Le Musée National de Zurich dévoile une grande exposition intitulée « Kolonial. Enchevêtrements mondiaux de la Suisse », qui explore la participation longtemps ignorée de la Suisse dans le colonialisme européen. Cette initiative, dirigée par plusieurs historiens et présentée sous l’égide de la ministre de la Culture, Elisabeth Baume-Schneider, bouscule les mythes bien ancrés sur l’innocence de la Suisse dans ce chapitre sombre de l’histoire mondiale.
Un passé colonial souvent occulté
L’exposition met en lumière comment, bien que la Suisse n’ait jamais administré de colonies, elle a participé activement à des pratiques économiques coloniales, à travers des maisons de commerce, des missionnaires et même des théories racistes. Des familles suisses se sont enrichies par le biais du commerce transatlantique des esclaves et de l’exploitation de plantations dans les colonies. Des institutions académiques suisses, notamment les universités de Zurich et Genève, ont contribué à la diffusion du racisme scientifique, renforçant des théories faussement hiérarchisées sur les races humaines.
L’historien et philosophe Dr. Henri-Michel Yéré, dans son analyse de l’exposition, rappelle à quel point ces vérités historiques ont été occultées dans la conscience nationale suisse. Selon lui, l’exposition marque « la fin de l’innocence » pour la Suisse, forçant le pays à reconnaître son rôle dans la création des inégalités mondiales actuelles.
Une prise de conscience publique
L’exposition, divisée en onze segments, explore divers aspects de cette histoire complexe. Parmi les thèmes majeurs abordés figurent le commerce d’esclaves, l’exploitation des ressources agricoles des colonies et l’implication des entreprises suisses dans des entreprises coloniales. Le parcours commence symboliquement avec l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique, marquant le début de la domination européenne sur le monde.
Ce travail de mémoire est soutenu par des figures académiques telles que Hans Fässler, qui a révélé les liens entre les maisons de commerce suisses et le commerce des esclaves, et Bernhard C. Schär, dont les recherches ont exploré les ramifications économiques et sociales du colonialisme sur la Suisse moderne.
La fin d’un mythe
Pour Dr. Yéré, l’exposition vise à déconstruire un mythe profondément enraciné dans l’imaginaire collectif suisse : celui de la neutralité et de la non-participation aux pratiques impérialistes européennes. Cette réflexion est d’autant plus importante que la Suisse n’a longtemps même pas envisagé de se poser des questions sur ses implications dans le colonialisme, un sujet qui semblait étranger à son identité nationale.
En citant Elisabeth Baume-Schneider, Dr. Yéré souligne que l’exposition démontre que la Suisse, bien qu’elle ne possédait pas de colonies, était « partout un peu présente » dans les dynamiques coloniales, que ce soit à travers le commerce, la mission chrétienne ou la production de savoirs scientifiques racistes. « C’est en somme beaucoup », a constaté la ministre lors de l’ouverture de l’exposition.
Un appel à la réflexion collective
L’article de Dr. Yéré met également en avant un débat interne à l’exposition : l’accent mis sur les actions des Suisses dans le colonialisme plutôt que sur la voix des colonisés eux-mêmes. Si certains critiquent cet angle, Dr. Yéré estime qu’il est essentiel d’abord de reconnaître l’implication suisse pour ensuite élargir la discussion sur les conséquences pour les populations colonisées.
Pour conclure, Henri Michel voit dans cette exposition une opportunité pour la Suisse de se regarder dans un miroir plus critique. En revisitant des figures historiques comme l’aviateur Walter Mittelholzer ou l’écrivain-photographe René Gardi sous un angle colonial, la Suisse commence à se confronter à un passé longtemps ignoré. Cette réévaluation historique est, selon lui, indispensable pour que le pays puisse reconnaître les inégalités structurelles encore présentes aujourd’hui.
Un nouveau chapitre pour la Suisse
L’exposition « Kolonial », qui se tiendra jusqu’au 19 janvier 2025, représente un tournant dans la façon dont la Suisse aborde son histoire coloniale. Elle ouvre un dialogue national nécessaire et pose la question de la responsabilité suisse dans les injustices mondiales. « La fin de l’innocence », pour Dr. Yéré, ne signifie pas que la Suisse doit se culpabiliser, mais qu’elle doit se confronter à la réalité historique pour mieux comprendre et corriger les structures d’inégalité qui persistent aujourd’hui.
L’exposition pourrait bien marquer le début d’une nouvelle ère de conscience historique pour la Suisse, l’invitant à revoir son rôle dans l’histoire mondiale avec plus de lucidité et à tirer des leçons qui pourront façonner son avenir.
Simplice Ongui
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