan Bédié, président du PDCI jusqu’à sa mort le 1er août 2023. « Depuis 2018, j’étais programmé pour l’élection présidentielle de 2020, affirme-t-il. C’est Henri Konan Bédié qui m’avait demandé de me retirer à l’époque, pour qu’il puisse affronter lui-même Alassane Ouattara [vainqueur avec 95,31 % des voix d’un scrutin boycotté par l’opposition]. Je lui ai laissé la place, mais à peine cette élection passée, j’ai réaffirmé ma candidature pour 2025. »
S’il n’a pas déposé sa candidature pour la direction du PDCI en décembre, ce n’est pas parce qu’il n’atteignait pas les dix années d’ancienneté au bureau politique, assure-t-il, mais parce qu’il souhaite distinguer la présidence du parti de la candidature à la fonction suprême. « Un peu comme les partis américains, dont les présidents de parti ne sont quasiment jamais candidats, compare Jean-Louis Billon. Ils ont eu leurs expériences politiques par le passé et ils gèrent le parti avec leur expérience. C’est une nouveauté que nous souhaitions introduire au prochain congrès, pour moderniser ce parti qui a encore, malheureusement, de vieux réflexes. »
Cette stratégie permettrait, selon lui, une « meilleure gestion du parti » en répartissant les charges entre deux hommes, mais elle lui imposerait de composer avec Tidjane Thiam, s’il parvenait à obtenir l’investiture à la convention du parti.
Et en cas d’échec ? S’il dit ne pas encore se préparer à une candidature indépendante, Jean-Louis Billon ne l’exclut pas. « Il faut faire attention à la manière dont la convention sera organisée, prévient-il. Si c’est fait de manière irrégulière, je vais revoir ma position. J’ai prévenu toute l’équipe des anciens, qui sont les gardiens du parti. Toutes pratiques qui ne seraient pas correctes auront des conséquences négatives pour le parti. »
Marine Jeannin (Abidjan, correspondance)
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